#balancetonbrighelli

Une camarade m’a fait parvenir récemment un article de la revue Causeur (qui ne fait pas partie habituellement de mes lectures), me le présentant comme “intéressant” et me demandant mon avis dessus.

“Intéressant”, cet article l’est effectivement à plus d’un titre, par le côté abjectement réactionnaire et phallocrate de la Weltanschauung qu’il véhicule.

L’auteur en est Jean-Paul Brighelli, “enseignant et essayiste” pour le moins sulfureux que mon collègue Grégory Chamblat présente comme un “réac-publicain anti-pédago”. Selon B. Girard :

« La prise de parole de Brighelli à un meeting du FN, son implication décomplexée à la campagne électorale de l’extrême-droite (voir ses fonctions nationales dans le parti de Dupont-Aignant) ne sont pas un accident, pas davantage une nouvelle manifestation d’un carriérisme débridé, de longue date attesté. Cela fait tellement longtemps que Brighelli occupe le devant de la scène médiatique avec les mêmes rengaines reprises par des médias et des éditeurs chez lesquels il a manifestement toutes ses entrées. Au-delà de l’expression d’un ego personnel manifestement surdimensionné, ce que révèle cet épisode, c’est la porosité des frontières entre une certaine mouvance « réac-publicaine » dont Brighelli est un représentant notoire et le projet politique autoritaire/identitaire d’un parti d’extrême-droite. »

Bref, je ne m’attendais pas à trouver dans cet article un contenu progressiste… et je n’ai pas été déçu !
En effet, ce billet est un chef d’oeuvre de narcissisme phallocrate et de malhonnêteté intellectuelle.
Brighelli y prend le parti des réacs Finkielkraut et Elisabeth Lévy, défenseurs supposés de la présomption d’innocence contre “l’enfer de la bien-pensance” (vous, je ne sais pas, mais moi, lorsque quelqu’un hurle contre la “bien-pensance”, j’ai le réflexe de me demander d’où vient une telle envie de “mal penser”). Passons sur le ridicule des propos de ce pauvre Finkielkraut (cités par Brighelli) sur la vulgarité du hashtag #balancetonporc, qui transformerait “brutalement” tous les hommes en “porcs” (non, Finkie : juste ceux qui se comportent comme des porcs avec les femmes), et qui sonnerait le glas de l’époque de “la mixité heureuse et du respect des bonnes manières” (lorsque les femmes devaient se sentir flattées de se voir mettre une main au cul ou plaquer contre un mur, peut-être ?), “coeur de la civilisation des moeurs, fierté d’une certaine identité française” (non, Finkie, le hashtag #balancetonporc est juste vulgaire comme un hashtag, et le machisme à la française n’a jamais été plus maniéré qu’un autre). Et passons aussi sur le fait que Brighelli met sur le même plan la prose finkielkrautienne et… une phrase anonyme glanée sur un réseau social (si Facebook, Twitter ou autres étaient des temples de la littérature et du raffinement, cela se saurait).

Passons enfin sur le franchissement direct de point Godwin par l’allusion à la disparition de la famille de la mère de Finkielkraut dans les camps de concentration et aux dénonciations à la Gestapo durant l’Occupation (en réalité, peu d’hommes ont été “balancés” nommément par cette vague d’expression féminine, la plupart des témoignages se contentant de décrire des situations vécues).

Et venons-en au vif du sujet : “harcèlement, drague et séduction”.
Côté harcèlement, Brighelli expédie vite fait sa besogne :

“Et si les accusatrices ont la preuve, que ne sont-elles allées en justice… Les flics ne sont pas les monstres que l’on dépeint dans une certaine presse. Ce n’est pas pour décorer que les commissariats ont aussi des personnels féminins.”

C’est vrai, quoi… qu’est-ce qu’elles viennent chouiner, ces grognasses, alors qu’il leur suffisait d’aller au commissariat du coin !
Rappelons tout de même à Brighelli que tout geste déplacé ne relève pas forcément du pénal, et qu’il n’est pas si aisé pour une femme d’aller se plaindre, comme le rappelle opportunément un récent article de Slate.

Mais pour Brighelli :

“Entendons-nous. Une foule de mecs sont d’une vulgarité répugnante, et la plupart des femmes savent comment leur répondre — ou mieux, passer leur chemin : muscles, humour et dédain.”

Ainsi, les vraies femmes savent se défaire de façon musclée des vulgaires et des répugnants, et celles qui ne savent pas et viennent se plaindre n’ont donc vraiment pas de couilles.
Brighelli, lui, il saurait se défendre comme une vraie femme qui a des couilles s’il était harcelé. D’ailleurs, ça lui est bien arrivé une fois, à lui, de se faire draguer lourdement par un supérieur hiérarchique qui lui faisait miroiter un poste (n’allez pas lui dire que pour beaucoup de femmes, c’est plus d’une fois par jour pendant 40 ans).

“Après tout un ex-prof de fac (fort brillant, aujourd’hui décédé) de la Sorbonne a bien essayé de me séduire, moi, un soir où j’avais imprudemment accepté une invitation à dîner chez lui… En me promettant un poste à brève échéance dès que j’aurais fini ma thèse sous sa direction attentive… Ça vaut bien une invitation à tourner dans un film… J’ai mis les choses au point avec cette combinaison d’humour et de muscles qu’on appelle un refus poli. Ma foi, je n’ai pas souvenir d’en avoir été traumatisé, et ce n’est certainement pas à cause de cet incident que je n’ai pas fait de thèse.”

Il y a quand-même un cas, où Brighelli se sent très solidaire de la victime et ne se contente pas de lui proposer humour et muscles pour se défendre : c’est quand une femme de sa connaissance se fait injurier à Marseille par des… enfin vous voyez, quoi… des pas vraiment de chez nous… un peu basanés sans doute. Là, on ne rigole plus. Parce que cette fois, les agresseurs ne sont pas des représentants des “bonnes manières” à la française (façon Finkie) mais des “Musulmans” (présumés), dont Brighelli amalgame en un seul mouvement les injures avec les viols de Cologne et Hambourg en 2015, les accusations de viol contre Tariq Ramadan en 2017 et les délires antisémites proférés par certains fans de Ramadan sur les “réseaux sociaux”. Signe des temps : même un prof réac comme Brighelli cite finalement davantage les premiers trolls venus que les intellectuels de son temps, tout en ayant le culot de se demander si “Madame du Châtelet se fût plainte sur Twitter des amabilités de Voltaire”. C’est bizarre, mais moi, sous le hashtag #balancetonporc, je n’ai pourtant vu aucune femme dénoncer des “amabilités”. Du coup, j’en viens à me demander ce que Brighelli entend exactement par ce terme. Est-ce que par hasard il ne défendrait pas finalement un peu le harcèlement, pour peu qu’il soit enrobé d’esprit voltairien, mais surtout pas de cette “culture” (musulmane) par essence si étrangère à “l’identité française” éternelle ?

Pour couper court à toute accusation de racisme, Brighelli prend le soin de préciser :

“Et ce n’est pas adhérer aux thèses de la pauvre Marine Le Pen, de plus en plus perdue face aux médias, que de dire cela”.

La précision est heureuse, car sans cela le lecteur aurait pourtant bel et bien eu toutes les raisons de penser que l’invité de l’université d’été 2016 du FN colportait ici les préjugés racistes, xénophobes et islamophobes du parti d’extrême-droite. On l’a échappé belle.

Lorsque les mis en cause sont bien de chez nous, Brighelli a déjà beaucoup plus de mal à différencier le harcèlement de la séduction. Ainsi, il se demande :

“Faut-il que les hommes renoncent à prendre un ascenseur en même temps que leurs collègues féminines ?”

et :

“Les universitaires doivent-ils laisser définitivement la porte de leur bureau ouverte, comme aux Etats-Unis, de peur qu’on les accuse d’avoir violé un(e) étudiant(e) ?”.

On osera lui rétorquer qu’un dirigeant connu pour sa tendance à abuser de sa position dominante auprès de ses subordonné·e·s aura peut-être intérêt effectivement à éviter de prendre l’ascenseur seul avec l’un·e d’eux·elles et qu’un prof d’université libidineux peut avoir intérêt à se préserver de toute accusation, mais peut-être aussi de toute tentation, en prenant lui-même l’initiative de laisser la porte de son bureau ouverte. Moi-même enseignant, nullement attiré sexuellement par mes élèves, et encore moins tenté d’abuser de ma position, je prends soin de ne jamais me trouver seul dans une pièce porte close avec l’un·e d’entre eux·elles. Je ne vois pas d’inconvénient à prendre cette précaution élémentaire et je trouve curieux que l’on s’indigne d’avoir à ne pas fermer une porte.

Brighelli atteint le summum lorsqu’il invoque Les liaisons dangereuses de Laclos pour faire du refus féminin une simple étape de la séduction. Ne comprenant pas que Laclos réussissait avec talent à intérioriser le point de vue de femmes aliénées du XVIIIe siècle, Brighelli nous rejoue Valmont au XXIe siècle pour prétendre que quand une femme dit “non”, c’est qu’elle est juste sur le point d’être séduite. Et que par la grâce des Lumières et de la courtoisie, un gros lourdaud qui vient répéter à une belle marquise qui l’a envoyé chier que ses beaux yeux le font néanmoins toujours mourir et re-mourir d’amour ne doit pas être être traité en gros porc harceleur mais en aimable séducteur (sauf s’il rajoute “wesh” à la fin de sa tirade galante, sans doute). On comprend dès lors ce qu’est ce “jeu magnifique” de “la séduction” pour Brighelli : l’art d’obtenir le consentement de la personne qui a d’abord opposé un refus. Sauf que dans le monde moderne, contrairement à celui du XVIIIe siècle, le refus n’est pas imposé par une norme sociale, morale et religieuse contre des désirs devant être refoulés. Il est l’expression d’un choix libre, et passer outre ce choix n’est pas de la séduction mais bel et bien du harcèlement.

Bref, dans cet article évoquant le hashtag #balancetonporc, Brighelli aura réussi la prouesse de se balancer lui-même.

Auteur/autrice : Serge Victor

Militant de gauche, écosocialiste, féministe, autogestionnaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

css.php