Révoltes paysannes

“De façon générale, les révoltes paysannes ont joué un rôle central au XVIIIe siècle dans le processus menant à la Révolution française puis dans son déroulé. L’abolition des privilèges décidée par l’Assemblée nationale lors de la nuit du 4 août doit beaucoup aux révoltes paysannes de l’été 1789, qui s’en prirent aux seigneurs et aux châteaux et commencèrent à brûler les titres de propriété qui s’y trouvaient, ce qui finit par convaicnre les députés réunis à Paris qu’il falait agir au plus vite et mettre fin aux institutions honnies du féodalisme. Ces révoltes font elles-mêmes suite à des décennies de rébellions paysannes, que le pouvoir divisé contrôle de moins en moins, en particulier au cours de l’été 1788, quand se pose enfin clairement la question des modalités de l’élection aux Etats généraux, dans une atmosphère quasi insurectionnelle (occupations de parcelles et de biens communaux, violences antipropriétaires).

Si tant de paysans tournent le dos à la Révolution par la suite, ce n’est pas parce qu’ils seraient subitement devenus conservateurs. C’est parce qu’ils ont été profondément déçus dans leur espoir d’accéder à la propriété et de cesser de travailler pour les autres, et marqués par ce qu’ils perçoivent comme une hypocrisie insupportable de la part des élites urbaines soit-disant révolutionnaires qui ont pris la tête des événements. Cette déception fondatrice […] est essentielle pour comprendre la formation initiale des structures partisanes et électorales et leurs évolutions ultérieures. On notera aussi que l’on observe dans plusieurs régions un fort vote rural socialiste et communiste aux XIXe et XXe siècles, en particulier lors des législatives de 1849 (vote rouge rural qui effraie beaucoup les propriétaires) puis dans l’entre-deux-guerres et dans l’après-guerre avec le vote PCF. Cela rappelle que rien n’est figé : tout dépend de la façon dont les organisations politiques parviennent ou non à mobiliser les électorats autour de projets collectifs. Nous verrons également que la participation électorale a été structurellement plus forte dans le monde rural depuis deux siècles, phénomène que l’on observe d’ailleurs dès la période révolutionnaire, ce qui montre que la demande de démocratie n’a jamais été limitée au monde des villes, bien au contraire.”

Julia Cagé & Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique,
Elections et inégalités sociales en France, 1789-2022, Editions du Seuil, 2023

Action commune

“Ainsi, l’insurrection communaliste du 18 mars 1871 prend ses racines dans le long siège de Paris pendant l’hiver 1870-1871. Les républicains “jacobins”, les Internationaux, les blanquistes — dont le chef vient d’être mis en prison pour sa participation à la journée insurrectionnelle du 31 octobre 1870 —, la petite bourgeoisie révoltée par la trahison du gouvernement de “Défense nationale”, la bohème étudiante et artistique, tous ces individus et ces groupes souvent opposés pendant les dernières années de l’Empire vont conduire ensemble la journée du 18 mars, réussite totale, sans effusion de sang ou presque. C’est que pendant le siège, ils s’étaient trouvés dans les mêmes bataillons, ils avaient fait le coup de feu ensemble, ils s’étaient parlé, ils avaient formé le Comité central de la garde nationale où l’on trouvait aussi bien Varlin, ouvrier relieur, membre de l’Internationale, que Flourens, ex-professeur au collège de France. Encore une fois, c’est de l’action commune qu’émerge la véritable politique et non l’inverse.”

Eric Hazan, La dynamique de la révolte,
Sur des actions passées et d’autres à venir,
La Fabrique éditions, 2015.

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