Quand Mélenchon refonde la gauche

En l’espace de quelques minutes d’un discours tenu à la fête de l’Humanité, Jean-Luc Mélenchon, expliquant l’air de rien que la révolution est “nécessairement permanente et continue”, s’est permis de refonder philosophiquement la gauche en établissant des liens raisonnés entre l’humanisme, le communisme, le socialisme, l’écologie politique, le féminisme, la laïcité, la république et la démocratie. Voici une transcription écrite d’un extrait de ce discours dont la vidéo intégrale peut être vue à la fin du présent billet.

“(…) Est en train de naître dans la conscience collective des travailleurs l’impératif écologique comme un des moyens non seulement de répondre à leurs propres difficultés mais à celles de l’humanité toute entière, ce qui signifie que les travailleurs et la classe ouvrière se présentent non seulement comme la classe d’intérêt général quand elle défend les outils de production contre le parasitisme du capitalisme, mais aussi lorsqu’elle défend l’écosystème commun, en proposant de nouvelles manières de produire et de nouvelles productions.

C’est ce qui me permet de vous dire que dorénavant, nous sommes les artisans d’une doctrine nouvelle dont les prémisses ont été rassemblées dans nos batailles (…). C’est que notre Front de Gauche s’approprie une doctrine nouvelle que je résumerai par un mot : l’écosocialisme.

Je voudrais faire le lien entre ce mot et l’adjectif qui est à côté du mot “révolution”. Il y a un mot : “citoyenne”. Pourquoi camarades, est-elle dite “citoyenne” ? Je vais — pour certains, ce sera une répétition, pour d’autres, ils découvriront ce raisonnement — vous montrer en quelques mots l’assemblage des éléments du coeur de la doctrine écosocialiste. L’écologie politique nous a permis de comprendre ce que des fois nous n’avions pas vu dans nos propres textes, peut-être parce que nos textes étaient écrits à une époque où les problèmes étaient moins brûlants, peut-être parce que lorsque Karl Marx décrit la nature comme le corps inorganique de l’homme, lorsqu’il affirme que le capitalisme est une force qui épuise l’homme et la nature, nous ne faisions pas assez attention à la profondeur de ce que cette phrase voulait dire, compte tenu du fait qu’au moment où elle a été rédigée, au fond, l’industrie était naissante et concentrée dans très peu de pays dans le monde, et les logiques du productivisme ne s’appliquaient qu’à une part fort restreinte de l’activité humaine. Mais dorénavant, nous pouvons mieux en comprendre toute la profondeur. L’écologie politique nous a appris qu’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine. Nous ne défendons pas la planète. La planète continuera avec ou sans nous. Nous ne défendons pas la vie. La vie continuera avec ou sans nous les êtres humains. Et vous pouvez imaginer que la belle planète bleue continuera à tourner dans l’espace infini et sans signification avec pour seuls occupants des cafards et des fourmis [NDLR : et Marie-Noëlle Linemann]. Ça ne perturbera en rien les équilibres qui se jouent entre les corps célestes et la trame particulière de l’espace-temps. Nous défendons l’éco-système qui rend notre vie et nos querelles possibles. Par conséquent, s’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine, cela signifie qu’il y a un intérêt général humain. Réfléchissez à cette idée. Elle est déflagratrice. Elle passe comme un coup de tonnerre, comme un éclair dans le ciel. Elle est de la même importance que lorsque fut dit pour la première fois qu’il y avait des droits individuels de la personne, qu’une personne n’était pas un objet dans la société, qu’elle n’était pas simplement un attribut du totem fondateur ; aussi extraordinaire que lorsqu’on a établi qu’une aptitude biologique n’était pas un destin, que ce n’est pas parce que le corps des femmes leur permet d’engendrer des enfants que pour autant leur identité est confondue avec cet engendrement. C’est une idée révolutionnaire. Pas seulement pour les femmes, mais pour les êtres humains tous autant qu’ils sont, qui découvrent tout d’un coup qu’ils existent par leur conscience indépendamment de leur corps, indépendamment de leur conditionnement, indépendamment de toutes les matrices qui les constituent, et qui leur permet de s’élever à cette part de l’humanité absolue, radicalement humaine, qui est dans la gratuité du don de soi aux autres. (…)

Il n’y a qu’un seul écosystème qui rend la vie humaine possible, donc il y a un intérêt général humain. Et s’il y a un intérêt général humain, il est plus important que les intérêts particuliers et il a des droits antérieurs aux intérêts particuliers. Alors, deux doctrines, deux doctrines politiques, sont ausitôt refondées, objectivées. Elles cessent d’être une utopie comme une autre. La première, c’est le communisme, car l’écologie politique, en décrétant qu’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine dit donc qu’il y a des biens communs à tous les êtres humains et qui ne peuvent pas être utilisés en particulier les uns contre les autres. L’écologie politique refonde le communisme et l’intuition qu’il porte, et nous oblige à penser l’importance des biens communs de l’humanité autour desquels notre action doit s’organiser pour construire une conscience politique d’un type nouveau, qui n’est pas seulement la conscience de classe, mais qui est la conscience d’appartenir à l’humanité universelle comme à un tout. Donc s’il y a un intérêt général, que le communisme est refondé, le socialisme l’est aussi, car cet intérêt général ne peut pas être discerné vraiment et complètement autrement que librement. Vous ne pouvez pas dire ce qui est bon pour tous si vous êtes dominés, si vous avez peur de le dire, si vous êtes hors d’état de le dire. Par conséquent, l’exigence de la définition en commun d’un intérêt général humain exige l’égalité et la similitude entre ceux qui ont à prendre les décisions qui sont à prendre. L’égalité devient une nécessité : de l’intelligence, du collectif, l’éducation, la santé, toutes les questions qui nous permettent d’être en état de contribuer au bien commun. Voilà comment toutes nos doctrines sont refondées par l’écologie politique. Pas sous la forme d’un mille-feuilles, comme le font d’aucuns : une petite couche de socialisme, une petite couche d’écologie, et enfin une petite couche de république, et on touille tout ça… Et voyez mes ailes : je suis un oiseau. Voyez mes pattes : je suis un rat. Et regardez le tout : je suis une chauve-souris. Non, c’est une doctrine cohérente. Mais vous en voyez immédiatement surgir le coeur. C’est que bien sûr cet intérêt général qui doit être défini librement doit donc, dans l’arène où il se définit, être libéré de toutes les contraintes qui dominent les consciences, et notamment le poids des vérités révélées. C’est pourquoi toutes nos institutions sont nécessairement laïques, non pas pour faire offense à la foi, mais pour permettre que la discussion puisse avoir lieu sur la base d’arguments qui s’opposent les uns aux autres, et où, à la fin, on tranche par un vote qui ne forme pas autre chose qu’une décision, pas une conviction. Quand vous avez voté, vous vous inclinez devant la décision prise mais vous ne changez pas d’avis forcément. Voilà comment ces choses s’emboîtent. Et c’est là que surgît le concept républicain. Car ce qui est demandé à chacun, ce n’est pas de dire ce qui est bon pour lui, ou pour elle, c’est de dire ce qui est bon pour tous. Si l’enjeu de la discussion révolutionnaire est de dire ce qui est bon pour tous, nous sommes obligés de nous arracher tous à nos humus, à nos déterminations, aux injonctions qui nous sont faites par notre situation particulière, pour penser le bien commun. Alors, quel est cet état particulier, quel est le nom que l’on donne à ce moment où l’on cesse d’être seulement préoccupé de soi pour être préoccupé de tous ? Et bien cela porte un nom : dans des institutions libres, c’est le citoyen, camarades. C’est pourquoi notre révolution est citoyenne. Elle est citoyenne parce qu’elle nous indique que son objectif est le bien commun, et non pas le bien particulier. Elle est citoyenne parce qu’elle nous indique que le moyen pour parvenir à ce bien commun, c’est la démocratie politique et la république.

Et au passage, ça nous permet, compte tenu de la profondeur même de l’analyse qui nous conduit à ces conclusions de dire que, pour nous, la liberté et la démocratie, le pluralisme politique, ce n’est pas une concession que nous faisons au capitalisme, ça n’est pas quelque chose dont nous voulons bien entendre parler comme une espèce de moindre mal. Non, c’est la condition même de l’existence de la révolution citoyenne. Nous en avons besoin, de la liberté. Nous avons besoin de points de vue contraires qui s’expriment dans la société pour construire cette conscience civique. (…)”


J.-L. Mélenchon – Discours Fête de l'Huma par lepartidegauche

Adresse aux camarades qui veulent bouder la manifestation du 30 septembre 2012

A l’appel du Front de Gauche, mais aussi d’autres partis, organisations, syndicats et associations, une manifestation unitaire aura lieu le 30 septembre 2012 à Paris (départ 13h30 place de la Nation) contre le TSCG (le traité “Merkozy” qui impose à toute l’Europe l’austérité et la soumission à la finance). Si certaines organisations appellent à manifester simplement “contre” le traité, le Front de Gauche, lui, exige un referendum qui pourrait permettre au peuple, comme en 2005, de se prononcer (le Front de Gauche, dans une telle éventualité, militerait bien évidemment pour le “non”).

Bien que cette manifestation soit l’occasion d’un très large rassemblement de la gauche, certains arguments sont émis ça et là par des camarades sensibles aux sirènes sociales-démocrates ou gauchistes pour en contester le bien fondé ou l’utilité. Il convient d’examiner ces arguments et d’y répondre.

1) Le candidat Hollande avait promis de “renégocier” ce traité. Selon les dirigeants du PS et les ministres du gouvernement Ayrault, il aurait respecté cette promesse, et il n’y aurait donc pas matière à s’opposer à l’adoption du traité par le parlement. Interrogé le 26 août par BFMTV, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et naguère chantre éphémère de la “démondialisation” et du protectionnisme européen, a estimé qu’il est « impossible de voter contre » le traité budgétaire européen qui sera soumis au Parlement en octobre, car il constitue « un progrès considérable » dans « le combat pour la croissance » en Europe. Il a argué notamment de l’ajout d’ « un paquet croissance de 120 milliards d’euros » pour « rééquilibrer les mesures de rétablissement des comptes publics ». Or, même un élu EELV comme Jacques Boutault reconnaît que “François Hollande n’a fait que rajouter, en annexe, un pacte de croissance de 120 milliards d’euros, dont 60 milliards redéployés à partir de fonds déjà votés et 60 autres milliards de nouveaux prêts qui restent à trouver. Mais une annexe n’est pas une renégociation et ne remet pas en cause la logique du traité dont le cœur consiste à renforcer les contraintes budgétaires des Etats en leur interdisant – sous peine d’amende –  un déficit structurel supérieur à 0,5% de leur PIB.” Le traité élaboré par Merkel et Sarkozy n’a donc pas le moins du monde été renégocié. Il fait toujours passer les Etats de la zone euro sous la dictature austéritaire de la Commission européenne et de la BCE.

2) Dans ce qui reste de l’aile gauche du PS, des voix s’élèvent malgré tout contre la ratification du TSCG. Ainsi, la sénatrice Marie-Noëlle Linemann a déclaré qu’elle voterait contre. Mais elle n’envisage pas pour autant de participer à la manifestation du 30 septembre, sous prétexte de ne pas “tendre les deux pôles de la gauche, une qui gère et une qui proteste”. En fait, cette déclaration montre bien, ce qui est assez triste, que seule son appartenance au PS empêche Marie-Noëlle Linemann de se joindre à cette manifestation. Car la tension n’est d’ores et déjà plus entre deux pôles de gauche, mais entre un gouvernement de capitulation appliquant l’austérité de droite d’un côté, et de l’autre “la gauche qui proteste”, certes, mais qui est tout à fait prête à “gérer” munie d’un vrai programme de gauche : “L’humain d’abord“. Les militants de l’aile gauche du PS qui n’ont pas encore rallié l’aile droite en échange de postes sont désormais ultra-minoritaires au sein de leur parti, soigneusement verrouillé par Hollande, Ayrault et Aubry. Ils n’ont plus la moindre chance d’y faire valoir une autre ligne que celle qui a valu en Grèce à Papandréou le succès que l’on sait. La seule attitude cohérente pour les membres du PS qui se considèrent encore de gauche est de rejoindre la manifestation unitaire du 30 septembre.

3) En 2005, le peuple français avait voté “non” lors du referendum sur la constitution européenne. Pourtant, les principales clauses de cette constitution sont passées tout de même avec le traité de Lisbonne ratifié sous la présidence de Sarkozy. Du coup, nombre de citoyens se demandent quelle serait l’utilité d’un referendum aujourd’hui, partant du principe qu’un “non” du peuple n’aurait pas plus de chance d’être respecté en 2012 qu’en 2005. Certains même trouvent inutile de manifester pour exiger un referendum car, Hollande étant décidé à faire ratifier le texte par le Parlement (où il dispose de la majorité dans les deux chambres), il n’y aurait aucune chance pour qu’il cède à la pression de la rue. C’est un raisonnement défaitiste qui ne peut pousser qu’à la passivité du peuple, et c’est précisément sur cela que misent le gouvernement, la Commission européenne et les marchés. Le non-respect du vote populaire de 2005 est effectivement un déni de démocratie, ainsi que la casse des retraites en 2010 malgré les milliers de personnes qui ont manifesté pendant des mois pour s’y opposer. Mais c’est justement pourquoi il faut continuer à établir le rapport de force pour obtenir aujourd’hui ou demain ce que nous n’avons pas réussi à obtenir hier. C’est aussi la prise de conscience de ce déni de démocratie qui a permis d’obtenir en 2012 la courte défaite de Sarkozy et la percée des idées défendues par le Front de Gauche dans l’opinion. Il faut enfoncer encore le clou. Même si nous sommes des milliers dans la rue, nous n’obtiendrons peut-être pas satisfaction cette fois-ci, mais nous montrerons notre force et nos idées progresseront encore auprès du peuple au fur et à mesure que l’incapacité de Hollande d’apporter le moindre remède à la crise apparaîtra au grand jour. Et si nous sommes des centaines de milliers puis peut-être des millions, nous deviendrons incontournables et montrerons l’exemple aux autres peuples européens. Si le traité est malgré tout ratifié, il n’aura aucune légitimité et nous n’en serons que mieux fondés à réclamer son abrogation. Si au contraire nous renonçons à nous battre sous prétexte que le combat est perdu d’avance, nous sommes sûrs de réaliser nous-mêmes la prophétie de nos défaites. “Camarades, vous ne savez jamais quel sera le destin d’une lutte, et celui qui la préfigure à l’avance n’est pas des nôtres !” affirmait avec force Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière fête de l’Humanité.

4) D’après certains militants gardiens auto-proclamés de la pureté révolutionnaire, tels ceux de LO, la lutte contre le TSCG serait celle “qui gêne le moins le gouvernement : les premiers visés sont l’Europe et Merkel, et l’attention des travailleurs est ainsi détournée vers un faux combat”. On peut s’étonner que des militants qui se disent internationalistes ne voient pas que le combat contre l’austérité en Europe voulue notamment par les rentiers allemands est un combat pour les travailleurs français mais aussi pour les travailleurs allemands, grecs, italiens, espagnols, portugais, etc. LO, fidèle à sa stratégie de dénigrement systématique du Front de Gauche, ne recule devant aucune falsification pour faire croire que le combat du Front de Gauche n’est pas un combat social, et serait même un combat nationaliste, ce qui est un contre-sens et une calomnie (sans doute destinée à faire l’amalgame entre ce front-là et le FN). Le TSCG est bel et bien un instrument qui permettra une domination renforcée du Capital. Il est de l’intérêt de tous les travailleurs européens de lutter contre. C’est un vrai combat. Et ceux qui, comme LO, croient qu’un tel combat se mène au détriment des autres se comportent en spectateurs passifs d’un inepte zapping politique et social : ils confondent la lutte et leur canapé devant la télé. La manifestation du 30 septembre, contrairement à ce qu’affirme LO, ne se fera pas “au lieu de proposer aux travailleurs des objectifs pour défendre leur emploi et leur salaire”. Lors de la fête de l’Huma, Jean-Luc Mélenchon rappelait encore : “il faut le travail politique de conscientisation, d’élévation du niveau de la conscience, qui ne s’est jamais acquis autrement que par la discussion, le débat, l’éducation politique, et par la lutte, la lutte, la lutte ! Ne rien lâcher, ne rien céder ! Usine par usine, école par école, entreprise par entreprise ! Ne laissez pas une seule usine être vidée de ses machines, ne laissez pas une seule salle de classe être fermée !” Non seulement le TSCG aura bien évidemment des conséquences désastreuses sur l’emploi et les salaires, mais surtout la lutte contre le TSCG n’empêche en rien de lutter sur d’autres fronts, par exemple auprès des salariés de Pétroplus ou de Sodimédical et partout ailleurs dans les entreprises, petites ou grandes, ou dans les services publics ; par exemple en réclamant le vote par le parlement de la loi interdisant les licenciements boursiers déjà proposée en février 2012 au sénat par un sénateur communiste et rejetée de justesse malgré le vote favorable des socialistes qui ont dû oublier depuis qu’ils avaient un jour eu tant d’audace… Les militants du Front de Gauche sont présents aussi dans les mouvements sociaux, à travers leurs syndicats notamment. Manifester contre le traité n’empêche en rien les autres luttes. Ce traité, LO prétend que “c’est un chiffon de papier car aucun gouvernement n’a attendu ce traité pour imposer l’austérité aux travailleurs et ce n’est pas ce traité qui oblige les patrons à licencier, à bloquer les salaires et à aggraver l’exploitation”. Mais ce “chiffon de papier” va pourtant bien permettre aux patrons de continuer leur sale besogne dans un cadre qui leur sera encore plus favorable, et les travailleurs encore plus affaiblis et fragilisés seront les principales victimes de ce coup d’Etat. Une fois encore, LO et ceux qui sont sur la même ligne adoptent la stratégie du pire, attendant que le prolétariat réagisse enfin lorsqu’il n’en pourra vraiment plus. On voit pourtant en Grèce qui profite de la ruine du pays et du désespoir : les néo-nazis.

Le peuple de gauche composé de l’ensemble des travailleurs conscientisés n’a aucun intérêt à la passivité et au pourrissement. Il ne se renforcera qu’au fil des luttes, rassemblant un nombre toujours plus large de participants conscients de leurs intérêts de classe. La manifestation unitaire du 30 septembre contre le TSCG en est une étape.

A propos des gros cons : Mélenchon versus Lordon

La finesse d’analyse de Frédéric Lordon, sa radicalité, son ironie, sa précision, son style, tant dans ses ouvrages que dans ses articles du Monde Diplomatique ou du blog “La pompe à phynance“, en ont fait un penseur incontournable de la gauche, sur le plan économique mais aussi sur le plan philosophico-politique. Dans un article du 2 mai 2012, il revient sur le résultat obtenu par le Front National au premier tour des élections présidentielles. Moquant d’abord la stupeur de “la volaille éditocratique”, il affirme ensuite que :

“(…) sans discontinuer depuis 1995, le corps social, quoique se dispersant entre des offres politiques variées, n’a pas cessé de manifester son désaccord profond avec le néolibéralisme de la mondialisation et de l’Europe Maastricht-Lisbonne ; et avec la même constance, le duopole de gouvernement, solidement d’accord, par delà ses différences secondes, sur le maintien de ce parti fondamental, n’a pas cessé d’opposer une fin de non-recevoir à ce dissentiment populaire. La montée du FN n’est pas autre chose que le cumul en longue période de ces échecs répétés de la représentation, le produit endogène des alternances sans alternative qui pousse, assez logiquement, les électeurs à aller chercher autre chose, et même quoi que ce soit, au risque que ce soit n’importe quoi.”

Et Lordon de prophétiser in fine qu’en 2017, “les mêmes causes” risquent bien de produire “les mêmes effets” qu’en 1995, 2002 ou 2012 (l’exception de 2007 étant due à l’habileté du bonimenteur Sarkozy, qui avait réussi, lui le candidat des marchés destiné à devenir “le président des riches” — selon le titre de l’ouvrage des sociologues Pinçon-Charlot — à se faire passer pour le “candidat du pouvoir d’achat”).

Mais Frédéric Lordon  s’aventure aussi en dehors du terrain de l’observation et de l’analyse pour aborder celui de l’action proprement dite. Que faire face à ce phénomène du FN ? Après avoir rappelé à juste titre que le Front de Gauche, seule force à disputer à l’extrême-droite le monopole de la critique des politiques néolibérales, n’existe que depuis 3 ans, et qu’il n’avait donc guère de chances, malgré les espoirs suscités par la candidature de Mélenchon, d’accéder si tôt au pouvoir, il affirme que :

“(…) la gauche (la vraie gauche) commence à donner des signes de fatigue intellectuelle. En témoignent les refus exaspérés d’entendre seulement dire “la France qui souffre”. Assez de la souffrance sociale ! et retour aux explications simples et vraies : ce sont des salauds de racistes. Dans une parfaite symétrie formelle avec la droite qui, en matière de délinquance, refuse les “excuses sociologiques” (…) voilà qu’une partie de la (vraie) gauche, en matière de vote FN, ne veut plus de “l’alibi” de la souffrance sociale. Cette commune erreur, qui consiste à ne pas faire la différence entre deux opérations intellectuelles aussi hétérogènes que expliquer et justifier (et par suite “excuser”), finit inévitablement en le même catastrophique lieu de l’imputation d’essence, seul énoncé demeurant disponible quand on s’est privé de toute analyse par les causes. Les délinquants seront alors la simple figure du mal, n’appelant par conséquent d’autre réponse que la répression. Quant aux électeurs de l’extrême droite, ils sont donc “des salauds”, appelant… quoi d’ailleurs ? La colonie lunaire ? Au déplaisir général sans doute, il faudra pourtant faire avec eux.”

On pourrait objecter avec ironie à Frédéric Lordon qu’une colonie lunaire dotée d’un certain confort (pavillons avec pelouse bien délimitée et télévision branchée sur TF1) pourrait bien faire le bonheur de certains des électeurs du FN, pourvu qu’aucun musulman arabe ou noir, ni peut-être aucun juif, et à coup sûr aucun Rom, ne fasse partie du voyage. Demander la lune pourrait donc être bénéfique pour toutes les parties concernées : “salauds de racistes”, “vraie gauche”, humanistes, victimes du racisme… On pourrait aussi lui dire qu’à défaut d’une destination extra-terrestre, la Corée du Nord pourrait être une destination suffisamment éloignée de toute menace islamiste pour que les “salauds de racistes” puissent y trouver un asile sûr et y assouvir enfin leur goût de l’ordre et leur amour du “vrai travail”. Il s’agit là bien sûr d’une plaisanterie, mais il ne faut peut-être pas renoncer si vite aux vertus de la peur des Rouges. Même si en réalité, nul militant du Front de Gauche, bien que voué par les défenseurs du libéralisme au culte de Staline ou Pol-Pot, n’ira proposer pour de vrai la déportation massive des “salauds de racistes” vers quelque Goulag, il peut être bénéfique de laisser entendre à ces derniers que certains propos et certains actes peuvent tout de même être source pour eux de graves ennuis.

Plus sérieusement, autant Lordon frappe juste en évoquant le “racisme social” des élites conforté par le vote d’électeurs décidément “affreux, sales et méchants”, autant il va trop loin en affirmant que la proposition « les électeurs du FN sont des gros cons » est exactement symétrique à la proposition « les arabes sont trop nombreux ». Invoquant même Spinoza, il accuse les tenants de l’appellation “gros cons” (dont nous sommes) de privilégier par fatigue intellectuelle la catégorisation morale sur la compréhension des causes. Ce faisant, il nous somme finalement de choisir entre l’affect et l’intellect. Mais cette distinction n’est-elle pas abusive et artificielle ? En effet, on peut fort bien poser une injonction morale dans le cadre d’une stratégie politique en expliquant aux électeurs que voter pour le FN les range sans appel dans la catégorie des “gros cons” (ce qui n’a aucun caractère définitif), mais aussi, dans le même temps, chercher à comprendre les causes de ce vote et proposer les mesures politiques, sociales et économiques susceptibles de les éradiquer. Citons ici les propos de Mélenchon au micro d’Europe 1 le 2 mai 2012 :

“La souffrance ne justifie pas ni la délinquance ni la stupidité. Et par conséquent je n’irai pas dire “je vous comprends parce que vous souffrez”. Il n’y a pas plus de problèmes aujourd’hui avec les Musulmans et les Arabes qu’il n’y en avait avec les Juifs avant-guerre. Et ça n’a aucun sens de faire preuve de compréhension. Je dis donc les yeux dans les yeux aux gens qui votent Front National : “vous faites du mal à votre pays et vous nous emmenez nulle part. Mme Lepen ne fait rien qu’à distiller du poison dans notre pays”.”

Si Mélenchon ne disait que cela aux “gros cons”, effectivement ce serait peut-être un peu court. Mais il se trouve que lui (avec l’ensemble des forces du Front de Gauche) propose très clairement de rompre avec la soumission à la mondialisation néo-libérale et de remédier aux causes de la souffrance sociale. S’il refuse de faire preuve du type de “compréhension” prôné par ceux qui cherchent à capter les voix du FN, il ne renonce pas pour autant à analyser les causes objectives de l’extrémisation de la droite.

On peut aussi objecter à Lordon que l’analyse du phénomène et une action sur les causes, bien qu’évidemment nécessaires, ne sont pas forcément suffisantes. A ce titre, l’analogie qu’il fait lui-même avec la délinquance peut lui être retournée. S’il est bien vrai que la droite répressive se montre parfaitement crétine, voire criminelle, en refusant aux délinquants toute “excuse sociologique”, il serait bien naïf d’imaginer qu’une meilleure justice sociale et un accent mis sur la prévention des causes de la délinquance permettraient à la société de faire l’économie de la sanction mais aussi de la catégorisation morale de la délinquance. Désigner l’électeur du Front National comme gros con, beauf ou facho, c’est lui signifier clairement — au cas pas si improbable où il ne le saurait pas déjà — qu’il est un délinquant de l’idéal humaniste républicain. Après la dédiabolisation médiatique du FN réussie par l’héritière du vieux tortionnaire, la stigmatisation systématique de l’électorat du FN est nécessaire pour rétablir au moins en partie ce que nous avions nommé un “surmoi civique” dans notre précédent article. Paradoxalement, Frédéric Lordon lui-même a d’ailleurs bien remarqué que :

“(…) la présence pérenne du FN a eu le temps de produire ces pires effets d’incrustation, aussi bien, dans les classes populaires, la conversion partielle des colères sociales en haines xénophobes, que, dans les classes bourgeoises (petites, et parfois grandes), la libération d’un racisme longtemps tenu à l’isolement par les conventions sociales et la menace de l’indignité, mais jouissant de nouvelles licences quand 15 % à 20 % de la population rejoignent ouvertement l’extrême droite — et qu’il est désormais permis de vivre sa “foi” à l’air libre.”

Pour que le peuple décidément allergique à la dictature des marchés et à la mondialisation néo-libérale se tourne vers la “vraie gauche” — celle qui sert vraiment les intérêts du peuple — plutôt que vers la droite et l’extrême-droite décomplexées, il faut justement que les gros cons de fachos ne puissent plus vivre leur sinistre foi à l’air libre. Nous n’en voudrons pas plus que cela à Frédéric Lordon d’avoir quelque répugnance à se salir les mains. Tout en reconnaissant lui-même que Mélenchon et le Front de Gauche donnaient une consistance nouvelle à la gauche (la “vraie”, selon ses propres critères), il n’est pas allé jusqu’à prendre parti, au sens littéral, et garde donc une position d’observateur engagé qui n’est pas une position de militant. Quant à nous, nous lirons encore avec profit les thèses de Lordon, bien sûr, mais dans l’action présente, nous avons choisi d’agir aux côtés de Mélenchon, et nous ne nous priverons pas d’appeler un chat un chat : oui, un facho est un gros con.

 

Front contre Front

Faut avouer qu’on avait un peu chopé le melon, avec ces saloperies de sondages qui avaient donné Méluche à plus de 15%, voir 17%. Non seulement on le voyait passer devant l’héritière du vieux borgne bouffi (de haine), mais on se prenait à rêver d’un deuxième tour Hollande contre Mélenchon (avouez que cela aurait eu de la gueule !). Mais non, les sondages, comme d’habitude, étaient bidon. Et celui qui avait su faire resurgir les thèmes de la lutte des classes et du progrès social a fini loin derrière le néo-fascisme savamment dédiabolisé par les médias et les faux-frères socialistes. La chute est rude, mais une fois la déception avalée et digérée, il faut sortir du piège confortable (tant on y est habitué) de la déprime et du catastrophisme. Comme le disait Bernard Langlois (@Panouille) sur Twitter le 24 avril :

“Ceux des électeurs de Méluche qui ont le moral à zéro (paraît-il …) sont des puceaux politiques. Ce qu’a réussi leur candidat est déjà superbe !”

Je me range moi-même dans cette catégorie des “puceaux politiques”. J’ai beau avoir participé à pas mal de mouvements sociaux, avoir souvent voté le plus à gauche possible ou m’être abstenu (mais en toute conscience), jamais je n’avais eu à ce point le sentiment de pouvoir peser par mon action personnelle (le vote mais aussi et surtout l’agit-prop) en faveur d’un mouvement susceptible non seulement de résister à la contre-révolution libérale, mais aussi de relancer une vraie dynamique de conquêtes sociales, d’un mouvement qui ne soit cantonné ni à une radicalité folklorique éclatée et impuissante ni à un réformisme ayant renoncé à toute réforme sociale (quand il ne cède pas tout bonnement à la contre-réforme), d’un mouvement, donc, à la fois radical et unitaire, d’ores et déjà apte à conquérir le pouvoir et à l’exercer. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il était temps de prendre vraiment parti, et c’est pourquoi j’ai adhéré au Parti de Gauche, pas tant parce que “l’heure est grave” que parce que je veux contribuer à cet élan nouveau insufflé par le Front de Gauche qui permet aujourd’hui de réunir sur un même objectif (la révolution citoyenne) des courants socialistes, communistes, trotskystes, écologistes et même libertaires. A ce titre, je trouve d’ailleurs la conclusion défaitiste de l’édito de Bernard Maris dans Charlie Hebdo du 25 avril 2012 erronée :

“Autant que le score de Le Pen, l’effondrement de l’écologie traduit la poussée de la droite. Plus l’écologie s’effondre, plus le capitalisme se porte bien. C’est un des points les plus tristes de ce premier tour.”

Eh bien non, camarade Maris (aurais-tu trop été imprégné par tes lectures sur la défaite de 1940 ?), l’écologie ne s’est pas effondrée : avec les 2,31% d’Eva Joly (candidate d’Europe Ecologie-Les Verts) et les 11,11% de Mélenchon (candidat dont le programme s’appuie sur la “planification écologique”), l’écologie a en fait totalisé 13,42% des voix au 1er tour, un véritable record pour une élection présidentielle. Il n’y a pas non plus de “poussée de la droite”, le total de toutes les droites confondues étant passé de 63,57% au premier tour en 2007 à 54,21% en 2012 (ce qui fait que François Hollande, s’il doit bel et bien miser sur l’anti-sarkozysme d’une partie de l’électorat de droite pour l’emporter, doit surtout réussir à faire voter pour lui l’ensemble de la gauche). Quant au score de La Pen, il faut le relativiser : il reste inférieur en pourcentage au total obtenu en 2002 par Le Pen père et Mégret (19,2%). Même la progression en nombre de voix (+2.587.243) de l’héritière de Montretout par rapport à son père (exceptionnellement bas en 2007 en raison de l’effet Sarkozy) est inférieure à celle obtenue par Mélenchon par rapport à Marie-Georges Buffet (+3.278.030). Pourtant, pour reprendre les termes d’Emmanuel Todd, “le FN a eu N. Sarkozy comme attaché de presse très actif pendant 5 ans”, le plus étonnant étant finalement que davantage d’électeurs n’aient pas préféré l’original à la copie, et que 27,18% d’entre eux aient encore trouvé moyen de voter pour l’agité.

C’est bien la politique de Sarkozy, Besson, Hortefeux et Guéan qui a légitimé le basculement de nombreux électeurs de droite vers l’extrême-droite. Certes, la “dispersion des classes populaires” (évoquée par l’excellent article de Fakir) et la crise ont permis au FN, malgré les efforts du Front de Gauche, de rester en tête du vote ouvrier. Mais cela n’invalide pas la stratégie anti-FN de Mélenchon, contrairement à ce qu’affirme le sociologue Vincent Goulet, notamment lorsqu’il dit :

“Combattre frontalement le Front National risque de renforcer ses positions. Expliquer à un électeur de Marine Le Pen qu’il se trompe et qu’il vote pour une “semi-démente” n’est guère le moyen de l’inviter à voir les choses autrement. Il est sans doute possible, à partir de ces schèmes qui sont apolitiques et partagés par tous, de proposer des visions de la réalité du monde social alternatives à celles du Front National, de détourner, reformuler et subvertir les thématiques de la peur et du repli pour construire un référentiel politique progressiste. Ce travail ne passe pas seulement par des programmes ou de la “bonne communication” politiques mais aussi par un engagement concret, pratique aux côtés de ceux qui se sentent déclassés, spoliés, fragilisés. Les schèmes sont des catégories fondamentales nées de la pratique, et c’est d’abord dans la pratique qu’ils peuvent trouver leurs prolongements politiques. La lutte pour l’hégémonie culturelle, préalable à la direction de l’Etat pour Antonio Gramsci, doit véritablement s’incarner dans toutes les fractions des classes populaires.”

Vincent Goulet oppose le “combat frontal” contre le FN mené par Mélenchon et une pratique agissant directement sur les “schèmes” dont seraient prisonniers les électeurs du FN. Ce faisant, il semble oublier que derrière la figure emblématique et médiatique de Mélenchon, le Front de Gauche mène aussi au quotidien le combat pour “l’hégémonie culturelle”. Car l’un n’empêche pas l’autre (et bien sûr, il reste énormément à faire, notamment pour toucher les zones de rurbanisation qui n’ont de contact “culturel” avec le monde que par le biais de TF1). Goulet néglige aussi le fait que l’adhésion aux thèses du FN est permise chez beaucoup de ses électeurs par l’affaiblissement de ce que j’appellerais par analogie freudienne le “sur-moi civique”. Un verrou a sauté, en raison du développement de l’individualisme narcissique favorisé par 30 ans de contre-révolution néolibérale et de société de surconsommation, mais aussi en raison du “permis de haïr” en toute bonne conscience donné par la droite dite républicaine, particulièrement sous la présidence de Sarkozy. En d’autres termes, le petit-bourgeois blanc frustré dans son lotissement péri-urbain peut désormais cracher tout haut sa haine, son aigreur et ses fantasmes sans avoir peur de se faire traiter de facho ou de se prendre un pavé dans la chetron. Oui, il faut faire de l’éducation populaire, pour éveiller les consciences, oui, il faut agir sur les conditions objectives d’existence qui poussent quelques esprits faibles — et surtout la fraction du peuple qui a toujours été de droite — vers l’extrême-droite, mais il faut aussi faire usage d’une certaine violence (verbale, légale, et davantage si nécessaire) contre la haine ordinaire, et donc, comme a commencé à le faire Mélenchon, il faut bel et bien rediaboliser La Pen, et stigmatiser sans complaisance les gros cons de beaufs qui votent pour elle. Car toutes les victimes de la crise, tous les habitants de villages péri-urbains, tous les téléspectateurs de TF1, tous les frustrés de la surconsommation, ne sombrent pas fatalement dans le néo-fascisme, même s’ils ont plus de raisons que d’autres de s’y abandonner. Le racisme, la xénophobie, l’homophobie, l’anti-sémitisme, l’islamophobie sont des tares honteuses qui, à défaut d’être éradiquées, doivent se terrer derrière les volets clos des vieux pétainistes transis de peur tandis qu’on extirpe les racines du mal dans le paysage social. Autant que les marchés financiers, les fachos doivent réapprendre la peur des Rouges. Par ses attaques contre l’oligarchie et contre la “semi-démente” durant la campagne, Mélenchon a clairement signifié que les Rouges étaient à nouveau very dangerous. Le Front de Gauche n’a certes pas encore entamé la puissance d’un FN dopé aux stéroïdes sarkozystes, mais alors que le PS et la droite dite républicaine instrumentalisaient le FN au lieu de le combattre, nous avons, nous, peut-être contenu sa progression et établi la ligne de front. Sur les 27,18% d’électeurs de Sarkozy, combien auraient déjà basculé vers La Pen, la portant bien au-delà de 20%, si Mélenchon ne l’avait pas rediabolisée ? A l’inverse, combien d’électeurs de Hollande auraient voté Mélenchon si le traumatisme de 2002 n’avait joué en faveur du “vote utile” ? Mélenchon a lui-même cité  sur son blog une estimation (à prendre comme simple hypothèse) : 30% des électeurs de Hollande auraient été tentés, ce qui aurait pu rapporter 9 points supplémentaires au candidat du Front de Gauche. Ainsi, Mélenchon aurait pu obtenir autour de 20% des voix, ce qui l’aurait placé au-dessus de La Pen (comme quoi cette ambition n’était pas insensée). Dans ce cas, il est vrai, Hollande aurait tourné lui aussi autour de 20%, avec le risque que La Pen se retrouve au 2ème tour face à Sarko. Reconnaissons-le : notre appel d’avant le 1er tour à ne pas céder à la peur du FN est donc invalidé. Le choix des électeurs potentiels de Mélenchon ayant opté au dernier moment pour Hollande était légitime, même si, en donnant de l’avance à Hollande, il a permis objectivement à La Pen de se replacer hélas au centre des débats de l’entre-deux tours, relayant les thèmes de campagne de Mélenchon au second plan. Néanmoins, si le Front de Gauche continue de se renforcer, ce pourrait être bientôt aux électeurs du PS d’avoir à se ranger en dernière minute derrière le seul rassemblement de gauche qui soit vraiment en mesure de faire obstacle à la droite extrême. Il peut paraître paradoxal de l’affirmer à l’heure où nous nous apprêtons à voter pour Hollande dans le seul but de battre le néo-pétainiste Sarkozy. Mais le Front de Gauche est jeune, et la dynamique pour inverser le rapport de force avec le PS est bel et bien enclenchée.

Désormais, quels que soient les noms que revêtiront le parti de La Pen et de l’ex-droite sarkozyste lepénisée, ce sera Front contre Front : Front de Gauche contre Front d’extrême-droite, dans les urnes mais aussi dans la rue.

Ne cédez pas à la peur de Lepen !

Comme Mélenchon l’avait prédit lui-même après le succès de ses meetings à la Bastille, à Toulouse et à Marseille, les médiacrates, passés du mépris à l’amusement, puis de l’amusement à la peur (voir notre précédent article), l’ont trouvé décidément trop dangerous et se sont déchaînés contre lui, surtout durant cette dernière semaine de campagne. Coups-bas, rumeurs et boules puantes, tout a été utilisé pour le discréditer et faire douter les électeurs qui, intéressés par ses idées et son programme, pouvaient avoir encore quelques réserves sur l’homme, sa personnalité, son style, son parcours politique. Comble de l’ignominie, alors que se faisait le black out médiatique sur son dernier meeting parisien le 19 avril 2012 (qui a pourtant réuni plus de 60000 personnes en plein milieu de semaine, ce qu’aucun autre candidat n’a jamais été en mesure de faire), une campagne était menée au profit de Lepen pour la faire repasser devant Mélenchon dans les sondages. Aucun media n’a d’ailleurs souligné que le dernier meeting parisien de “l’héritière de son père milliardaire par un détournement de succession” (ce même Lepen admirateur du collabo Brasillac, plus que jamais obsédé par Nuremberg et le nazisme) avait réuni 10 fois moins de personnes que celui de Mélenchon !

L’offensive avait commencé dès le 9 avril avec la diffusion par Le Monde d’un sondage bidon sous le titre : “Marine Le Pen pourrait arriver en tête chez les jeunes“. Ce n’est que le 17 avril que Mikael Garnier-Lavalley révélait que ce sondage avait été effectué sur un échantillon de moins de 200 personnes en trichant même sur les tranches d’âge. Seul Le Monde, en fin de compte, a été obligé de rectifier. Mais l’opération aura laissé le temps à la peur de faire son chemin auprès de l’électorat, permettant aux deux candidats favoris des médiacrates d’en appeler une fois de plus au “vote utile”.

Le 19 avril, c’était au tour du journal Libération de se distinguer par une Une élégante :

Libé attise la peur

Notons que ce choix éditorial, le jour même où Mélenchon faisait son dernier meeting géant à Paris, n’était pas inéluctable. Voici par exemple la Une qu’un journal de gauche aurait pu (aurait dû) légitimement faire, à condition de ne pas être prêt à instrumentaliser le F-Haine dans le but d’assurer à tout prix la victoire de Hollande (peut-être plus certaine au 2ème tour contre Sarkozy ou même Lepen que contre Mélenchon ?) :

Libé aurait pu favoriser l'espoir plutôt que la peur

Plutôt Lepen que le Front de Gauche, en somme : voilà qui fait écho au fameux “plutôt Hitler que le Front Populaire” de triste mémoire.

En ce dernier jour de la campagne officielle, les sondages font donc à nouveau passer Lepen devant Mélenchon. Et nombreux seront peut-être les électeurs de gauche qui céderont à la peur et voteront Hollande au premier tour non pas par adhésion à son programme, non pas par refus de celui de Mélenchon, mais par crainte d’une répétition du scénario catastrophe de 2002, qui reste un traumatisme profondément ancré dans la mémoire du peuple de gauche. Ce réflexe est humain, mais j’espère vous avoir montré, camarades, citoyens, amis, qui par hasard lirez peut-être ces lignes, que cette peur bien légitime est le produit d’une honteuse mise en scène.

Mais allons plus loin dans la réflexion. Cette peur est suscitée par les sondages, qui placent Marine Lepen en 3ème position. Pourtant, les mêmes sondages placent tous désormais Hollande en tête, à plus de 10 points au moins devant Lepen, donc au-dessus de la marge d’erreur que les sondeurs s’accordent à eux-mêmes. Ainsi, si l’on se réfère à ces données, le seul vrai moyen aujourd’hui de limiter l’influence de Lepen, c’est de placer devant elle le candidat qui se situe dans la même fourchette qu’elle dans les sondages, c’est-à-dire Mélenchon. Les électeurs de centre gauche qui pensent que l’on peut adoucir la dictature des marchés voteront de toutes façons pour Hollande, ainsi que de nombreux électeurs de centre-droit qui ne supportent plus Sarkozy et souhaitent sa défaite. En votant pour le seul candidat qui ose défier les marchés, les électeurs de gauche peuvent donc par la même occasion redonner dignité et honneur à notre pays en faisant retomber l’extrême-droite dans une marginalité dont elle n’aurait jamais dû sortir. Cela constituerait aussi un exemple pour toute l’Europe, où l’extrême-droite, partout, tire déjà profit du discrédit des partis de droite ou de gauche soumis au marché, et attend de cueillir les fruits de la crise. Cela empêcherait aussi après l’élection une réorganisation de la droite autour de Lepen après l’implosion de l’UMP que ne manquera pas d’entrainer la défaite de Sarkozy.

Depuis le début de cette campagne, Mélenchon a instauré un rapport de forces et une dynamique favorables aux idées de gauche. Pour pouvoir peser dans le débat alors même que les marchés financiers s’apprêtent à attaquer, il faut briser l’étau de la peur et placer le Front de Gauche loin devant le Front National.

Pour cela, camarades, citoyens, amis, je vous en conjure, ne cédez pas à la peur irraisonnée distillée par les médias. L’Europe et le monde nous regardent avec espoir. Lisez ou relisez le programme “l’humain d’abord”, écoutez ou réécoutez les discours de campagne, et dimanche 22 avril, votez sans crainte et fièrement pour Jean-Luc Mélenchon.

Sauts d’obstacles médiatiques par Jean-Luc Mélenchon

Dans la veine de Pierre Carles, un édifiant montage vidéo de curcumabio :


Edifiant aussi, ce montage de VilnusAtyx sur les erreurs (bêtes ou méchantes ?) de Michel Onfray :

Et du même VilnusAtyx, le gros mensonge de Patrick Chêne :

A mes camarades qui n’ont pas encore décidé de voter pour Mélenchon

A mes camarades du peuple de gauche :

Camarades anarchistes, communistes libertaires, gauchistes, conseillistes, néo-situationnistes, autonomes,

A vous qui êtes souvent adeptes de l’abstention révolutionnaire, à vous qui pensez que la démocratie bourgeoise est une mascarade, qu’aucun candidat à une élection ne vous représentera jamais, que les élections sont un piège à cons, que si les élections pouvaient changer quelque chose il y a longtemps qu’elles auraient été interdites, je dis : lisez le programme du Front de Gauche, écoutez les discours de Mélenchon. Ne vous fiez pas à ce qu’en disent les chiens de garde de l’oligarchie dans des médias serviles. Pour la première fois depuis bien longtemps, vous pouvez utiliser la démocratie bourgeoise contre elle-même, en apportant votre voix à un candidat qui propose de rendre le pouvoir au peuple et d’en finir concrètement avec la monarchie présidentielle pour fonder une VIè République dont les institutions seront définies non pas par lui-même mais par une assemblée constituante élue par le peuple, à un candidat qui propose de favoriser la reprise des entreprises par des coopératives ouvrières, à un candidat qui, dans le cadre de sa campagne, s’appuie sur les capacités d’auto-organisation du peuple, notamment par des assemblées citoyennes, et dont la première consigne est : “il n’y a pas de consigne”. Aviez-vous juré qu’on ne vous y reprendrait plus ? Avez-vous si peur d’être trahis ou déçus ? Mais qu’avez-vous donc à perdre ? Au pire, votre vote aura témoigné de la portée d’une idée, cette idée dût-elle être ensuite foulée aux pieds par celui-là même qui prétendait la mettre en application. Il sera toujours temps alors d’entrer à nouveau en résistance, et de tenter de conquérir par d’autres moyens ce qui n’aura pu l’être par les urnes. D’ailleurs, il est bien certain que les éventuelles victoires électorales du Front de Gauche ne sont qu’une des conditions nécessaires de la mise en oeuvre de la révolution citoyenne, qui passe aussi par les mouvements sociaux, l’activisme culturel et les pratiques spontanées.

Camarades qui n’êtes pas inscrits sur les listes électorales ou qui refusez malgré tout de contribuer par un vote à l’insurrection populaire qui commence, ne passez pas à côté de ce mouvement. Vous pouvez aussi participer dans la rue, dans les réunions, sur internet…

Camarades trotskystes, communistes révolutionnaires,

A vous qui vous reconnaissez dans les candidatures légitimes de Poutou ou Arthaud, je dis : ne vous voilez pas la face. Il n’est plus temps de seulement témoigner en attendant que les conditions soient enfin réunies pour une révolution prolétarienne. La dynamique du Front de Gauche permet d’ores et déjà la conquête du pouvoir pour prendre des mesures concrètes de résistance à l’oligarchie capitaliste.

Camarades écologistes,

A vous qui vous reconnaissez dans la candidature de Joly, je dis : la seule candidature écologiste crédible est celle de Mélenchon. Il n’y aura dans ce pays de politique écologique que par le biais d’une planification imposée aux puissances économiques.

Camarades communistes, socialistes, sociaux-démocrates, radicaux de gauche,

A vous qui êtes terrifiés par l’hypothèse d’une élimination de la gauche à l’issue du premier tour comme en 2002, et qui êtes donc tentés par le “vote utile”, je veux dire : libérez-vous de ce chantage. Parce qu’il a su combattre l’extrême-droite durant cette campagne, Mélenchon a considérablement éloigné ce risque. Du coup, les mêmes qui agitaient l’épouvantail Lepen ont ensuite prétendu que Mélenchon aurait moins de chances de battre Sarkozy au deuxième tour que Hollande. Et si Mélenchon est au deuxième tour contre Hollande, ils trouveront encore le moyen de dire que pour faire gagner la gauche, il vaut mieux voter pas trop à gauche. C’est ridicule. Imaginons même le pire : que Sarkozy soit réélu à la présidence de la République. Catastrophe ? Pas forcément. Ne faisons pas comme Jospin désertant en avril 2002. Il y aura des législatives en juin, et cette fois, il existe un Front de Gauche qui ne capitulera pas en rase campagne. L’Assemblée nationale peut basculer à gauche même si la présidence de la République reste à droite. C’est même un scénario très sérieusement envisagé par les préfets, comme le rapportait le Canard enchaîné du 11 avril 2012. Avec une majorité au Sénat et à l’Assemblée, la gauche toute entière pourrait gouverner et poursuivre la révolution citoyenne en passant outre la présidence. Ne nous laissons pas enfermer à nouveau dans le piège du présidentialisme.

Camarades du peuple de gauche, le 22 avril 2012, relevez la tête et votez sans crainte pour Jean-Luc Mélenchon.

Je re-Mélenchon, et le Front de Gauche devient un Front du Peuple

La vidéo réalisée par l’ergonomiste à partir du morceau de Psychonada “Je re-Mélenchon” a été vue près de 150000 fois. Après la “réplique” de Toulouse et avant celle de Marseille, voici donc une réplique en mode “virtuel” à la re-prise de la Bastille du 18 mars 2012.

Le morceau continue d’être diffusé sur internet (via sites, blogs et journaux en ligne) et même sur des radios comme France-Inter (encore dernièrement dans l’émission de Daniel Mermet “Là-bas si j’y suis “). Il aurait aussi été entendu dans différentes manifestations et meetings. Une dissémination spontanée se met ainsi au service de l’insurrection civique.

Enfin, cette parodie citoyenne du “Louxor j’adore” de Katerine figure aussi sur l’album de Psychonada intitulé “Place au Peuple”.

Voilà qui illustre pleinement les propos de Jean-Luc Mélenchon sur son blog :

“A présent le fonctionnement des réseaux sociaux ajoute un espace d’autonomisation et d’enracinement de l’action absolument neuf et d’une puissance inouïe. Cela, je crois que tout le monde parmi vous l’a bien compris. Mais j’observe un fait supplémentaire à propos de ce que permettent ces réseaux. Loin de pousser à une balkanisation de la pensée, des mots d’ordre ou des angles d’analyses, il se produit au contraire une homogénéisation croissante de ceux qui s’impliquent ! On voit même une diffusion accélérée d’un vocabulaire commun et parfois même d’objets très sophistiqués tels que chansons, slogans, et même de consignes d’action, rendez-vous militants et ainsi de suite. Je sais bien que ce n’est pas le moment, mais dans mon esprit une refonte complète de ma manière de penser l’action de parti et le travail d’éducation populaire est en train de se faire. Je pense cependant que le niveau d’auto-organisation que je constate est un signal politique de l’état de ce qui se passe dans la profondeur du pays et pas seulement dans la périphérie de nos organisations ni même de leur deuxième cercle. Je crois que le Front de Gauche devient un Front du peuple et que cette mutation le transforme en une entité politique de masse, une sorte de Front populaire en quelque sorte.”

Fait-divers : la démocratie en suspens

Nous l’écrivions le 15 janvier dernier : “d’ici l’élection présidentielle d’avril-mai 2012, on peut donc s’attendre à coup sûr à ce que TF1, ou quelque autre média national-sarkozyste, s’efforce de créer dans l’opinion, grâce à un fait- divers opportun, le réflexe de peur qui permettra à Sarkozy de reconquérir son électorat”. Ce fait-divers s’est produit, hélas, avec la tuerie de Toulouse. L’ex-presse et le landernau politicomédiatique se sont rués sur l’événement avec force démonstrations d’émotion. L’agité de l’Elysée a fait ce qu’il sait faire le mieux : il s’est agité. Ces gesticulations stériles n’ont qu’un but : tirer parti de ce fait divers tragique pour créer une atmosphère anxiogène. Dans un tel climat de peur, l’électorat pourrait avoir le réflexe de se tourner vers le pouvoir en place, surtout si celui-ci se présente comme autoritaire et répressif. Et pendant ce temps, rares sont ceux qui chercheront à analyser rationnellement la situation.

Un dingue en scooter a tué 3 enfants et un enseignant dans une école juive. C’est probablement le même homme qui avait tué auparavant trois militaires et blessé un quatrième. “Le tueur est sûrement raciste et xénophobe” a confié un enquêteur à Sud-Ouest. Peur sur la ville donc, et activation du plan Vigipirate écarlate, alors même que le plan Vigipirate était de toutes façons déjà activé depuis des années sur tout le territoire. Pour un seul tueur. Que fera-t-on en cas d’attaque terroriste massive ? Pourtant, le simple bon-sens devrait permettre de dire qu’aucune mesure ne peut empêcher un homme seul et déterminé de nuire, et que l’arrestation du criminel ne pourra être obtenue que par un travail d’enquête qui peut être long, et qui ne sera en rien aidé par de telles gesticulations, l’arrivée des people politiques sur place étant plutôt de nature à gêner le travail des enquêteurs. S’agit-il donc de rassurer la population et d’éviter la panique par une présence militaire et policière symbolique ? Mais l’omniprésence d’hommes en armes dans les rues et les lieux publics est-elle vraiment de nature à rassurer le quidam ? N’est-ce pas plutôt une manière de signifier à chacun qu’il court un danger ?

Selon l’ex-Libération, “la presse française espérait mardi que les candidats éviteraient ensuite toute récupération politique”. Pourtant, cette agitation disproportionnée est en elle-même une récupération politique, et ce fait-divers atroce ne peut être extrait du contexte politique dans lequel il s’est produit. “A force de nier les communautés, on a déclenché quelque chose de terrible. On a désigné le hallal, puis on a désigné le casher… Il y a aujourd’hui une atmosphère très malsaine en France”, a déclaré Marek Halter. Comme si le communautarisme pouvait être un remède au racisme ! Mais Marek Halter a tout de même raison sur un point : il y a aujourd’hui une atmosphère malsaine en France. “Brasillach est servi” rappelle judicieusement Mélenchon sur Twitter (@melenchon2012). Si l’enquête confirme les motivations racistes du tueur, il faudra dire avec force qu’un passage à l’acte raciste est rendu possible par la légitimation du racisme et désigner nommément les responsables de cette légitimation : la famille Le Pen qui cite publiquement Brasillach (collabo auteur de la formule : «il faut se séparer des Juifs en bloc et ne pas garder les petits »), la même famille Le Pen qui condamnait en juillet 2011 la prétendue “naïveté” du gouvernement norvégien sur “l’immigration massive” plus que les actes criminels du tueur raciste Anders Breivik, Claude Guéant qui a tenu, entre autres, des propos infâmes et stupides sur les civilisations, Nicolas Sarkozy, qui ne cesse de stigmatiser les immigrés à coups de mensonges destinés à séduire l’électorat lepéniste…

A présent, l’ex-presse et le landernau politicomédiatique unanimes voudraient mettre la campagne électorale “en suspens”. Nonobstant le fait qu’en se ruant sur les lieux de la tuerie Sarkozy, Hollande ou Bayrou ne font rien d’autre qu’être bel et bien en campagne (pas besoin d’être sur place pour s’indigner, si ce n’est pour le spectacle), il convient d’affirmer à l’encontre des éditocrates et des politicards que la démocratie n’a pas à être mise en suspens par un fait-divers, aussi tragique soit-il. Va-t-on donc annuler les élections si un crime médiatisé est commis la veille du scrutin ? Cut the crap ! Le premier criminel venu peut-il faire taire le débat démocratique ?

 

Cette tendance à l’abrutissement général, à l’étouffement de tout débat et de toute réflexion dans l’immédiateté des gesticulations médiatiques et du spectacle de l’émotion, culmine avec une décision du petit président de l’ex-République rapportée par l’AFP : “toutes les écoles de France vont observer mardi une minute de silence à la mémoire des trois enfants et du professeur assassinés lundi dans une école juive de Toulouse par le tueur à scooter qui est désormais l’homme le plus recherché du pays, mobilisant des moyens d’exception”. En quoi une minute de silence va-t-elle faire avancer l’enquête ? Est-ce en se taisant que les enseignants vont expliquer les dangers du racisme à leurs élèves ? Ce n’est pas par le silence qu’on combat les crimes fascistes ! Et pourquoi une minute de silence à la mémoire des victimes assassinées dans l’école juive et pas pour les autres victimes probables du même tueur (les militaires noirs ou arabes) ? S’agit-il de montrer aux enfants qu’il y a des victimes plus émouvantes que les autres ? Quelle mascarade !

Contre le fascisme, le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, ne nous taisons pas. Résistons.

Le 18 mars, je re-Mélenchon

Voici une parodie de “Louxor j’adore” (Philippe Katerine), à fredonner le 18 mars lors de l’insurrection civique du Front de Gauche à la Bastille. En ogg ou en mp3, je re-Mélenchon.

Aux armes !

Lu sur le site de France-Info :

L’UMP veut que les Français fassent “allégeance aux armes de la France”. Tout Français prêterait serment, au moment de sa majorité ou de sa naturalisation. C’est l’une des 29 propositions que l’UMP doit présenter lors de sa convention sur la défense nationale. (…) Que propose le parti présidentiel ? Que chaque Français fasse, à sa majorité ou lors de sa naturalisation, “allégeance aux armes de la France”. Un engagement solennel, pendant lequel hommes et femmes promettraient de combattre du côté de la France en cas de conflit armé. Comme aux Etats-Unis.

Il est évidemment bien peu probable que l’UMP aille au bout d’une telle proposition, dont même les plus naïfs comprendront aisément qu’elle n’est destinée qu’à séduire l’électorat facho. Même le ministre de la Guerre Défense, Gérard Longuet, pourtant ancien membre du groupuscule d’extrême-droite Occident, se dit “un peu gêné”. C’est dire.

Pourtant, l’idée n’est pas à rejeter entièrement. Ce qui est bien sûr très gênant, c’est l’allégeance aux armes de la France nationale-sarkozyste, mais demander aux Français de prêter serment d’allégeance aux armes de la liberté et de l’égalité sociale contre le coup d’Etat de l’oligarchie financière dont le petit président de l’ex-République n’est que le valet ridicule, vulgaire et colérique, voilà qui aurait de la gueule ! Prenons aux mots cette vieille ganache moisie d’Hervé Mariton, à l’origine de cette lumineuse proposition, et faisons même quelques emprunts à la très violente Marseillaise dont l’écho pourrait redonner un peu de courage au peuple : Aux armes, citoyens ! Contre nous de la tyrannie des marchés ! Tremblez tyrans ! Marchons ! Marchons ! Qu’un sang impur abreuve les agences de notation !

Si néanmoins la clique nationale-sarkozyste devait mettre ses fantasmes militaristes à exécution, il serait utile de lui fredonner une autre mélodie, extraite de l’Internationale cette fois :

Les Rois nous saoulaient de fumées,
Paix entre nous, guerre aux tyrans !
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs !
S’ils s’obstinent, ces cannibales,
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.

A bon entendeur salauds !

Ralliements

Le Comité Périphérique clandestin de Cut the crap avait été très ferme : “Camarade Stal, c’est toi qui vas te charger de la propagande pseudo-virale sur les réseaux antisociaux à la con. Que ni dieu ni maître ne soit avec toi !”. Ils sont un peu à cheval sur les principes, faut dire, au Comité. C’est pour ça qu’ils me sucrent toujours ma particule quand ils s’adressent à moi. Parce que mon nom, c’est plutôt “de Stal”, du fait que par féminisme j’ai pris le nom de famille de ma femme Germaine, et mon prénom c’est Pierre-Joseph, proudhonnement. Il est vrai qu’il ne devrait plus y avoir ni particule ni noblesse depuis l’abolition des privilèges le 4 août 1789. Faudrait en glisser deux mots aussi à la clique bling bling qui se goberge aujourd’hui sur le dos du peuple et dont les privilèges ne sont pas moins indécents que ceux des aristos d’antan. Les prochaines nuits du 4 août répareront peut-être cet oubli ?

Bref, je fus missionné pour faire de l’agitprop communiste libertaire pro-situ féministe sur cette saloperie de Toile à neuneus qu’est devenu internet, prêt à bouffer comme il se doit du facho, du curé, du beauf, du caubère, du patron, du bourgeois, du militaire, de l’énarque, du petit président… mais aussi du socialiste de droite, du social-libéral, du réformiste timide, du stalinien pépère, du trostkyste borné, du gauchiste de salon, de l’écolo verdâtre, du syndicaliste bureaucrate…

Mais au fil de mes pérégrinations sur internet, j’ai surtout rencontré des anarchistes de droite, de ceux qui sont revenus de tout sans jamais être allés nulle part, purs produits de l’esprit dépressif hérité des années 80 (cette décennie* qui ordonna à chacun : “sois un individu” pour mieux interdire au peuple d’être une force collective). Pourtant, dans cet océan d’impuissance aigrie, l’écho d’un nom s’est peu à peu propagé, surfant sur le tumulte du chaos social et ranimant ça et là des espoirs politiques inattendus : Mélenchon !

Ouais, j’entends d’ici les rires…

Ça va, c’est bon, vous pouvez reprendre votre respiration.

C’est vrai que de prime abord, c’est pas évident. Moi même, j’ai comme un vertige de me voir faire ainsi l’apologie d’un Républicain tsoin tsoin, ancien trotskyste, mitterrandiste réformiste, légaliste, ancien ministre, ancien sénateur, ancien apparatchik du PS, adoubé aujourd’hui par un parti communiste en ruine pour une candidature médiatique à une élection piège à cons qui se déroulera dans le cadre d’une République qui était déjà monarchique mais qui est devenue carrément bananière sous le règne du petit Zébulon vulgaire élu en 2007.

Oui mais. Mélenchon a l’éloquence cadencée et il manie la dialectique avec une gouaille rafraîchissante. Il a eu le cran de claquer la porte du PS (à voir dans la série vidéo “Monsieur Mélenchon“), a apporté un soutien constant aux luttes sociales au sein desquelles les hiérarques socialistes brillaient par leur absence, et a fait preuve d’une réjouissante virulence contre le pouvoir de la finance et contre la bêtise des media… A cela je ne suis pas insensible. Déjà en son temps la création du NPA avait suscité mon intérêt, bien que je n’aie jamais été séduit par les manoeuvres trostkystes : enfin un mouvement se dessinait qui semblait vouloir fédérer différentes composantes de la gauche non libérale et qui pouvait donner un poids politique à la contestation sociale. Mais le NPA a fait flop. Et c’est bien le Front de Gauche qui réussit à présent avec le Parti de Gauche de Mélenchon, mais aussi avec le PCF et d’autres composantes (issues notamment de scissions du NPA ou de la LCR), à créer une force anti-capitaliste et altermondialiste liée au mouvement social et pouvant peser électoralement. Pour qui vient comme moi de l’anarchisme ou de l’extrême-gauche, les partis électoralistes sentent le soufre, mais de même que les élections n’ont aucun intérêt sans lutte sociale, le mouvement social se condamne aujourd’hui à l’impuissance s’il refuse de se servir du levier électoral. L’échec des luttes de ses dernières années malgré de très fortes mobilisations en a donné la preuve. Il vaut mieux laisser la stratégie de la tension à la droite : ceux qui pensent que seul le pire peut entraîner une vraie réaction populaire causeront certes le pire, mais plus personne ne sera ensuite en mesure de réagir. Cela n’en vaut pas La Pen.

C’est une vraie prouesse de la part de Mélenchon que d’avoir réussi à unir des communistes (qui comptent toujours en leur sein un bon paquet de bureaucrates staliniens), des trotskystes, des altermondialistes, des écologistes et des socialistes de gauche, pour créer un nouvel élan militant et obtenir aux dernières élections des scores plus élevés que ceux de l’extrême-gauche traditionnelle. Le grand Soir n’est pas au bout du vote, bien sûr, mais la possibilité de mettre enfin un terme à la casse nationale-sarkozyste n’est pas à négliger. Le programme défendu par la candidature de Mélenchon est un vrai programme de rupture. Il peut bénéficier de l’enracinement du PCF, des relais syndicaux de celui-ci mais aussi des trostkystes, de la radicalité et du foisonnement des groupes et associations engagés dans les luttes sociales et culturelles, de l’apport d’intellectuels critiques… Un bon score électoral obligerait le vainqueur, quel qu’il ou elle soit en 2012, à en tenir compte, ce qui conférerait une nouvelle dynamique aux luttes sociales.

Oui, j’ai fait partie des milliers de personnes qui ont vibré lors du discours de Mélenchon place Stalingrad en entendant son appel à “l’insurrection civique” : “il est fini, le temps de l’éparpillement et de l’impuissance ! (…) ; nous ne sommes pas réunis pour célébrer un candidat, mais notre force collective  (…) ; la saison des tempêtes est revenue dans l’histoire (…) ; il faut changer le régime de la propriété dans ce qui concerne les biens communs d’intérêt général”… Et la référence aux “Robins des bois” qui rétablissent l’électricité à ceux à qui EDF l’avait coupée, à la lutte des “Conti”, l’emploi des mots “anticapitaliste”, “communiste”, et même “libertaire” (!) à côté des plus convenus “républicain”, “socialiste”, ou “écologiste”, voilà qui dénote d’un syncrétisme de gauche assez inhabituel, et en tout cas inédit ces dernières années devant une audience aussi nombreuse.

Et du coup, le Comité Périphérique clandestin de Cut the crap, craignant que je ne succombe au culte de la personnalité, a décidé de lancer un appel solennel aux contributions afin de brider un peu mon enthousiasme. Notre blog doit donc s’ouvrir à de nouveaux rédacteurs (on acceptera aussi les dessinateurs, photographes, musiciens, graveurs sur bois, armuriers, ou sculpteurs de statues du chef…), même s’ils n’ont pas encore succombé à la fièvre mélenchoniste. Il suffit pour cela de nous contacter ici-même (ou via Facebook et Twitter) pour proposer vos idées et contributions.

* Voir François Cusset, La Décennie, éd. La Découverte, 2006.

Cut the crap infiltre les réseaux antisociaux

Nos plus fidèles lecteurs l’auront peut-être remarqué : ce blog jusqu’ici plutôt austère est désormais souillé par la présence de gadgets web 2.0 destinés à accroître si possible notre visibilité et notre audience par le truchement dérisoire de réseaux antisociaux (injustement appelés “réseaux sociaux”), tels Facebook ou Twitter.

Ces réseaux sont des produits marketing créés par d’ineptes geeks boutonneux dénués de conscience politique, tels l’infâme Mark Zuckerberg, avec l’appui de business angels et de “capital-risqueurs” avides et profiteurs. Malgré une image qui se veut fun, cool et branchée, leur but est la collecte de données personnelles revendues ensuite à des tiers, ce qui est assez effrayant si l’on considère que de nombreux utilisateurs livrent ainsi en pâture aux bourreurs de crâne publicitaires — mais aussi à la police ! — des renseignements sur leurs moindres faits et gestes. Plus encore que sur le reste du web, ces réseaux antisociaux sont couverts de bruit, celui des épanchements narcissiques et des récits épiques de ces héros des temps modernes qui font caca le matin, mangent lors des repas, prennent des photos de vacances et qui — chose inouïe — étaient tellement mignons lorsqu’ils étaient petits ; le bruit aussi des propos de comptoir et des bêlements des adeptes de la pensée positive qui se souhaitent de “belles journées” alors qu’il serait déjà plaisant qu’une journée fût simplement “bonne” (sinon, on se dirait “beaujour” et non “bonjour”, bande de débiles) ; le bruit également des rumeurs les plus folles et des théories du complot les plus paranoïaques, mais aussi des modes les plus imbéciles ; le bruit des misères affectives ou sexuelles qui cherchent désespérément à se toucher sans avoir à faire l’effort de se connaître (ou réciproquement) ; ou encore le bruit des gazouillis ineptes (tweets) véhiculant en quelques mots abrégés sans orthographe ni syntaxe une pensée courte, tronquée ou vide, privée de la richesse du langage ordinaire, et qui devrait être interdite aux plus de 12 ans, même sous forme de SMS.

Non aux SMS
Non au langage SMS (par Cyril Holweck)

 

Le pire, d’ailleurs, c’est que l’information des media officiels emprunte désormais de plus en plus cette voie-là. Souvenons-nous du début de l’affaire DSK et de l’observation faite alors par Télérama :

Dépassées par les évènements, les télévisions et les radios en étaient réduites, comme tout un chacun, à lire Twitter. Sur TF1, Laurence Ferrari n’assumait pas l’origine de ses informations et avouait, sans duper personne, les avoir « reçues par SMS ». Sans scrupule, Olivier Mazerolle, la star de BFM TV, reconnaissait transmettre les messages écrits sur la plateforme par son envoyé spécial Emmanuel Duteil. Même sur France Info, Twitter était cité au même titre qu’une dépêche de l’AFP. Chose impensable il y a encore quelques semaines. Mais après tout, les informations étaient fiables et vérifiables puisque rapportées par de nombreux journalistes.

On peut aussi évoquer Maryse Burgot lisant sur un trottoir de New York devant les caméras de France 2, le 19 mai 2011, les tweets envoyés par son collègue Hakim Abdelkhalek depuis la salle d’audience du tribunal où comparaissait DSK. La télévision se contentant d’être en direct une chambre d’écho pour Twitter, les télé-spectateurs de la chaîne de l’ex-service public pourraient donc faire aisément l’économie de la redevance.

Et pourtant… Facebook et Twitter sont aussi utilisés par des personnalités, des militants, des organisations, des media… de gauche ! Les révolutions arabes et le mouvement des Indignés ont bel et bien utilisé ces outils à des fins contestataires, voire révolutionnaires. Il est donc peut-être possible de tenter d’en faire un usage à la fois critique et utile. Après tout, il n’y a rien de plus con qu’un slogan, mais une manif sans slogan, ça ne casse pas trois pattes à un canard. Peut-être faut-il envisager ces réseaux sous cet angle ? Si Bourdieu avait bien établi que la critique de la télévision ne pouvait être faite à la télévision sans être instantanément récupérée, dévoyée ou vidée de tout contenu, il n’en est peut-être pas forcément de même pour les réseaux antisociaux, bien qu’ils aient aussi leurs propres dispositifs de censure (il n’est par exemple pas permis sur Facebook de créer un compte d’utilisateur au nom de “Cut the crap” ).

Non sans réticence, nous tentons donc l’aventure, prêts à nous enduire nous-mêmes de goudron et de plumes si, au lieu de parvenir à infecter tant soit peu les réseaux antisociaux nous nous laissons finalement contaminer par l’inanité qui y règne le plus souvent. Ainsi, chaque article de notre blog est désormais pourvu d’un bouton “Partager/Marquer” qui permet d’en faire la promotion sur différents réseaux, dont Facebook et Twitter ou même par simple courriel. Les usagers de Facebook pourront aussi nous y retrouver, puisque notre commissaire du peuple chargé de la propagande virale, Pierre-Joseph de Stal, y a ouvert une page Cut the crap. N’hésitez pas à devenir ses camarades (sur Facebook, bizarrement, ça s’appelle des “amis”), et à recommander notre page ou les articles qui y sont relayés en cliquant par exemple sur “j’aime” (étrangement, il n’y a pas de bouton “je déteste”). Vous pouvez aussi y faire des commentaires, y compris négatifs, ce qui est déjà le cas sur le blog, bien sûr. Enfin, nous avons aussi un compte Twitter : @cutzecrap, auquel vous pouvez vous abonner. Nos tweets apparaissent sur la colonne de droite de ce blog.

lol !!! mdr !!! 🙂

L’Homme sans Qualité

Dans Le Monde du 30 mai 2011, Miguel Benassayag dénonce les méfaits du “néomanagement”. En référence à l’oeuvre de Robert Musil*, il dépeint les nouveaux gestionnaires et autres managers comme des “hommes sans qualités”, “agents de la tristesse”, “petits hommes gris” qui sévissent à présent jusque dans l’éducation et la santé.

Ordinateur et pointeuse en poche, ils ont pour mission d’apurer les comptes et de “remettre au travail” le personnel. Avec eux, plus de “feignants”, d'”assistés”, de “privilégiés” (certains ont dû télécharger récemment le portrait de Laurent Wauquiez en fond d’écran…). Ils appliquent le règlement, tout le règlement, rien que le règlement.

Or dans ces endroits singuliers où l’on soigne et où l’on apprend, l’essentiel se passe justement à côté du règlement. Pas contre, mais en dehors. Dans un hôpital, dans un centre psy, la qualité des soins dépend avant tout de la relation avec le patient. Elle passe par l’écoute, le dialogue, le regard, l’attention, et le pari partagé. Une minute peut valoir une heure, une heure une journée, une journée une vie. Aucun logiciel ne peut traiter ce genre de données.

Dans les centres médico-psychopédagogiques, les écoles, collèges et lycées, les objectifs chiffrés, les fichiers, les classements et catégories administratives ne peuvent cadrer avec des parcours d’élèves et patients multiples, complexes et singuliers. Ici, le travail a à voir avec le désir et le lien. Qui peut prétendre quantifier et rationaliser cela ? 

A l’appui de l’analyse de Benassayag, rappelons que cette rationalisation systématique des tâches humaines n’est pas nouvelle. Elle n’est que le prolongement du vieux taylorisme qui fit les beaux jours de l’industrie du début du XXe siècle et de ses dérivés, le fordisme et le toyotisme. Les techniques de management et les process de Qualité qui ont commencé à se mettre en place il y a une vingtaine d’années en France après avoir déjà fait le bonheur des managers américains sont les héritiers directs de “l’organisation scientifique du travail” de Taylor mais elles ont survécu à la désindustrialisation et ont su gagner facilement le secteur tertiaire. Il s’agit encore et toujours de décrire les tâches pour les quantifier et les rationaliser afin d’éviter les gaspillages, les temps morts, les dysfonctionnements, dans le but d’accroître encore la productivité. Mise en fiche, surveillance, définition d’objectifs, procédures normées… sont autant de moyens de contrôle de l’humain, désormais soumis au fantasme d’une réduction de l’aléatoire, d’une disparition du hasard, d’une éradication du trop incertain facteur humain. L’homme encadré par les procédures de Qualité (ou d’assurance Qualité), dans l’isolement des tâches, coupé du collectif, poussé à l’individualisme et soumis à un strict management, est dépourvu du caractère imprévisible et dangereux propre à l’être humain. Il s’agit bien là d’une déshumanisation. D’ailleurs, la gestion de la Qualité vise même à la Qualité Totale (Total Quality Management), mais les philosophes permanentés si prompts à déceler les ferments du totalitarisme dans tout mouvement social n’ont jamais daigné pointer ce totalitarisme-là. Ironie du sort selon Benassayag, cette rationalisation au nom de la productivité est en fait totalement contre-productive :

A force de vouloir imposer de la rationalité, en contrôlant les horaires, en voulant rentabiliser chaque minute (chaque euro d’argent public dépensé…), en quadrillant les services, en instituant des rôles de petits chefs et sous-chefs, c’est la contrainte qui devient la règle, épuisant le désir et l’initiative des salariés.

Obligés de travailler dans un univers panoptique où tout est mesurable et transparent, ils perdent le goût de leur métier, s’impliquent logiquement moins, et souffrent au quotidien.

Ce qui était déjà vrai dans l’industrie, puis dans les anciens services publics privatisés ou en voie de privatisation (France Télécom, La Poste…) touche à présent les services restés publics tels les établissements scolaires ou hospitaliers, dont on orchestre ainsi, au nom de la rationalité productiviste, une inefficacité qui n’en justifiera ensuite que mieux la privatisation.

Ces bouleversements se préparent dans la durée, lentement, discrètement. Et c’est bien de cette façon que la petite armée de ces hommes sans qualités est en train de préparer le terrain d’une société brutale et obscure.

Les suicides chez France Telecom qui ont naguère défrayé la chronique, et qui continuent en 2011, ne sont que le sommet de l’iceberg : c’est la totalité de la société soumise à une rationalisation folle qui est désormais en proie à une véritable dépression.

Déprimés : les victimes de la crise (qu’on appelait “dépression” dans les années 30), les ménages surendettés, les chômeurs, les militants désabusés par tant de défaites sociales, les déçus de la gauche, les vieux dont les entreprises ne veulent plus, les jeunes qui n’auront pas de retraite… mais aussi les salariés fliqués, les fonctionnaires méprisés, les guichetiers de la poste transformés en machines, et même les enseignants transformés en gardes-chiourme d’une jeunesse sans espoir. Dans l’Education nationale, par exemple, le livret personnel de compétences déjà en place dans les écoles primaires débarque cette année dans les collèges. Les élèves sont ainsi fichés tandis que les profs se voient obligés des heures durant de cocher des cases aux intitulés ubuesques, ce qui est aussi un moyen de dévaloriser leur travail : les “têtes pensantes” du ministère conçoivent les livrets et autres fiches, que les profs, simples petites mains, remplissent à la chaîne. Une compétence ne peut qu’être “acquise” ou “non-acquise” (ou, éventuellement, “en cours d’acquisition”). Pas de place pour la nuance, le commentaire, la complexité.

Le collectif national de résistance à Base élèves contre le fichage à l’école fournit fort utilement un kit anti-LPC à destination des enseignants et des parents d’élèves. D’autres initiatives de ce type doivent se développer dans tous les secteurs : profs, ouvriers, employés, suicidés… même combat ! Pour un Homme sans Qualité, virons les hommes sans qualités !

LPC

 

* Robert Musil, L’homme sans qualités, Seuil, 1979.

 

Demandons le protectorat tunisien

La Tunisie fit longtemps partie de l’empire colonial français en tant que protectorat. En 2011, le peuple tunisien a chassé le tyran Ben Ali et son clan, ouvrant la voie pour d’autres révolutions, particulièrement dans le monde arabe.

Mais en France, c’est toujours une oligarchie qui confisque pouvoir et richesse. Le petit président de l’ex-République, ridicule et vulgaire jusqu’à l’outrance, n’est lui-même qu’un des membres prétentieux de cette clique si bien dépeinte par les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur livre Le président des riches, paru fin 2010. Les deux auteurs y démontrent que cette oligarchie mène avec patience et opiniâtreté une véritable guerre de classe, pratiquant pour elle-même un très efficace “collectivisme pratique” tandis qu’elle pille les ressources du pays.

Pendant ce temps, la loi LOPPSI 2 votée par le parlement, introduit précisément dans le droit français ce que les Tunisiens viennent d’abolir chez eux : atteinte aux libertés individuelles, fichage et vidéo-surveillance généralisés, criminalisation de la marginalité et de la misère, répression policière… (il est néanmoins toujours temps de signer la pétition qui demande l’abrogation de cette loi inique).

La France s’est crue autrefois autorisée, parfois au nom même des “droits de l’homme”, à porter “le fardeau de l’homme blanc” (métaphore raciste par Kipling du colonialisme). Aujourd’hui, la France rance de l’ex-République nationale-sarkozyste doit être mise hors d’état de nuire. Pour cela, le peuple français, qui n’a pas réussi en octobre-novembre 2010 à se libérer du joug d’une oligarchie amie de longue date des Ben Ali, Moubarak et autres pourvoyeurs de jets privés pour ministres en vacances, aurait intérêt à demander la protection d’un pays libéré : la Tunisie, par exemple.

L’ex-République française sous protectorat tunisien pourrait conserver, comme autrefois la Tunisie sous protectorat français, une relative autonomie avec un président fantoche et quelques institutions indigènes (le petit président actuel qui s’est rendu coupable d’atteinte à l’indépendance de la justice en attaquant les magistrats privés par lui-même de moyens à propos d’un fait divers à Pornic ne pourrait évidemment rester à ce poste, et serait invité à retourner en vacances chez le roi du Maroc Mohammed VI qui l’a déjà hébergé gentiment à quatre reprises). La politique étrangère française serait directement sous tutelle tunisienne, afin d’éviter l’indignité et l’incompétence de l’actuelle ministre Michèle Alliot-Marie (celle-là même qui voulait faire bénéficier le dictateur Ben Ali du savoir-faire français en matière de répression policière et qui a menti au sujet de ses liens avec le milliardaire Aziz Miled, proche de Ben Ali). La police et l’armée devraient également dépendre directement du pouvoir tunisien, tant il est vrai que les actuels ministres français ont disqualifié durablement la fonction qu’ils exercent : l’un, Brice Hortefeux a été condamné en première instance en 2010 pour injures raciales et pour non-respect de la présomption d’innocence ; l’autre, Alain Juppé, a été condamné en 2004 pour faits de prise illégale d’intérêts.

En attendant la mise en place de ce protectorat, nous ne saurions trop recommander à l’électorat lepéniste et aux ministres auvergnats amateurs de blagues racistes de se montrer dorénavant très affables envers les immigrés tunisiens qui travaillent en France. On n’est jamais trop aimable avec son protecteur, et les éventuelles expulsions ne se feront peut-être pas par jets privés.

Bibliographie :

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches (Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy), La Découverte, 2010.

Actions “multiformes” : cut the crap !

L'élite est adroite mais le peuple est à gauche

Mardi 23 novembre 2010 : enterrement du mouvement social pour la défense des retraites trahi comme de coutume par ses propres représentants. Les syndicats (CGT, CFDT, UNSA, FSU et Solidaires) appellent à une journée “d’actions diversifiées” ou “multiformes”, façon de bien signifier au bon peuple qu’il n’est plus question de grèves, de blocages ou même de manifestations. Mais FO (le syndicat qui appelle toujours à la grève générale après la bataille et s’allie au groupe Casino pour contester à la CNT, syndicat anarchiste, le droit de désigner des représentants de section syndicale) y voit fort justement une “stratégie d’oubli ou de diversion” (sans proposer autre chose), tandis que la CFTC et la CFE-CGC estiment que l’heure n’est plus aux manifestations mais à “de nouveaux modes d’action” (sans dire lesquels : bouderie devant la photocopieuse, stand-in devant la machine à café … ?). Cut the crap !

Cette fois, promis, on arrête de prendre la France nationale-sarkozyste en otage. Plutôt aller, par exemple, faire une gentille chaîne humaine autour de la bourse, que personne ne pensera, évidemment, à incendier. Si seulement ce mouvement s’était fédéré dès le départ en coordinations de travailleurs déterminés, au lieu de se laisser guider par tous ces guignols multiformes ! Cela dit sans vouloir décourager quiconque de participer à de telles actions qui valent tout de même mieux que rien : même multiforme et exténué, un mouvement populaire a toujours une chance, aussi infime soit-elle, de déborder du cadre strictement inoffensif destiné à en canaliser l’énergie vers l’égout social.

Certes l’ex-presse peut enfin se féliciter d’avoir applaudi d’avance la mort du mouvement, mais les vrais responsables de la casse des retraites, ainsi que leurs valets et leurs complices, auront toutefois du mal à fêter l’évènement dans l’ambiance feutrée du “Siècle” où ils ont coutume de se réunir une fois par mois. En effet, Pierre Carles et ses amis, dans la foulée du film Fin de concession, ont décidé de perturber systématiquement ce rendez-vous mondain des connivences et collusions diverses autant que multiformes entre le Capital, les politicards et l’ex-presse. Nous reproduisons ci-dessous le contenu de leur tract (c’est pas du multiforme, ça, peut-être ?) :

L’ÉLITE EST ADROITE, MAIS LE PEUPLE EST À GAUCHE

Tous au dîner du Siècle pour un pique-nique collectif !

Depuis 1944, les élites politiques, économiques et médiatiques de ce pays se retrouvent au sein du Siècle, club huppé qui organise une fois par mois un somptueux dîner où s’empiffrent patrons, élus et journalistes : David Pujadas, Patrick Devedjian, Rachida Dati, PPDA, Laurent Joffrin, Nicole Notat, Laurent Fabius, François Fillon, Lionel Jospin, Louis Schweitzer, Louis Gallois, Maurice Lévy, Elisabeth Guigou, Guillaume Pépy, Michel Field, Emmanuel Chain, Franz-Olivier Giesbert, Luc Ferry, Jacques Attali, Martine Aubry, Thierry Breton, Michel Bon, Arlette Chabot, Claude Bébéar, Michèle Cotta, Michel Pébereau, Jean-François Copé, Jean-Marie Colombani, Jean-Pierre Raffarin, Ernest-Antoine Seillière, Corinne Lepage, Nicolas Sarkozy ou Claude Allègre, pour ne citer qu’eux (ils sont plus de 550). Depuis 2008, Le Siècle est présidé par Denis Kessler, PDG du groupe d’assurances SCOR et ancien vice-président du MEDEF.

C’est un lieu de sociabilité incestueuse entre rentiers du CAC 40 et responsables de l’information, patrons qui plastronnent et « socialistes » qui capitulent, décideurs sarkozystes et courtisans de presse ; un de ces lieux où se préparent en toute discrétion et entre gens de bonne compagnie les contre-réformes libérales qui seront ensuite votées par les « représentants du peuple » et promues dans les médias qui mentent.

Le 27 octobre 2010 est une date à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du club : pour la première fois, le petit peuple est venu se mêler à ses agapes. Par la mise en place d’un cordon sanitaire autour de l’Automobile Club de France, siège du gueuleton princier, une petite centaine de sans-culottes culottés a tenté d’empêcher la prise en otage de la crème journalistique par les banquiers, les patrons et les politiques.

La mission humanitaire qui consiste à sauver les journalistes d’eux-mêmes va évidemment se poursuivre. Les gueux sont donc appelés à se rassembler chaque 4e mercredi du mois devant l’Automobile Club de France, sis dans les murs de l’Hôtel Crillon place de la Concorde, en face de l’Assemblée nationale, dont le prétendu pouvoir est ridiculisé par de telles réunions.
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Prochain rendez-vous :
mercredi 24 novembre 2010 à partir de 19h30 et jusqu’à 21h, sur le trottoir devant l’Hôtel Crillon, Place de la Concorde, Paris. Cette fois-ci, nous dînerons nous aussi sur place : n’hésitez pas à apporter boissons, charcuterie, gâteaux ! (Mais merci de venir sans drapeaux)
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À bas le Parti de la Presse et de l’Argent !

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Collectif Fini les Concessions — C.F.C.-B.A.P. — Branche Armée… de Patience
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Action du CFC-BAP au dîner du Siècle mercredi 27 octobre 2010, vidéo de Jet Lambda

Faire la ronde devant la bourse mardi avec quelques syndicats co-gestionnaires de la crise, perturber la digestion des élites adroites mercredi avec le CFC-BAP (pour imprimer le tract, il suffit de le télécharger en pdf), faire la grève générale la semaine des quatre jeudis avec FO… voilà une semaine multiforme. Et demain, la multiformitude sera le genre humain.

En grève jusqu’à la retraite !

L’ex-presse peut bien jacasser à nouveau sur les chiffres “en baisse” de la mobilisation après la manifestation du 6 novembre 2010. La Une de ce journal largement distribué auprès des manifestants parisiens sera toujours plus belle que les images montrées par les médias inféodés au pouvoir national-sarkozyste.

grève jusqu'à la retraite

Ce n’est qu’un combat. Continuons le début.

Appel pour un referendum sur les retraites

Nous relayons l’information qui nous a été transmise à propos de l’appel lancé par la revue Politis.

L’article 11 de la Constitution ayant été révisé en 2008, il y a moyen de contraindre le Président de la République à proposer un référendum sur les retraites, à condition que ce référendum soit proposé par 1/5 des parlementaires, eux-mêmes soutenus par 1/10 des électeurs (nous). Pour mémoire, même si la réforme contre-réforme des retraites devait être est adoptée par le Sénat et l’Assemblée Nationale, tout n’est pas perdu, la loi peut ne pas être appliquée. Il est encore temps de tout mettre en œuvre pour s’opposer à cette réforme contre-réforme des retraites.

Voici donc le lien pour signer cet appel :
http://www.referendumretraites.org

A faire (encore) circuler sur papier lors de la manifestation du 6 novembre (pour les Parisiens : 14h30 place de l’ex-République). La contestation doit se poursuivre par tous les moyens, même légaux.

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