“Essonne”, vidéo de Siegfried G

Cris et chuchotements“, la série de vidéos enregistrées en live à la maison avec des lunettes de soleil (parce que c’est plus facile qu’avec des gants de boxe) ne présente pas seulement des reprises mais aussi des compos. Le titre “Essonne” a ainsi été publié pour la première fois en 2005, sur l’album “Particules“. En voici ici une version unplugged, avec une partie finale légèrement différente par rapport au morceau original.

Paroles & musique, voix & guitare folk : Siegfried G
Licence de diffusion : Creative Commons BY-NC-SA
Paroles :

Si les loyers sont trop chers
de Bastille à Voltaire,
partons en Essonne.
A deux pas du RER,
nous serons prospères,
en zone pavillonnaire.

J’aurai un garage et des outils,
je serai enfin un homme.
Le barbecue, le dimanche midi,
avant un petit somme,
en Essonne.

Malgré la crise immobilière,
soyons propriétaires
d’une bâtisse en Essonne.
Fi de la vie parisienne
et des Bourgeois Bohême.
Kirie Eleison !

J’aurai un garage et des outils,
je serai enfin un homme.
Le barbecue le dimanche midi
avant un petit somme,
en Essonne.

Etiolles, Brunoy, Corbeil, Marolles-en-Hurepoix, Draveil, Montgeron, Ris-Orangis, Verrières-le-Buisson, Fleury-Mérogis, Monthléry, Morsang, Vert-le-Petit, Vert-le-Grand, Mennecy, Igny, Juvisy, Evry, Yerres, Bondoufle, Echarcon, Estouches, Arpajon, Brières-les-Scelles, Chauffour-lès-Etrechy, Authon-la-Plaine, Lardy, Courances, Courcouronne, Courdimanche, Courson…

“Anarchy in the UK”, vidéo de Siegfried G

Dans la série “Cris et chuchotements” (vidéos enregistrées sur téléphone par Siegfried G en live à la maison avec des lunettes de soleil parce que c’est plus facile qu’avec des gants de boxe), voici une nouvelle reprise, “Anarchy in the Uk“, l’hymne punk des Sex Pistols craché pour la première fois à la face du monde en 1976, présenté ici en version pop sirupeuse à la guitare folk acoustique (parce que pourquoi pas).

Cris et chuchotements

C’est à l’occasion des dérives textuelles et musicales du projet “Situations” qu’est née l’idée de ce concept de “Cris et chuchotements” dont l’intitulé emprunte ironiquement au cinéma d’Ingmar Bergman : des morceaux exécutés en live à la maison, avec des lunettes de soleil (parce que c’est plus facile qu’avec des gants de boxe), un ou deux instruments, un téléphone portable pour capter les images et le son, avec éventuellement le renfort d’un ordinateur portable pour filmer des contre-champs. Pour les cris, on ne s’interdit rien, mais par la force de la vie de famille et d’une compagne qui travaille souvent à la maison, on s’en tiendra plutôt pour la voix aux chuchotements.

Cela aurait de la gueule de jouer alangui dans ce décor de Bergman, non ?

Le répertoire sera constitué selon l’humeur et les capacités du moment de nouveaux arrangements d’anciens morceaux de notre répertoire, de reprises (Velvet Underground, Oasis, Neil Young, Beatles, Guided By Voices, Sex Pistols…), voire de nouveaux morceaux encore inédits.

Pour inaugurer cette série, voici deux versions de “Waiting for the man” du Velvet Underground, avec ukulele pour la première, ukulele et harmonica pour la seconde, et une reprise de “Décembre plombé”, morceau de Stéphane P originellement chanté par lui, et repris ici par Siegfried G au piano électrique, dans un arrangement très différent de ce qu’il faisait sur ce morceau à la guitare en 1999 au sein du groupe Crème Brûlée.

A suivre…

Situation n°16 : “Anniversaire”

Morceau diffusé sous licence Creative Commons BY-NC-SA 
Extrait de l’albumParticules” (2005)
Paroles & musique : Siegfried G
Musicien :
Siegfried G : voix, guitare, harmonica, programmation
Paroles :

J’avais pris pour partir quelques précautions d’usage.
Des décoctions saphir devaient m’ouvrir le passage,
m’envoyer d’un seul tir au but suprême : les nuages.
J’avais pris pour finir plusieurs poignées sans bagages.
C’était assez pour m’irriter les mains sans ambages,
et m’éviter de dire que je frôlais le naufrage.

On m’avait vu pâlir sous les effets de la rage.
On m’avait vu souffrir de cette erreur d’arbitrage.
Nul n’aurait pu prédire quels en seraient les ravages.
On s’attendait au pire et de funestes présages
me vouaient au martyr inéluctable de l’âge :
condamné à croupir sur une vile voie de garage.

Nous sommes en 2005. Tu n’as plus de groupe depuis la séparation de Crème Brûlée en 2001. Quand tu y repenses, tu es partagé : les concerts te manquent, mais pas la galère du transport du matériel avec les bagnoles chargées de fûts de batterie et d’amplis, sans compter les joies de la location de sono (pourrie, forcément pourrie), les balances à faire dans des conditions parfois frustrantes (soit parce que vous devez les faire vous-mêmes, soit parce que l’ingé son s’occupe du groupe principal et que vous, première partie, n’êtes que des pièces rapportées qui devront se contenter de poser leur matos et de laisser la place aux vrais musiciens), le public parfois clairsemé, les patrons de bar acariâtres… Les répétitions aussi étaient devenues une corvée, dans les derniers temps : Jérôme, le bassiste, était de moins en moins disponible et de moins en moins motivé, Benoît, son prédécesseur, n’était plus disponible non plus ; à la batterie, Franck avait montré des qualités de jeu que tu jugeais avec le recul sous-estimées en leur temps, mais la construction laborieuse d’arrangements avec lui avaient fini par vous user, Stéphane et toi. Quant à la perspective de devoir auditionner à nouveau des bassistes et des batteurs, comme durant l’année terrible de 1997, vous n’en aviez plus le courage.
Et puis, après avoir passé la décennie précédente à regarder avec horreur les copains qui fondaient des familles avec enfants (les pauvres vous semblaient aussitôt perdus pour la société), vous en étiez venus vous-mêmes dans les années 2000 à découvrir les joies de la paternité, peu compatibles avec l’enchainement des répétitions et des concerts.

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Situation n°15 : “Le Titanic”

Morceau diffusé sous licence Creative Commons BY-NC-SA 
Extrait de l’albumNot Dead” (2011-2070)
Paroles & musique : Siegfried G
Musicien :
Siegfried G : voix, épinette picarde, guitares, guitare à 12 cordes, piano, programmation, mix

Illustration : Ellie-Rose G
Paroles :

Panique à bord du Titanic
Les enfants pleurent on coule à pic
Dites bonjour aux poissons
Qui nous verront
Sombrer

Le capitaine seul maître à bord
Voudrait nous voir tous crever d’abord
Admirez tous ces cons
Qui lui lèchent
Les pieds

Vous auriez dû
Vous méfier
Car nul n’ira
Vous regretter

Au fond du gouffre les poissons irradiés
Doivent ricaner de nous voir trépasser
Ils sont peut-être
Devenus
Carnassiers

Les culs-bénits font leur prière
Ils supplient encore dieu le père
Mais rien n’les empêchera
De couler
Comme des pierres

Vous auriez dû
Vous méfier
Car nul n’ira
Vous regretter

La mer est calme j’avais dû rêver
Tout compte fait il n’est rien arrivé
Tant pis j’ai tout mon temps
Je ne n’suis pas
Pressé

J’ai tout mon temps je n’suis pas pressé
Oui il ne s’est jamais rien passé
Mais j’aurais bien aimé
Les voir tous
Crever

Oh ! j’aurais dû
Me méfier
J’ai tant de choses
A regretter
Oh ! j’aurais dû
Me méfier
Car nul n’ira
Me regretter

Nous sommes en 2023. Mais aussi un peu en 1993, en 1995, voire en 2000, 2002, 2003, 2004, 2022 (si l’on regarde les différentes dates de sauvegarde de tes sessions de travail sur “Le Titanic”). En effet, c’est sans doute vers 1993 que tu as commencé à faire tourner la ligne de guitare minimaliste (tu ne savais jouer à peu près que les accords de la majeur et mi majeur) de ce qui allait devenir “le Titanic”. Tu te souviens notamment d’une longue après-midi d’impros chez Stéphane P, avec Eric C qui avait essayé par-dessus ta grille rythmique une gamme orientalisante qui sortait de son style habituel. Il reste peut-être trace de cela sur une des multiples cassettes que tu enregistrais à l’époque sur un vieux magnétophone. Par la suite, tu avais imaginé des paroles sur le thème du Titanic, métaphore d’une fin du monde que tu prophétisais à l’époque plus par névrose que par conscience aiguë de l’urgence climatique. Le fait d’être né pendant la guerre froide avait peut-être aussi planté dans ton esprit des images d’apocalypse nucléaire. Tu te doutais néanmoins que la métaphore pourrait s’appliquer à de nombreuses situations de naufrage prévisible. La fin du texte cultivait d’ailleurs l’ambiguïté, le passage à la première personne pouvant désigner le point de vue du narrateur embarqué ou du capitaine du paquebot lui-même.

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Situations n°14 : “Capitalisme 2.0”

Morceau diffusé sous licence Creative Commons BY-NC-SA
Paroles & Musique  : Siegfried G
Groupe : Psychonada

Album : Pot de départ de BnFlower
Musiciens : Siegfried G : voix
, programmation
Sample de “Lovecraft & Tolkien” de Crème Brûlée :
Siegfried G : voix, guitare
Stéphane P : guitare
Pierre C : basse
Erwan D : batterie

Illustration : Siegfried G
Paroles :

Les abeilles butinent les fleurs
Et ainsi font du miel
Mais cela fait le bonheur…
De l’ours !
La nature est cruelle.

Spéciale dédicace à tous ceux dont l’intégrité
S’intègre avec audace aux lois du marché
Pour qui la musique libre
Sous prétexte d’entraide
Est un robinet d’eau tiède
Servant à abreuver leurs ambitions laides
De petits boutiquiers du Web 2.0

Laisse-moi rire

Vous avez décidé de vendre
De la gratuité
Cela ne vaut pas d’esclandre
Ni de publicité
Mais à qui veut l’entendre
Je dis seulement ceci :
Il ne faut pas s’attendre
A autre chose ici

Capitalisme 2.0
Capitalisme 2.0
Capitalisme 2.0
Capitalisme 2.0

Nous sommes en 2007. Au cours de tes pérégrinations dans le petit monde de la musique libre l’année précédente, tu es tombé sur le site BnFlower, qui promeut le partage de musique via des blogs. Tu as trouvé intéressant le concept en apparence coopératif développé par Ignazio Lo Faro : des “Bees” (webmasters) installent sur leurs sites ou blogs un lecteur mp3 (tout en Flash, le plug-in dernier cri) qui diffuse la musique de “Flowers”, créateurs de musique. Les Bees peuvent sélectionner les morceaux qui leur plaisent et qui agrémenteront le player sur leurs sites ou blogs. Les Flowers peuvent ainsi voir leur musique diffusée et être écoutée sans passer par les circuits commerciaux de l’industrie musicale qui sont de plus en plus fermés aux indépendants. Le fondateur appelle cela de la “diffusion prescriptive” :

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Situation n°13 : “Waiting for the man” (encore et encore)

Enregistrement live
Paroles & musique : Lou Reed
Siegfried G : chuchotements & ukulele

Nous sommes en 2023. Cela fait désormais plus de deux ans que tu t’es immergé dans tes souvenirs, à cheval sur deux siècles (rien que ça), au gré d’une dérive aléatoire parmi diverses situations créatives. Un aphorisme d’Oscar Wilde te revient approximativement en mémoire : “je ne fréquente que de mauvais poètes, parce qu’ils mettent dans leur vie le talent qu’ils n’ont pas dans leur art.” Sans doute l’exercice t’a-t-il déjà rendu très fréquentable…

Mais tu ne cherches pas vraiment à être un artiste. Fonctionnaire, tu n’as pas besoin de la reconnaissance du public pour manger et te loger. Ton registre est plutôt celui de l’artisanat en amateur, du bricolage, musical surtout, textuel ou visuel un peu. Certains bâtissent des tours Eiffel en allumette. Toi, tu construis un labyrinthe principalement sonore. Entrée et sortie libres. Aucun risque de bousculade.

Et voici donc qu’à la faveur d’un détour par 1993 ou 1995 dans le dédale de ces souvenirs, tu t’es replongé dans deux versions très différentes de “Waiting for the man”, reprise du Velvet Underground que tu jouais à l’époque avec les Black Noddles puis Les Vaches Folles. Et tout naturellement, tu t’es demandé ce que cela donnerait si tu rejouais le morceau aujourd’hui, une trentaine d’années plus tard — tu avais écrit d’abord “une vingtaine d’années plus tard”, mais en recomptant sur tes doigts, tu as corrigé : dix ans de plus ou de moins, de toutes façons, pour toi, c’est comme si c’était hier, n’est-ce pas ? La preuve en est que tu te dis régulièrement que tu vas rappeler les copains de Crème Brûlée pour leur proposer de rejouer ensemble après cette petite pause que vous avez prise… depuis 2010. Peut-être devrais-tu te décider à les appeler avant la fin du monde, tout de même.

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Situation n°12 : “Waiting for the man” (encore)

Extrait du Concert à l’IGN de 1995 des Vaches Folles
Paroles & musique : Lou Reed
Musiciens :
Siegfried G : voix
, guitare
Stéphane L “guitar hero” : guitare
Benoît D : basse
Stéphane P : batterie

Nous sommes en 1995. C’est reparti pour “Waiting for the man”. Ce morceau de Lou Reed te colle décidément à la peau. Tu le reprenais déjà avec les Black Noddles, il n’y a pas si longtemps, et tu remets le couvert, cette fois avec les Vaches Folles.

Drôle d’année que cette année 1995. A peine Chirac élu président (pour toi, Chirac, c’est à tout jamais l’affaire Boulin, “le bruit et l’odeur“, les morts d’Ouvéa, la mort de Malik Oussekine à 200m de toi lors de la manif du 6 décembre 1986… et tu rirais très fort si quelqu’un venu d’un futur improbable osait te dire que c’est pas le pire des tocards qu’on ait vu à l’Elysée), tu as terminé tes 20 mois d’objection de conscience, à bosser comme livreur de bouquins gauchistes dans les librairies parisiennes. Un bon souvenir, même si c’était relou d’être contrôlé tous les 500 mètres par les flics. La faute à ton air grunge juvénile dans ton pancho acheté dans une friperie à Prague lors d’un fameux road trip (dont le slogan final avait été : “le vin morave, le vin qui marave”) ? Ou à la 4L marron que t’avait confiée Blandine, la “patronne” de Dif’Pop pour qui tu bossais ? Faut dire qu’elle était cabossée et pas reluisante — la 4L, pas Blandine, même si c’était tout de même une ancienne mao spontex de la GOP (Gauche Ouvrière et Paysanne). Après le déménagement épique de toutes les assos du CICP (Centre International de Culture Populaire, dont Dif’Pop était membre) de la rue de Nanteuil vers la rue Voltaire (qui, par bonheur, est en pente, elle), tu avais appris à démarrer en seconde, le pied droit appuyant à la fois sur le frein et l’accélérateur en un savant dosage pour que la bagnole ne cale pas avant le feu en bas de la rue. Un coup à prendre. Une fois chauffée, normalement, c’était bon pour la journée. Sauf un jour où elle t’avait lâché au milieu du rond-point de la place de la Nation. Et puis bien sûr la fois où, dans un virage porte de Gentilly, le volant t’était tombé sur les genoux. C’était un peu la bagnole de Gaston Lagaffe, quoi, cette caisse. Alors forcément, pour les Longtarin du coin, ça éveillait des appétits. En même temps, c’est pas toi qui payais les PV, donc c’était plutôt drôle, finalement.

Et puis il y avait de sacrées rigolades à Nanteuil puis Voltaire, avec Gilbert, autre “objo” (objecteur de conscience) fan de reggae et de Guy Debord, avec ton acolyte Eric, des Black Noddles, qui s’était casé lui aussi comme objo à l’AMFP (Association Médicale Franco-Palestinienne), ton pote Stéphane P, des Vaches Folles, Nonante What etc., objo au CEDIDELP (Centre de Documentation Internationale pour le Développement, les Libertés et la Paix), et bien sûr l’indispensable Monsieur Douze (on l’appelait comme ça parce que c’était marqué en toute lettre sur son interphone, et que le proprio de sa chambre de bonne lui avait interdit de mettre son nom à la place), objo lui aussi à Réflexes, groupe antifa. Dans cette pépinière gauchiste, on croisait aussi Kader, qui faisait la bouffe et le thé à la menthe, Tarek et Nordine, du comité contre la Double-peine puis du MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues), et l’inévitable Gus Massiah, du CEDETIM (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale). C’était mieux que de ramper dans la boue pendant 10 mois, non ? Grâce au stock de bouquins des éditions Acratie ou Spartacus entreposé à Dif’Pop, tu avais pu parfaire ta culture révolutionnaire et lire Chomsky, Lafargue, Dommanget, Rosa Luxembourg, Victor Serge, Fontenis…

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Situation n°11 : “Waiting for the man”

Extrait de la Demo 1993 des Black Noddles
Paroles & musique : Lou Reed
Musiciens :
Siegfried G : voix
, piano, harmonica
Eric C : guitare, voix
Stéphane L “guitar hero” : guitare
Philippe T : basse
Philippe J : batterie
Silvia C : voix
Karine P : voix

Nous sommes en 1993. Le groupe que tu as formé avec Eric C deux ans auparavant commence à se stabiliser. Après différents noms (Catherine et les Raouls, les Globules, CWI), vous êtes désormais les Black Noddles. Tout le monde comprend “les nouilles noires”, mais ça veut plutôt dire “les caboches noires”. Et bien sûr, tu pensais aux “gueules noires” quand tu as proposé le nom. Avec Eric, vous vous êtes rencontrés en Khâgne : lui repiquait son année quand tu faisais ta première tentative. Il ambitionnait d’être géographe quand, de ton côté, tu ambitionnais surtout de ne rien ambitionner, prenant très au sérieux le mot d’ordre de Guy Debord : “Ne travaillez jamais”.

Si tu avais atterri en classe prépa, ce n’était pas franchement par envie de rejoindre l’élite, mais plutôt parce que cela retardait l’obligation de choisir un métier et aussi de faire cette saleté de service militaire obligatoire. Vous détonniez un peu par rapport au khâgneux moyen. Pendant les épreuves blanches qui duraient des heures, vous arriviez avec du pinard et du calendos. Eric avait une passion pour les fromages qui puent. Et bien sûr celui qu’il apportait durant les épreuves fouettait particulièrement. Les autres élèves vous jetaient des regards indignés, mais cela faisait plutôt marrer les profs. Bien sûr, vous n’avez pas réussi le concours de Normale sup, et tu as vivoté quelque temps entre la fac et les petits boulots, puis l’objection de conscience (plutôt crever que de faire l’armée ou même de simuler la folie pour se faire réformer).

Mais surtout, il y avait la musique. Le soir, tu trainais souvent dans le Quartier Latin : avec l’ami Stéphane P, vous alliez au Pot d’Etain, où il y avait un piano, ce qui permettait de se faire offrir des bières en enchainant les blues et les boogie à 4 mains ; mais tu retrouvais aussi une bande de musiciens du métro au Carabin, où ils venaient dépenser les pièces qu’ils avaient gagnées dans la journée (des fois, tu accompagnais Freddy, un guitariste, pour faire la manche dans le métro, et comme tu ne pouvais pas y emmener un piano, tu t’étais mis à l’harmonica). Et le week-end, vous vous retrouviez chez tes parents avec Eric, lui à la guitare, toi au piano ou à l’harmo. Le registre était plutôt jazzy blues, et c’est là que tu as composé des morceaux comme “Libidineux blues”, “Le blues du travelo”, “Les p’tits boulots“… Eric était un puits de science en matière de blues, et il avait aussi une passion pour Pink Floyd. Cela constituait un bon terrain d’entente, et c’est sur cette base que vous avez constitué un groupe avec des copains d’Eric (Philippe à la batterie, et Pierre à la guitare) ainsi que Catherine, une copine de Khâgne, à la basse (d’où le premier nom du groupe : Catherine et les Raouls, que vous avez gardé même après que Catherine a cessé de venir au bout de deux répèts au fin fond de l’Essonne, où Eric et ses potes avaient leurs quartiers). Passant une annonce pour trouver un bassiste, vous aviez vu bientôt débarquer Stéphane L, qui avait annoncé d’emblée qu’il aimait le blues, le rock et les Floyd. Il correspondait donc au profil, à ce détail près : il n’était pas du tout bassiste mais guitariste. Comme Pierre ne venait plus qu’occasionnellement, Steph fut aussitôt intégré comme deuxième guitariste et baptisé “guitar hero”. Un certain Sylvain vint tâter un peu de la basse avant d’être remplacé par un autre Philippe : Philippe & Philippe comme section rythmique, ça ne pouvait que fonctionner.

Dans la grange où vous répétiez après des métalleux velus qui vous chauffaient passablement la place, il n’y avait pas de piano, mais un vieux Farfisa, qui te servit pas mal avant de rendre l’âme et de t’obliger à investir (avec une bienvenue subvention familiale) dans un Roland JW 50 qui allait en voir des vertes et des pas mûres. Le répertoire du groupe était essentiellement constitué de standards blues et rhythm & blues (“Sweet Home Chicago”, “Stormy Monday”, “You don’t love me”, “Mary had a little lamb”, “What’d I say”, “In the midnight hour”, “Sitting on the dock of the bay”, “She caught the Katy”…), de Jimmy Hendrix (“Little Wing”), de Chuck Berry (“Johnny B. Goode”), des Rolling Stones (“Brown sugar”, “Sympathy for the devil”), de James Brown (“Sex Machine”) et de Pink Floyd (“Time”, “If”, “Echoes”, “Wish you were here”, sans compter les impros de trois plombes “à la manière de”).

Karine, une copine d’Eric, était ensuite venue compléter l’ensemble au sax et aux choeurs, et puis était arrivée Silvia, copine de la meuf de Stéphane “guitar hero”, aux choeurs. Aux choeurs oui, mais d’emblée, elle vous avait tous scotchés par sa puissance vocale, et sans oser le dire à Eric, tout le monde pensait qu’elle aurait dû prendre sa place au chant principal. Il faut dire qu’Eric est facilement à cran si le contrôle des opérations lui échappe. Tu as vite compris qu’il n’avait pas envie de jouer tes compos dans “son” groupe. Ce n’est qu’après avoir composé lui-même “Gamblin’ woman” qu’il acceptera que le groupe essaie une de tes compos, “I can’t’, puis plus tard “Le droit à la paresse”. Qu’à cela ne tienne, tu formes alors un autre groupe, Les Gniards, avec l’ami Stéphane P, pour jouer des compos… mais Eric s’y incruste au début, plus pour faire du sabotage qu’autre chose, finalement, avant de lâcher l’affaire. Pas simple.

Les Black Noddles, en 1993, aux Frigos du Quai de la gare.
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Situation n°10 : “Summertime”

Enregistrement en répétition de w[n]e
Paroles : DuBose Heyward & Ira Gerschwin
Musique : George Gerschwin
Musiciens :

Pola K : voix
Loran : guitare
Siegfried G : basse, harmonica

? : batterie

Illustration : Siegfried G

Nous sommes en 2007. L’année précédente, tu as rencontré virtuellement Loran et Pola via le mouvement de la musique libre, qui a transposé à la musique les principes du logiciel libre. Dans les échanges sur les forums des plateformes Jamendo (qui a dévoyé le mouvement pour bâtir un honteux commerce de musique au rabais sur internet) et Dogmazic (plateforme de l’association “Musique Libre”), tu as d’emblée apprécié les interventions de Pola et Loran, mordantes, pertinentes et drôles à la fois. C’est ainsi que tu as découvert Mon Cul Prod, leur site collaboratif proposant notamment des “orgies sonores” auxquelles tu t’es empressé de participer, immédiatement séduit par le côté situationniste, potache et déconnant de la petite bande qui y sévit. Et puis vous vous êtes retrouvés un soir dans Paris pour papoter et improviser dans la rue. Tu avais juste apporté un harmonica, Loran une guitare et une basse acoustiques, et Pola, entre 2 impros bluesy, s’était mise à chanter quelques morceaux de leur composition. Loran t’avait proposé d’essayer la basse. Quelques minutes plus tard, il t’expliquait qu’ils avaient formé un groupe pour jouer leurs compos et quelques reprises, dont le célèbre Summertime de Gerschwin, et qu’ils cherchaient un bassiste.

— Ça te dit ?
— Mais, je suis pas bassiste, avais-tu répondu.
— C’est ça qui est bien.
— Ah.

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