Colère

“Ceux qui admettent qu’il existe bien une colère de fond, une colère politique et populaire, considèrent qu’elle va dans le mauvais sens, celui du racisme, de l’antisémitisme, de la quête d’un pouvoir fort qui débarrassera le plancher de toute la racaille. On en donne pour preuve le considérable succès des vidéos de Soral et Dieudonné. La bourgeoisie culturelle reproche aux ouvriers de s’être mis à voter FN plutôt que PC, elle trouve que le peuple est décidément bien réactionnaire. En fait de progrès fulgurants du fascisme en France, ce qu’il y a, c’est l’exaspération de gens qui n’en peuvent plus des cadres politiques et idéologiques imposés, qui ruent dans les brancards, qui donnent dans toutes sortes de panneaux en l’absence de mouvements révolutionnaires qu’ils puissent entendre et rejoindre. Or, c’est précisément la bourgeoisie culturelle qui contribue à cette absence, qui travaille d’instinct à la démoralisation politique générale, tantôt par la calomnie, tantôt par le ricanement, souvent par le silence. Dès que la situation sortira de ses gonds, dès que “le mouvement réel qui abolit les conditions existantes” fera son apparition dans les rues, on verra se dissoudre les phénomènes fascistoïdes. Si l’on met à part les néonazis, les irrécupérables aux nuques rasées, croit-on vraiment que les prolétaires, qui votent à l’extrême-droite par haine d’un système qui les ignore, resteront devant leur télé ? Ne viendront-ils pas rejoindre leurs frères de classe ? Faisons-leur confiance.”

Eric Hazan, La dynamique de la révolte,
Sur des insurrections passées et d’autres à venir,
La Fabrique éditions, 2015.

Convergence des luttes

« Les meilleurs projets du monde n’ont aucune portée s’ils ne sont pas sous-tendus par un enthousiasme populaire, s’ils ne s’indexent pas à des images de la société désirée, s’ils ne s’inscrivent pas dans une histoire collective. Le mouvement peut être l’occasion pour les responsables syndicaux de prendre conscience de cette responsabilité qui leur incombe et qui renvoie aux plus grandes heures du mouvement ouvrier – quand les propositions des organisations syndicales irriguaient le débat politique, du planisme cégétiste des années 1930 aux nationalisation et à la sécurité sociale à la Libération, jusqu’au socialisme autogestionnaire dans les années 1970. Alors que la gauche est atone et divisée, il serait possible que d’importante fractions du mouvement syndical servent de catalyseur à l’élaboration d’un véritable agenda de transformation sociale. Une élaboration qui ne résulte pas de “l’audition” des organisations syndicales par les dirigeants politiques, mais d’une dynamique autonome permettant aux syndicalistes de tisser des liens durables entre eux et avec tous ceux, citoyens, associations, mouvements sociaux qui ont contribué à nourrir la contestation des dernières semaines.

Un tel processus supposerait que se mettent en place des structures ad hoc, car bien évidemment le cadre de l’intersyndicale, dont l’intérêt n’est pas en cause, revêt une autre fonction. Entre une intersyndicale qui tient par la recherche du consensus et la guerre de tous contre tous que se livrent les organisations confrontées à la conquête de leur représentativité dans les entreprises, il existe un espace intermédiaire à occuper, celui d’une coopérative d’élaboration stratégique. »

Sophie Béroud et Karel Yon, “Automne 2010 : Anatomie d’un grand mouvement social“, Contretemps, 2010

Action commune

“Ainsi, l’insurrection communaliste du 18 mars 1871 prend ses racines dans le long siège de Paris pendant l’hiver 1870-1871. Les républicains “jacobins”, les Internationaux, les blanquistes — dont le chef vient d’être mis en prison pour sa participation à la journée insurrectionnelle du 31 octobre 1870 —, la petite bourgeoisie révoltée par la trahison du gouvernement de “Défense nationale”, la bohème étudiante et artistique, tous ces individus et ces groupes souvent opposés pendant les dernières années de l’Empire vont conduire ensemble la journée du 18 mars, réussite totale, sans effusion de sang ou presque. C’est que pendant le siège, ils s’étaient trouvés dans les mêmes bataillons, ils avaient fait le coup de feu ensemble, ils s’étaient parlé, ils avaient formé le Comité central de la garde nationale où l’on trouvait aussi bien Varlin, ouvrier relieur, membre de l’Internationale, que Flourens, ex-professeur au collège de France. Encore une fois, c’est de l’action commune qu’émerge la véritable politique et non l’inverse.”

Eric Hazan, La dynamique de la révolte,
Sur des actions passées et d’autres à venir,
La Fabrique éditions, 2015.

Ambitions

“Nos ambitions sont nettement mégalomanes, mais peut-être pas mesurables aux critères dominants de la réussite. Je crois que tous mes amis se satisferaient de travailler anonymement au ministère des Loisirs d’un gouvernement qui se préoccupera enfin de changer la vie, avec des salaires d’ouvriers qualifiés.”

Guy Debord, “Encore un effort si vous voulez être situationnistes. L’I.S. dans et contre la décomposition”,
Potlatch n° 29, 5 novembre 1957.

Manifestations

« Contrairement à ce que dit la presse de droite, le fait que la France manifeste est un signe de bonne santé et de démocratie. Ce sont les pays qui ne manifestent pas qui sont imbéciles, qui se laissent faire, peut-être parce que leur goût de la liberté est émoussé. »

Bernard Maris, « René et les duellistes », Charlie Hebdo n°959, 3 novembre 2010.

Démocratie ou propriété individuelle

« Le 8 juillet 2011, Suzanne Berger, professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology) […] prend la parole en revenant sur le débat très ancien libéralisme-démocratie. Elle va tenir des propos éclairants :

— Les fondateurs de la République américaine étaient profondément préoccupés de la question de savoir s’il était possible d’avoir en même temps un gouvernement démocratique et un système économique fondé sur la propriété individuelle. Comme James Madison l’expliquait, le plus grand danger pour une démocratie est que les citoyens s’organisent, se mobilisent, “s’instituent en factions” pour promouvoir la demande majoritaire de redistribution par rapport au droit à la propriété¹.

Suzanne Berger n’invente rien. James Madison, dont elle a prononcé le nom, n’est pas n’importe qui. Co-auteur de la Constitution américaine, il fut le quatrième président des Etats-Unis. Pour Madison, “le gouvernement représentatif n’était pas une modalité de la démocratie, c’était une forme de gouvernement essentiellement différente et, de surcroît, préférable”. Il considérait que démocratie et économie de marché n’allaient pas de pair. “Les démocraties, écrivait-il, ont toujours été des spectacles de turbulences et de contestations […] incompatibles avec la sécurité personnelle et le droit à la propriété².” »

1. Suzanne Berger, Liberalism vs democracy, a turning point, intervention aux rencontres économiques d’Aix-en-Provence, juillet 2011.

2. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995.

Christophe Deloire et Christophe Dubois, Circus politicus, Albin Michel, Paris, 2012.

Conscience de classe

« Le peuple ne se voit plus comme tel, la société se croit une collection indistincte d’individus […]. L’oligarchie, elle, a une conscience de classe aiguisée, une cohérence idéologique sans faille, un comportement sociologique parfaitement solidaire. »

Hervé Kempf, L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie, éditions du Seuil, Paris, 2011.

En-dehors

« Nous allions voir de jeunes végétariens engager des luttes sans issue contre la société entière. D’autres conclurent : “Soyons des en-dehors, il n’y a de place pour nous qu’en marge de la société”, sans se douter que la société n’a pas de marge, qu’on y est toujours, y fût-on au fond des geôles, et que leur “égoïsme conscient” rejoignait par le bas, parmi les vaincus, l’individualisme bourgeois le plus féroce. D’autres enfin, dont j’étais, tentèrent de mener de pair la transformation individuelle et l’action révolutionnaire (…). »

Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire (1905-1945), Lux Editeur, Montréal, 2010.

Spectacle

« Tout ce que l’économie t’enlève de vie et d’humanité, elle te le remplace en images et en représentations ; tout ce que tu ne peux pas faire, tu peux en être le spectateur. »

Baudouin de Bodinat, La vie sur terre
(Réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes)
,
éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 1996.

La fraternité

“La fraternité, cette fraternité des classes opposées dont l’une exploite l’autre, cette fraternité proclamée en février [1848], écrite en majuscules, sur le front de Paris, sur chaque prison, sur chaque caserne – son expression véritable, authentique, prosaïque, c’est la guerre civile, la guerre civile sous sa forme la plus effroyable, la guerre du travail et du capital.”

Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, 1852.

1918-2018

“Mesurons ce que fut cette guerre : 48 millions d’obus ont été déversés sur Verdun ; avec ce qu’a coûté le conflit, une petite maison avec un jardin aurait pu être offerte à chaque citoyen des pays belligérants…”

Jacques Tardi, Interview dans l’Humanité, 10 novembre 2008.

La paix est un problème social

“La guerre est bien sûr observable tout au long de l’histoire humaine, mais la constatation n’est pas aussi triviale qu’il y paraît. Elle mène beaucoup plus sûrement que les généralités tardives de Freud sur l’instinct de mort à une formalisation simple et efficace de l’un des problèmes fondamentaux de l’espèce. La cohésion du groupe dépend de l’hostilité à d’autres groupes. Moralité interne et violence externe sont fonctionnellement associées. Toute chute de la violence externe menace donc à terme la moralité et la cohésion interne du groupe. La paix est un problème social. (…)

Les sociétés humaines ont, certes, des caractéristiques intrinsèques : système économique, structures familiales, croyances religieuses, organisation politique. Mais aucune ne peut être conçue et décrite sans des référents extérieurs qui contribuent non seulement à la fixation de ses caractéristiques dans un long jeu d’influences réciproques ou de rejets, mais qui permettent aussi sa cohésion interne, la mobilisation d’une solidarité du groupe contre un “autre” extérieur ou intérieur. Il n’existe aucune identité absolue : l’identité d’un groupe, dans l’espèce homo sapiens, est toujours relative.”

Emmanuel Todd, Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine, Seuil, 2017.

css.php