Lettre ouverte à Stéphane Guillon

Monsieur Guillon,

Ayant banni de chez moi la télévision il y a déjà pas mal d’années, je n’ai pas eu l’occasion de suivre votre carrière en détails. Je me souviens avoir vu à la fin des années 2000 sur internet des extraits de certaines de vos prestations télévisées durant lesquelles vous faisiez preuve d’un humour plutôt vachard (et un peu phallocrate, il me semble) contre des personnalités du monde du spectacle qui m’étaient souvent inconnues mais dont je soupçonnais que, du fait même de leur insignifiance sur les plans esthétique, artistique ou idéologique, elles ne méritaient peut-être pas tant de hargne. Puis je vous ai entendu quelques fois sur France Inter, et vos chroniques qui devenaient de plus en plus politiques et incisives, égayèrent mes matinées en ces tristes temps sarkozystes… Jusqu’à ce que Jean-Luc Hees et Philippe Val vous jetassent dehors, ainsi que votre collègue Didier Porte, pour complaire à Nicolas Sarkozy. Je me souviens que lors de cette très politique éviction vous reçûtes d’ailleurs le soutien appuyé d’un certain Jean-Luc Mélenchon.

Oubliant mes premières préventions à votre encontre, j’allai ensuite assister à l’un de vos spectacles et passai un bon moment.

C’est donc avec étonnement et déception que je découvre l’article que vous avez publié dans l’ex-Libération le 6 décembre 2013, sous le titre : “Mélenchon… La grande illusion !” Bien sûr, en tant que partisan de Gauche, je ne suis pas le meilleur client qui soit pour les attaques contre le co-président de mon parti. Mais je suis plutôt adepte de la satire et plus familier de la devise “ni dieu ni maître” que du culte de la personnalité. Autrement dit, partager les idées de Mélenchon ne m’interdit pas de goûter éventuellement la critique ou la moquerie contre lui. Et j’aurais pu rire de bon coeur à vos saillies si vous aviez visé juste. Au contraire, votre article m’a déçu par son évidente malhonnêteté (par égard pour vous, j’écarte l’hypothèse de la simple bêtise). Voyons les faits.

Vous reprochez d’abord à Jean-Luc Mélenchon “d’avoir bidouillé son intervention au journal télévisé” du 1er décembre 2013. En effet, selon vous :

“Alors qu’il nous avait promis « la foule des grands jours » pour sa marche en faveur d’une révolution fiscale, le chef du Front de gauche se trouvait quasiment seul, avenue des Gobelins, quelques minutes avant son direct sur TF1. Branle-bas de combat, panique à bord, il a fallu trouver à la hâte une vingtaine de militants afin que le vieux leader paraisse entouré. Pour que l’illusion soit parfaite, TF1, complice de cette mascarade, avait filmé Jean-Luc en plan serré et Claire Chazal, toujours bienveillante, déclarait : « On aperçoit derrière vous des drapeaux et des gens qui se massent. » La grande illusion. (…)

Oui, mais manque de bol, un journaliste d’Euronews habitant dans l’immeuble d’en face immortalisa la scène en la photographiant : devant la caméra, un Jean-Luc Mélenchon, seul, perdu au milieu de l’avenue des Gobelins, avec en arrière plan, tel un décor de carton-pâte, un dernier carré de supporteurs fidèles… cliché dévastateur !”

A partir de là, vous soutenez que Mélenchon a voulu “sauver à tout prix les apparences, déguiser la vérité” pour masquer l’échec (selon vous) de la manifestation à laquelle il avait appelé ce jour-là. Le problème, c’est que le jour où vous publiâtes votre article, il était déjà notoire que la fameuse photographie sur laquelle vous appuyez votre théorie avait été prise avant la manif, avant donc que les manifestants n’affluassent. Mélenchon était “seul” (hormis le petit groupe de militants massés derrière lui) tout simplement parce qu’il venait de déjeuner et que la manif n’était pas commencée !  Oui, JLM ne va pas casser la croûte avec des milliers de manifestants (“quel snob !” auriez-vous pu dire, et ça m’aurait fait marrer) ; il paraît même qu’il lui arrive aussi de dormir ou de faire sa toilette sans être entouré d’une foule compacte, et je vous imagine déjà clamant devant une porte de WC, tel le pitre Cahuzac que vous semblez chercher à égaler : “vous êtes un homme seul, Monsieur Mélenchon !” C’est malheureux, tout de même : j’en suis réduit à faire moi-même les vannes qui manquent à votre texte.

Mélenchon seul
Mélenchon seul et sans bidouille avant la manif

Mais reprenons. Ne vous en déplaise, JLM ne pouvait pas “bidouiller” avec la complicité de TF1 pour masquer le prétendu échec d’une manifestation qui n’avait pas encore eu lieu. C’est d’ailleurs le PG et Mélenchon, et non un reporter de balcon, qui ont publié en premier sur Twitter une photo qui, contrairement au cadrage de TF1, ne laisse pas l’ombre d’un doute : on y voit clairement que le petit groupe de militants qui est derrière JLM n’est pas le gros de la manifestation mais bien un simple avant-poste qui ne remplit évidemment pas l’avenue. Ces militants n’ont donc pas été réunis “à la hâte” pour parfaire une “illusion” mais sont juste venus faire nombre derrière l’interviewé, comme Mélenchon s’en expliquait sur son blog trois jours avant que vous ne publiassiez votre article. Ou bien vous l’ignoriez, et c’est fâcheux (renseignez-vous un peu avant d’écrire n’importe quoi, même dans un torchon comme l’ex-Libé), ou bien vous le saviez, et c’est malhonnête. On peut déplorer (je le déplore) que le spectacle médiatique impose des mises en scène, mais à moins d’être complètement demeuré, vous ne pouvez attendre d’un responsable politique aussi aguerri que Mélenchon qu’il se laisse interviewer avec deux clodos devant une pissottière graffitée pour donner envie au télé-spectateur de rejoindre la manif qui se prépare. Le spectacle télévisuel exige du décor et du pittoresque. Sinon, les chaînes de télé n’iraient pas se faire chier par exemple à envoyer un journaleux devant la Maison Blanche pour commenter des élections américaines qui peuvent parfaitement être analysées en studio depuis Paris. Ou bien on refuse toute interview télévisée (c’était la position très cohérente de penseurs comme Bourdieu ou Debord, mais c’est impossible à tenir pour un mouvement comme le Front de Gauche qui aspire à conquérir le pouvoir par les urnes), ou bien on en accepte les contraintes les moins compromettantes, et dès lors, autant choisir la couleur du décor (rouge et verte en ce qui nous concerne, et avec de l’humain d’abord). Je vous conseille à ce sujet la lecture d’un article d’Henri Maler et François Neveux (sur Acrimed), qui réussit ce que vous n’avez pas su faire dans le vôtre : être à la fois critique, intelligent, honnête et même parfois drôle. Si vous êtes paresseux, j’en retiendrai pour vous ces extraits édifiants :

“Les conditions de fabrication, souvent lamentables, d’un journal de télévision imposent fréquemment de composer sciemment des images, ne serait-ce que quand il est demandé à un témoin d’agir devant la caméra « comme il le fait d’habitude ». Ceux qui s’indignent de cette mise en image – qui aurait pu connaître le même destin que les autres, c’est-à-dire passer inaperçue – ne peuvent pas ignorer, du moins l’espère-t-on, que presque tout ce qu’ils voient dans les émissions d’information a aussi fait l’objet d’une construction, plus ou moins volontaire ou habile qui vise à esthétiser ou recréer la réalité. Faute de moyens, la nécessité de produire des images au jour le jour, parfois en direct, impose aux journalistes, qui font fréquemment de nécessité vertu, de forcer les faits à se produire sous leurs yeux, sans pouvoir attendre qu’ils se produisent par eux-mêmes. Pour ne rien dire du fait que tout acteur ou témoin, en présence d’une caméra, cesse d’être lui-même et modifie son comportement pour se présenter sous tel ou tel jour… (…)

Dure leçon de chose. Acrimed n’a cessé de mettre en garde les contestataires (sans leur prescrire la « bonne solution ») contre les risques de la personnalisation et de la médiatisation à tous prix. Que les collectifs doivent être incarnés par des porte-paroles va de soi. Mais pas au point de laisser les médias construire des personnages médiatiques qui échappent aux collectifs : il en fut ainsi avec Georges Marchais ou plus récemment avec José Bové (le « gaulois destructeur de Mac Do ») ou Olivier Besancenot (le « facteur de Neuilly qui roule à bicyclette »). Que des contestataires veillent sur les conditions de leur médiatisation, rien de plus normal. Mais quand le souci d’obtenir de belles images militantes fait fi de toute réserve, c’est la crédibilité de la critique de la construction médiatique de l’information qui en pâtit.”

Pour ma part, je souhaite que le Front de Gauche et son principal porte-parole méditent ces lignes. Mais je sais aussi à quel point il est nécessaire pour nous de contrer sans cesse l’image de nous que donne à voir le système médiatique (cette image qu’hélas vous reprenez à votre compte). Mon camarade de l’OPIAM a d’ailleurs bien montré à quel point les médiacrates et les solfériniens s’efforcent (tout comme les antisémites soraliens ou les lepénistes patentés) d’exploiter à l’infini les images les plus repoussantes possibles d’un Mélenchon qui leur fait horreur. Car le storytelling à succès de la dédiabolisation de Marine Lepen va de pair avec la diabolisation, y compris visuelle, de Mélenchon et du Front de Gauche. Vous y contribuez vous-même, hélas, monsieur Guillon, par votre article malhonnête et l’écume qu’il suscite. Par exemple, sur Twitter, vous répondez aux militants du Front de Gauche qui n’ont pas apprécié votre malhonnêteté qu’ils ont “autant d’humour que ceux du FN”, et un dénommé Jean-Daniel Flaysakier (comique troupier qui se présente comme “journaliste professionnel et médecin aussi” — ne lui manquait plus que le titre de ministre du budget !) de surenchérir en vous répondant “plus que certains ! pas loin de la majorité” puis “c’est plus facile de desaliniser que de déstaliniser”. Cela doit être de l’humour de droite, je suppose.

Le procédé nous est désormais familier : “Mélenchon = Staline, Front de Gauche = FN, pasque les esstrêmes se rejoignent, ma bonne dame ! Tous des populiss !” Encore échappe-t-on pour cette fois à Hitler, Pol-Pot ou la Corée du Nord. Mais vous vous laissez tout de même aller à comparer JLM à “Dieudonné, cet ancien humoriste, aujourd’hui révisionniste, abonné désormais aux jeux de mots nauséabonds” et à évoquer les “anciens camarades” qui parlent “de vocabulaire des années 30, de relents antisémites”, recopiant ainsi les lamentables calomnies solfériniennes, et vous gardant bien de mentionner plutôt d’autres “anciens camarades” qui ont, eux, tels Julien Dray, l’honnêteté de reconnaître que “traiter Mélenchon d’antisémite, c’est imbécile et ça tue le débat nécessaire“. Je renvoie encore une fois à la lecture de l’OPIAM pour une recension plus approfondie des crachats et vomis dont vos employeurs, monsieur Guillon, nous couvrent habituellement. Les chaînes Canal + et iTélé n’ont de leur côté pas hésité à diffuser des images bidonnées d’une autre manifestation plus clairsemée datant de la veille (sans que vous vous émussiez d’ailleurs de cette “illusion”-là) pour accréditer le mensonge solférinien d’un échec de la manif du 1er décembre. Je vous l’accorde : c’est sans doute le signe du succès mitigé de cette marche, car si cette manif avait réuni des centaines de milliers de personnes, les chaînes de télé auraient plutôt ressorti des images de la Wehrmacht défilant sur les Champs-Elysées en 40 ou des chars soviétiques à Prague en 68. Décidément, contrairement à ce que vous affirmez, il n’y a pas grand mal à agiter quelques drapeaux derrière Méluche interviewé par Claire Chazal et à ne pas perdre du temps à la détromper lorsqu’elle croit que c’est la manif qu’elle aperçoit au fond (après tout, depuis combien de temps n’a-t-elle pas vu une manif de près ? Faut comprendre, elle n’est que femme-tronc, pas reporter de balcon).

Mais parlons encore un peu “bidouille”, puisque vous êtes amateur. Le reporter de balcon qui a “révélé” que Mélenchon était “seul” (avant que des milliers de personnes ne remplissent la rue) travaillait selon vous pour Euronews. Pas de bol, c’est faux. Stefan de Vries (peut-être passé de son balcon à son salon) a même pris la peine de vous signaler lui-même votre erreur dans les commentaires de votre article en ligne. Ce n’est pas la plus grosse de vos erreurs, mais reconnaissez que ça la fout un peu mal, pour un mec qui prétend dénoncer une bidouille. Plus grave : vous laissez entendre que la scène filmée par TF1 “complice” de Mélenchon vise à masquer le fait que celui-ci est “quasiment seul” alors qu’il avait “promis la foule des grands jours”. Tout d’abord, Méluche n’est pas un monsieur météo de la mobilisation, et il n’a pas le pouvoir de faire pleuvoir les foules ni même de les prédire. Il n’avait rien “promis”, malgré les relances stupides des journalistes qui lui demandaient des chiffres, mais avait espéré (c’est bien légitime) une forte mobilisation, reconnaissant tout de même la veille sur Canal + (la chaîne des truqueurs) qu’il avait un “petit trac”. Ensuite, la photo du reporter de balcon, qui n’a d’abord que très peu été “retweetée” lorsque son auteur l’a publiée sur Twitter, n’a commencé à faire le buzz que lorsqu’elle a été reprise par l’extrême-droite et les complotistes qui sévissent sur internet (voir encore les explications de JLM sur son blog). C’est donc la propagande fasciste de caniveau que vous relayez à votre tour ! Car quoi que vous pensiez de la mise en scène de TF1, l’avenue vide au moment de l’interview a bel et bien été remplie après celle-ci par une foule nombreuse. En comparant JLM à “Sarkozy convoquant des figurants habillés en ouvrier lors de la visite d’un chantier”, vous accréditez, comme les fachos et les conspirationnistes, l’idée qu’il n’y aurait pas eu de manifestants du tout, à part 20 “figurants”. Or, non seulement ceux qu’on voit derrière JLM lors de l’interview sont de vrais manifestants du PG, et non des figurants, mais ils ont bel et bien été ensuite des milliers dans la rue à former “la foule des grands jours”, si ce n’est la foule des très grands jours.

Nous en venons à la question du chiffrage. Combien étaient-ils finalement, ces manifestants ? Vous avez une idée très précise, et indubitablement erronée, sur la question :

“Comment un homme qui, il y a deux ans, rassemblait 120 000 personnes, peine-t-il aujourd’hui à en réunir 7 000 ?”

manif du 1er décembre
7000 manifestants ? Soyons sérieux !

Il aurait pu vous venir à l’esprit qu’en pleine démoralisation due à la politique austéritaire de Hollande, après l’épisode difficile pour le Front de Gauche des divisions parisiennes orchestrées de main de maître par les Solfériniens, la mobilisation de ce froid dimanche de décembre, sans être aussi spectaculaire bien sûr que celle de la campagne présidentielle d’un printemps 2012 encore plein d’espoirs, était tout de même une sacrée putain de prouesse. Notons que vous admettez les chiffres de 120000 donnés par JLM “il y a deux ans”, mais que vous ne reprenez pas les 100000 annoncés cette fois-ci. Mais pourquoi croire le Méluche de mars 2012 et pas celui de décembre 2013 ? Vous préférez prendre pour argent comptant le nombre ridicule et impossible de 7000 annoncé par Valls alors que la préfecture avait déclaré qu’elle ne donnerait pas de chiffres. Pourquoi ? Comme le relate Acrimed, le nombre de 100000 peut être contesté (puisqu’on sait d’avance, depuis la dernière marche pour la VIe République, que Valls annoncera n’importe quoi, il est tentant de charger la mule dans l’autre sens) mais les observateurs les plus sérieux ont tous parlé de dizaines de milliers de manifestants, c’est-à-dire davantage que les Benêts Rouges de Bretagne la veille. A ce titre, un des objectifs de cette manif a bien été rempli. En professionnel de la comédie, vous goûterez peut-être, monsieur Guillon, ce commentaire de François Delapierre qui m’a fait bien rire (dans A Gauche n°1371) :

“J’invite ceux qui chipotent sur les 100000 marcheurs du 1er décembre à organiser une manifestation en faveur de la politique fiscale du gouvernement. Qu’ils mettent sur leur banderole les slogans de Hollande : “le travail coûte trop cher”, “20 milliards pour le patronat, ça créera des emplois”, “une seule solution, la compétitivité” ou un slogan plus direct, “cajolons les actionnaires, pas les salaires.” Nous comparerons ensuite les cortèges.”

Avouez que c’est tout de même plus drôle et plus mordant que la propagande solférienne que vous nous infligez dans l’ex-Libé, non ? Il faut dire que cette propagande, peu réputée pour ses effets comiques volontaires, vous la recopiez décidément avec un zèle de bon bourrin bien dressé et sans la moindre distance ironique. Vous dressez ainsi une liste entièrement falsifiée de “provocations” de Mélenchon :

  • Cuba n’est pas une dictature“, aurait-il dit. Oui, mais vous tronquez ses propos, oubliant de mentionner que dans la même interview sur France Inter le 5 janvier 2011 (voir l’extrait vidéo sur Arrêt sur images), il avait aussi affirmé : “ce n’est pas une démocratie comme nous l’entendons“, avant de préciser que s’il défendait l’expérience socialiste cubaine dans le contexte latino-américain, il n’était évidemment pas question de prôner un tel modèle pour la France. C’est un point de vue contestable, si vous voulez, mais bien plus nuancé que vous ne le laissez paraître, tout occupé que vous êtes à faire endosser à Mélenchon le costume de dictateur stalinien que veulent lui tailler la droite décomplexée (UMP, UDI…) et la droite complexée (PS).
  • Pierre Moscovici ne pense pas français mais finance internationale” est une citation elle aussi tronquée et falsifiée, celle utilisée par les médiacrates (Quatremer, Aphatie…) et les solfériniens (Désir, Attali…) pour porter une stupide autant qu’ignoble accusation d’antisémitisme contre JLM. En tant que commentateur de l’actualité, et puisque vous avez fait l’effort de recenser les phrases de Mélenchon ayant suscité des polémiques ces derniers mois, vous ne pouvez ignorer que cette citation est fausse, comme l’a révélé aussitôt Michel Soudais dans l’hebdomadaire Politis le 24 mars 2013. Ce qu’a réellement dit JLM à propos de Moscovici (qui venait d’accepter que la troïka raquette la pauvre population chypriote), c’est : “Donc il se met dans leurs mains. Donc c’est un comportement irresponsable. Ou plus exactement c’est un comportement de quelqu’un qui ne pense plus en français… qui pense dans la langue de la finance internationale.” Comme l’explique Michel Soudais, “ce que reproche Mélenchon à Pierre Moscovici ce sont bien ses actes politiques, dans le cadre de ses fonctions. Pas autre chose. Et si le PS entend autre chose, c’est évidemment pour des raisons inavouables.”
  • Le Petit Journal est la vermine du FNsemble être pour vous une phrase infâmante. N’ayant jamais vu cette émission, je veux bien cette fois me fier à votre jugement et convenir qu’en disant cela, JLM ait pu être vraiment trop trop méchant avec de braves journalistes consciencieux. Mais il m’est arrivé de lire des choses pas jolies jolies sur les turpitudes du Petit Journal. J’aurais donc tendance à faire plutôt confiance à mon camarade Antoine Léaument lorsqu’il démonte minutieusement la façon dont cette émission participe à la diabolisation médiatique de Mélenchon, pendant de la dédiabolisation de Marine Le Pen.
  • Les Normands sont des alcooliques et des Français arriérés“, voilà encore une phrase provocatrice, selon vous. Je note en passant que vous avez les mêmes indignations que le site d’extrême-droite Riposte Laïque. Là encore, vous sortez avec malveillance une phrase de son contexte et la déformez. C’est en effet lors d’un entretien de février 2013 avec une radio marocaine au sujet de son enfance à Tanger que JLM a raconté qu’il avait été “horrifié”, enfant venant d’une grande ville multiculturelle d’Afrique du Nord, de découvrir en arrivant en Normandie une population «d’alcooliques et d’arriérés». «La France des campagnes était extraordinairement arriérée par rapport au Maroc des villes», précisait-il. JLM parlait donc du déracinement d’un jeune pied-noir urbain transplanté brutalement dans la France rurale du début des années 60. Quel choc pour un gosse de 11 ans venant d’un pays musulman de découvrir les ravages massifs de l’alcool ! Il faut vraiment être con ou malhonnête (en ce qui vous concerne, je le répète, je penche pour la seconde hypothèse) pour voir dans ce témoignage du mépris pour les Français d’aujourd’hui et pour nier que l’alcoolisme ait pu être un sacré problème dans la France des années 60.
  • “Le vieux cabot de la politique, dites-vous, ne supporte pas la relève. Ainsi les Bretons qui lui ont volé sa révolution sont «des esclaves manifestant pour les droits de leur maître».”  Encore une falsification grossière, non pas du discours de JLM, cette fois, mais de la situation politique. Non, le mouvement des Benêts Rouges ne représente pas “les Bretons”. Il y a aussi des salariés bretons qui ne défilent pas derrière leurs patrons mais plutôt contre eux. Il y a aussi des Bretons qui ne défendent pas l’agriculture productiviste polluante, qui ne suivent pas le Medef, le FN, les Identitaires et les Régionalistes. Et non, monsieur Guillon, les Bretons qui s’y sont laissés prendre ne représentent pas “la relève” de la révolution citoyenne et écologique que 4 millions d’électeurs ont appelé de leurs voeux en 2012. Si on laisse aux “nigauds” le terrain de la gronde fiscale populaire, il y a au contraire un sérieux risque de contre-révolution, voire de réaction de type fascisant. Métaphoriquement parlant, sommes-nous en 1788 ou en 1940 ? C’est là tout l’enjeu pour qui, comme JLM, a quelque connaissance des moteurs de l’histoire.
Guillon en Porsche
Le pourfendeur de la classe affaire préfère Porsche.

Votre papier, décidément fort peu satirique, mais tout à fait propagandiste, sombre aussi dans le poujadisme de bas-étage en évoquant la marotte de l’extrême-droite : les indemnités de député européen de Mélenchon (“exonérés de CSG et de CRDS”, tenez-vous même à préciser, vous qu’on a vu bien moins soucieux d’exactitude par ailleurs). Vous abaissant au niveau du premier trolleur soralien venu, vous faites mine d’avoir été surpris que JLM puisse s’offrir la classe affaire en avion (au point qu’il vous ait fallu aller vérifier sa déclaration de patrimoine) alors qu’il a toujours dit que ses revenus d’élu faisaient de lui un privilégié, nonobstant le fait qu’il reverse une grande partie de ses revenus à son parti (ce que vous oubliez bien sûr de mentionner). Alors qu’on trouve sur le premier moteur de recherche venu des photos de vous au volant de votre Porsche, vous vous indignez que “le porte-parole des oubliés, des laissés pour compte”, passé l’âge de 60 ans, opte, puisqu’il en a les moyens, pour un peu de confort lorsqu’il part défendre justement la cause des oubliés et des laissés pour compte à l’autre bout du monde. Peut-être vous siérait-il davantage qu’il allât à la rame nouer contact avec les gauches latino-américaines dont vos amis solfériniens disent tant de mal depuis leur salon après n’en avoir vu que ce que montre la propagande nord-américaine ?

Malgré vos propos sur Twitter contre les militants du Front de Gauche, votre malhonnêteté ne peut s’abriter derrière l’excuse de l’humour, car en paraphrasant laborieuseusement dans votre article les éléments de langage et les mensonges de la rue de Solférino, vous ne vous êtes même pas laissé l’espace de quelques bons mots. Vous pourriez au contraire assumer d’être sorti de votre rôle d’humoriste et de vous être exprimé en tant que citoyen engagé. Ce serait plus honnête. Car vous avez parfaitement le droit d’adhérer au projet austéritaire du gouvernement actuel et du parti qui le soutient, et vous avez parfaitement le droit de combattre politiquement les positions de Jean-Luc Mélenchon. Il ne vous serait d’ailleurs pas interdit non plus d’essayer de le faire avec drôlerie, mais je dois reconnaître que c’est sans doute très difficile. Même François Hollande, réputé pour son humour, ne s’y essaie même plus en public.

N’allez surtout pas croire, monsieur Guillon, que cette lettre ouverte émane d’un des ces militants (il y en a, hélas, même dans mon parti) qui ne supportent pas qu’on déboulonne leur leader maximo. Daniel Schneidermann, dans le même ex-journal que vous, a aussi écrit des choses assez dures sur Mélenchon et la manif du 1er décembre. Je ne partage pas du tout son analyse psychologisante du comportement de Mélenchon sur les plateaux télé, ni de la façon dont s’est retrouvée éclipsée la question de l’injuste augmentation de la TVA (que nous n’avons pas fini de combattre), mais je n’irai pas pour autant lui écrire une lettre ouverte vindicative, car contrairement à vous, il ne verse pas dans la falsification et dans la propagande déguisée. J’ai même envie de conclure en le citant, car un passage de son texte me semble faire mouche et devoir nous inciter, nous militants du Front de Gauche, à réflexion :

“Pendant ce temps, ce dont on ne parle plus, c’est la scandaleuse hausse de la TVA qui va frapper les pauvres, ceux qui ne peuvent pas protester, ne sont même pas venus à la manif de Mélenchon parce qu’ils n’en ont pas l’idée, parce que c’est Paris, parce que c’est loin, parce que même Mélenchon quand il passe à la télé, ce n’est plus pour parler de la TVA, c’est pour répondre à Trapenard et à Aphatie qui lui balancent des fausses images, c’est pour jouer avec eux, jouer à un jeu cruel et incompréhensible, jeu mortel où il a tout à perdre et si peu à gagner, mais jouer avec eux, vivre avec eux, les retrouver matin, midi et soir, de micro en micro, accepter ce destin d’être le repoussoir fétiche du pays enchanté, leur doudou râleur, un peu rugueux, mais qui se laisse tout de même caresser à la fin, et reviendra demain.”

S’il est vrai que Mélenchon gagnerait à passer moins de temps avec les Trapenard et Aphatie, je me dis qu’après vous avoir écrit cette longue lettre, je devrais peut-être passer moins de temps avec vous, Stéphane Guillon. C’est pourquoi j’éviterai sans doute à l’avenir d’aller à vos spectacles ou de lire vos articles. Bon vroum-vroum et la bise à Harlem.

A bas Charlie Hebdo, vive Charia Hebdo !

Les laïcards anticléricaux sont-ils condamnés à être les idiots utiles de La Pen (de mort) et à finir en apôtres islamophobes du “choc des civilisations” ? La gauche anticapitaliste et antiraciste est-elle condamnée à tolérer l’intégrisme islamiste, voire à s’acoquiner avec lui pour peu qu’il nuise à “l’Empire” et aux tartuffes qui vivent du spectacle de la contestation sans contester vraiment le Spectacle ?

Tel est le triste dilemme que soulève une fois de plus l’affaire “Charia Hebdo”. Charia HebdoRappelons les faits. Après la victoire du parti islamiste en Tunisie et l’annonce de l’instauration de la charia par le nouveau pouvoir libyen, l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo avait annoncé dès lundi 31 octobre 2011 que son numéro du mercredi 2 novembre serait rebaptisé “Charia Hebdo”. En une, un Mahomet dessiné par Luz et présenté comme “rédacteur en chef” de ce numéro exceptionnel, annonçait, goguenard : “100 coups de fouet si vous n’êtes pas morts de rire !” Dans la nuit du 1er au 2 novembre, les locaux de Charlie Hebdo étaient incendiés par jets de cocktail Molotov. Dans le même temps, le site web du journal était hacké par un groupe islamiste turc, l’hébergeur belge du site refusait de le remettre en ligne suite à des menaces de mort, et Facebook bloquait la page Charlie Hebdo sur son réseau antisocial. Bref, même s’il n’est pas établi que l’attentat ait été commis par des islamistes, le journal a bel et bien subi des représailles consécutives à la parution du numéro spécial “charia”.

Si l’attentat a été assez unanimement condamné dans les media et dans le monde politique, certaines voix ont tout de même émis un son discordant. Ainsi Daniel Schneidermann, dans Rue 89, désignait l’opération “Charia Hebdo” comme une “provocation pas drôle”. Mais comment un journal satirique tel que Charlie Hebdo pourrait-il ne pas être “provocateur” ? A titre personnel, j’aimerais aussi rétorquer au créateur d’Arrêt sur images que j’ai au contraire trouvé cette “provocation” très drôle, et même franchement bien vue dans le contexte, mais évidemment, le débat n’est pas là.

“Le con étant la cible naturelle de Charlie, on comprend (oups) que son combat (re-oups) le porte naturellement vers les sujets piège à con, plutôt que vers les dossiers compliqués (bon, j’arrête), comme, au hasard, la crise de l’euro, dans lequel les cons et les pas cons sont plus délicats à départager.”

Schneidermann s’essayant à l’humour avec des calembours à base de “cons” (et visiblement pas très sûr lui-même d’être drôle) fait ici référence à la célèbre une de Charlie Hebdo qui faisait dire (déjà) à Mahomet “c’est dur d’être aimé par des cons” en 2006 lors de l’affaire des caricatures. Puisqu’il accuse aussi Charlie de faire de ce type de “provocation” son “fond de commerce”, on peut tout de même noter que près de 6 ans se sont écoulés entre les deux “provocations”. Le rythme des “provocations” n’est donc pas si excessif. Accuser enfin Charlie de ne pas parler de “la crise de l’euro”, c’est oublier un peu vite que Bernard Maris écrit chaque semaine dans Charlie Hebdo un ou deux éditoriaux traitant d’économie et, notamment, de la question de l’euro (l’ex-directeur de la BCE Jean-Claude Trichet y a été maintes fois critiqué de façon bien plus virulente que ce brave Mahomet). J’ai beau avoir exécré les prises de position de Philippe Val du temps où il dirigeait le journal, avoir été indigné par la façon dont le même Val avait calomnié puis viré Siné en 2008, par la façon dont l’actuel directeur Charb avait alors lâchement obéi à son maître et abandonné son “ami” Bob, je ne comprends décidément pas le procès en sorcellerie fait par Schneidermann contre Charlie Hebdo. Il y avait assurément des reproches plus pertinents à adresser à ce numéro précis de Charlie (j’y reviendrai plus loin).

De même je ne comprends pas l’article de Matthias Reymond sur ACRIMED, qui fait le parallèle entre l’attentat contre Charlie Hebdo et un autre commis quelques jours plus tôt contre un squat abritant des familles roms. Il est sans doute significatif que le monde médiatique se soit ému du sort de confrères plus que de celui de Roms. Mais en quoi peut-on le reprocher à Charlie Hebdo (qui consacre par ailleurs une chronique hebdomadaire aux expulsés et qui n’a jamais couvert de louanges la politique anti-Roms de Sarko, Hortefeux et Guéant) ? Moi qui me suis souvent régalé des attaques d’ACRIMED ou du Plan B contre Val et son hebdo, j’avoue que je ne suis plus. Et lorsque je lis les tweets de Mona Chollet, la dénonciation d’un “coup de pub” par Serge Quadruppani, gens dont j’apprécie par ailleurs habituellement les écrits, et que je vois une pétition “pour la défense de la liberté d’expression contre le soutien à Charlie Hebdo”, je me demande si je n’ai pas la berlue. Car parmi les pétitionnaires figurent les journalistes Olivier Cyran et Sébastien Fontenelle qu’on a déjà vu mieux inspirés mais aussi deux membres d’une association “Participation et Spiritualité musulmanes” (sic !). Ils affirment :

“qu’un cocktail molotov lancé la nuit dans des locaux vides et n’occasionnant que des dégâts matériels ne mérite pas une mobilisation médiatique et politique supérieure à celle, pour le moins discrète, qu’occasionne l’incendie ou la mise à sac d’une mosquée ou d’un cimetière musulman”.

A cela, on peut tout de même répondre qu’il est difficile lorsqu’on incendie de nuit des locaux d’être sûr à 100% que ceux-ci sont vraiment vides et que le feu ne risque pas de s’étendre à une zone habitée. Le geste n’est donc pas bénin. On peut aussi répondre que Charlie Hebdo, victime de cet incendie, n’est en rien responsable de “la couverture médiatique et politique” qu’il a occasionné, et qu’enfin cette couverture médiatique dépend aussi (malheureusement sans doute) de la notoriété de la victime. Ainsi, si d’aventure je m’amusais à taguer “ni Allah ni maître” sur le mur de tel lycée de ma connaissance au nez à la barbe (c’est le cas de le dire) des “frères” qui racolent régulièrement devant ses portes, et si par la suite mon logement était incendié, quelque chose me dit que la couverture médiatique de l’événement serait encore plus faible que celle d’un saccage de mosquée ou de cimetière musulman.

Les pétitionnaires affirment encore :

“que la disproportion entre les unes alarmistes sur l’incendie de Charlie Hebdo et les brèves de dix lignes sur les saccages de lieux de culte musulmans entretient une vision du monde raciste : si un saccage est plus grave qu’un autre, c’est que les biens des uns sont plus précieux que les biens des autres, et c’est en définitive que les uns valent plus que les autres.”

On ne peut nier, évidemment, que le racisme soit un fléau dans ce pays, que la discrimination, notamment à l’embauche ou en matière de logement, y soit une réalité, et il est évident que la droite nationale-sarkozyste et l’extrême-droite ont tout intérêt à faire une lecture islamophobe de l’événement. Mais on ne peut pour autant décréter que le traitement médiatique de l’incendie de Charlie Hebdo dans sa globalité soit de nature à entretenir “une vision du monde raciste”. Ou alors on suit le même chemin que Val et son copain BHL qui voient dans toute critique du sionisme, de l’impérialisme et du néocolonialisme une preuve d’antisémitisme.

Je passe plus rapidement sur le reste du texte de la pétition, qui défend la “liberté” des femmes musulmanes à porter le voile (sic !), et qui dénonce “la nouvelle marque de fabrique” de Charlie Hebdo : “un anticléricalisme primaire doublé d’une obsession islamophobe”. Voici donc qu’après avoir utilisé la même technique délirante que Val pour dénigrer par avance les arguments de l’adversaire (forcément “antisémite” pour Val, forcément “islamophobe” pour nos braves pétitionnaires), nos camarades pourfendeurs du racisme ordinaire (au point d’en voir même là où il n’y en a pas) attaquent ici Charlie Hebdo pour “anticléricalisme primaire”, expression qu’on eût pu attendre de Christine Boutin ou d’un quelconque démocrate-chrétien moisi dans l’eau bénite, mais qui est décidément plus surprenante venant d’adversaires de l’ordre national-sarkozyste. Comment Olivier Cyran, qui a longtemps écrit lui-même dans Charlie Hebdo, a-t-il pu signer un tel tissu de conneries ? Des rancœurs personnelles peut-être entièrement légitimes contre ce journal ne peuvent justifier de tels amalgames.

A tous ces camarades si islamophiles, j’ai envie de répondre que Charlie Hebdo a toujours été anticlérical, et que, du temps de Choron par exemple, il l’était même avec bien plus de virulence qu’aujourd’hui. Les religions juive ou chrétienne, entre autres, y ont été largement brocardées. Le traitement réservé à l’Islam par Charlie Hebdo en lien avec l’actualité (événements de Libye et de Tunisie) n’a rien de choquant. Pour qui a pris la peine de lire le numéro “Charia Hebdo”, il est clair, à moins d’être demeuré ou de mauvaise foi, que la satire porte sur l’islamisme politique et non sur les musulmans, tel l’article de la franco-marocaine Zineb El Rhazoui qui donne quelques exemples tragiquement ridicules d’application de la charia. Charlie Hebdo n’a empêché personne de croire au dieu de l’Islam, n’a brûlé aucune mosquée, n’a pas appelé à la haine raciale et n’a prôné aucune discrimination contre les musulmans. Quadruppani, qui a autrefois écrit dans Siné Hebdo, hebdomadaire du très anticlérical Siné, dit sur son blog que ses amis tunisiens “n’ont pas besoin que des crétins laïcards excitent les crétins barbus”. Mais le propre des crétins barbus n’est-il pas précisément de s’exciter pour pas grand chose (un adultère, une mèche de cheveux qui dépasse d’un foulard de femme, un bout de lardon oublié dans un plat, un simple dessin…) ? Ces “crétins barbus” si prompts à lancer des menaces de mort pourraient très bien se moquer avec humour des mécréants sans risquer que des “crétins laïcards” les menacent ou les agressent physiquement. Tout ce qu’ils risquent en retour est un blasphème bien senti, mais un blasphème n’est qu’un mot, et leur dieu devrait être au-dessus de ça, à moins qu’il ne soit qu’un mot lui aussi : CQFD.

Siné, qu’on ne peut suspecter de sympathie pour l’équipe de Charlie Hebdo, qui fut — rappelons-le — militant actif de la cause algérienne en pleine guerre d’Algérie, et qui est encore pro-palestinien et anticolonialiste, écrivait dans sa zone du 18 octobre 2011 : “Même le restau chinois à côté de chez moi, est devenu ‘halal‘, c’est dingue ! Noisy-le-Sec ressemble de plus en plus à La Mecque”. Et le vieux Bob de déplorer la mode du “crâne rasé” et “barbouze” à côté de “femmes emmitouflées dans leur linceul”. Voilà qui est plus cinglant que les gentilles caricatures de Charia Hebdo, ce qui a peut-être échappé à nos si vigilants pétitionnaires antiracistes. Il serait d’ailleurs plaisant qu’ils osent accuser Siné de racisme et d’islamophobie… Le fondamentalisme musulman et sa prétention à régenter la vie privée mais aussi à occuper l’espace politique est bel et bien un fléau qui gagne du terrain dans des pays de vieille culture musulmane mais aussi en France. Le dire et s’en inquiéter n’est pas faire acte de racisme ou d’islamophobie, même si cet état de fait est évidemment pain bénit pour l’extrême-droite. La gauche ne doit pas l’ignorer, et doit au contraire s’efforcer de réoccuper le terrain sur lequel son absence a créé le vide dans lequel se sont engouffrés les militants islamistes (et aussi les militants du FN). Car c’est bien la démission de l’État, les politiques antisociales de ces dernières années, et le déclin des organisations militantes de gauche (associations, syndicats et partis) qui ont permis aux islamistes de s’engouffrer dans la brèche. La seule réponse qui vaille à ce problème est sociale, et il est évidemment vain et stupide d’interdire la burqa si dans le même temps le peuple est livré à la misère et à une indignité que seul le repli identitaire ou religieux peut illusoirement atténuer. Or, ce n’est pas en cédant à la peur, ou en pratiquant une autocensure destinée à éviter toute manifestation qui pourrait être prise comme une “provocation” tant par les barbus que par les fachos, que l’on peut espérer mobiliser le peuple dans les luttes sociales qu’il est plus que jamais urgent de mener. Une telle stratégie ne ferait que légitimer encore davantage les religieux qui, loin de s’inscrire dans la nécessaire lutte des classes, seront les premiers à aller se goinfrer dans les salons du pouvoir national-sarkozyste, sitôt que le petit président de l’ex-République leur proposera un rôle officiel une fois la loi de 1905 abrogée.

Oui, “Charia Hebdo” m’a fait rire, et je considère que pouvoir se moquer de toutes les religions, dans un pays laïque, est la moindre des choses. Charlie Hebdo n’est pas ce qui se fait de plus féroce en la matière.

Pour ma part, je revendique le droit de proférer des propos bien plus sacrilèges que ceux de Charlie Hebdo, et sans même prétendre à être drôle. Par exemple :

  • Il y a plein d’autres dieux que “Dieu” (mais aucun, de toutes façons, n’est un vrai dieu), et personne, pas même Mahomet, n’est leur prophète.
  • La religion est l’opium du peuple (ceci n’est pas une citation de Groucho Marx).
  • Les dieux et leurs interdits à la con ont été inventés par des hommes pour légitimer leur domination.
  • Ni Allah ni maître !

Depuis plusieurs milliers d’années, les croyants ont dit bien pire des athées, et ont commis bien des crimes au nom de leur(s) dieu(x). Quant à moi, en proférant ces “blasphèmes” que je tiens pour des vérités, je ne tue personne, je ne mutile personne, je n’empêche personne de croire, je n’attente à la liberté de personne. Le fait que je consacre quelques lignes à ce sujet alors que je n’ai pas parlé de tel ou tel autre fait divers dont ont pu être victimes des musulmans ou des étrangers ne fait pas de moi un islamophobe ou un raciste.

Même si ses dessins me font souvent marrer (ce qui fait que j’ai finalement recommencé à lire Charlie Hebdo après le départ du sinistre Val), je considère que Charb, l’actuel directeur de Charlie Hebdo, ainsi que les autres membres de l’équipe qui ont fermé leur gueule lors du lynchage de Siné, sont de fieffés coquins, de sales traîtres, ou de piteux lâches. Cependant, des coquins, des traîtres et des lâches peuvent aussi être drôles ou écrire des choses intéressantes. Certains complotistes hystériques (gros fachos mais aussi gens de gauche) ont accusé Charlie Hebdo d’avoir commis une escroquerie à l’assurance en faisant incendier ses propres locaux. D’autres, dans un registre similaire, parlent d’un coup monté pour doper les ventes et renflouer des comptes pas brillants. C’est complètement con, et quand bien même Charlie Hebdo aurait voulu sciemment susciter le scandale à des fins publicitaires, il n’en reste pas moins que ce journal satirique de tradition anticléricale est tout à fait dans son rôle en caricaturant les religions, y compris la musulmane. L’idée de faire un numéro intitulé Charia Hebdo, dans le contexte de l’automne 2011, était fort bonne, et si j’étais à la place de Charb, je rebaptiserais définitivement ainsi le journal.

Le plus étonnant dans cette histoire, c’est qu’en se focalisant sur une satire anticléricale pourtant très légitime, des gens aussi engagés à gauche que Cyran, Fontenelle, Chollet, Quadruppani ou même Schneidermann sont complètement passés à côté d’un article de ce numéro de Charlie Hebdo qui, lui, était éminemment plus critiquable. Il s’agit d’un article signé Paul Klein intitulé “Mélenchon, le candidat AAAAA”. Le journaliste y dénonce le happening du Parti de Gauche qui avait investi le 21 octobre 2011 le siège parisien de l’agence Moody’s aux cris de “A, A, A, nous ne sommes pas des andouillettes !”. Apparemment, cette opération n’a pas fait rire Paul Klein. Décidément, entre Klein et Schneidermann, il y en a qui devraient peut-être péter un coup, des fois. Toujours est-il que l’article enchaîne une série de reproches foireux contre Mélenchon, parce qu’il avait osé dire : “L’agence Moody’s prétend qu’elle va surveiller le peuple français, le peuple français l’informe qu’il surveille Moody’s”.

Premier reproche, alambiqué : “Moody’s ne surveille pas le peuple français, mais l’état des finances du gouvernement français”. Mélenchon aurait donc tort. Monsieur Klein n’a apparemment pas compris que cette surveillance vise justement à pousser le gouvernement à ne céder en aucun cas aux revendications sociales du peuple. Il s’agit donc bien, indirectement certes, mais clairement tout de même, d’une surveillance exercée sur le peuple auprès de qui le gouvernement joue le rôle de garde-chiourme au service de l’oligarchie financière et de ses dévouées agences de notation. Un journaliste écrivant dans un journal qui se prétend de gauche devrait le comprendre d’emblée.

Deuxième reproche : “S’il y a donc une action à mener, elle doit viser le gouvernement et non les agences de notation”. Parce que l’un empêcherait l’autre ? Un peu comme si se moquer de la charia empêchait de dénoncer les discriminations subies par des musulmans et faisait des moqueurs d’abominables racistes, en somme… Mélenchon ne réserve-t-il donc ses critiques qu’aux agences de notation et épargne-t-il le gouvernement ou les media ? Sur quelle planète vit donc Monsieur Klein ? Et dès lors que le gouvernement se soumet aux agences de notation, n’est-il pas quelque peu logique et légitime de les attaquer elles aussi ?

Troisième reproche : Mélenchon ose parler “au nom du peuple”. Et Klein de faire sur le champ un parallèle avec la Terreur de 1793 ! Du coup, je me demande si ce Paul Klein ne serait pas en fait Philippe Val revenu incognito à Charlie Hebdo pour dénoncer dans tout discours de gauche une dérive terroriste-antisémite-totalitaire-islamiste (rayez la mention inutile). L’auteur de l’article aura donc oublié que Mélenchon est bel et bien un élu du peuple (député européen et conseiller régional), qu’il est de bon ton chez les élus de parler “au nom du peuple”, quand bien-même ils n’en représentent en réalité qu’une fraction, et qu’en l’occurrence la tirade de Mélenchon avait un côté bravache délibérément comique (le petit Parti de Gauche français qui essaie de faire peur au géant Moody’s devant lequel tremblent les gouvernements de ce monde, c’est à l’image du courage désabusé voire désespéré dont font preuve de nos jours les mouvements sociaux).

Quatrième reproche : “les gens qui travaillent chez Moody’s ne sont-ils pas français ? Ne font-ils pas partie du peuple français ?” Paul Klein, décidément obtus, n’a pas compris que Mélenchon et ses camarades ne manifestaient pas contre les employés de Moody’s mais contre Moody’s, et il ne lui est pas venu à l’esprit que parmi ces employés, il y avait peut-être des électeurs du Front de Gauche riant sous cape. Car Monsieur Klein l’ignore sans doute, mais toute la gauche n’est pas salariée ou pigiste à Charlie Hebdo. On a même déjà vu des élus de gauche employés du Crédit Lyonnais ou de la Poste, alors pourquoi pas Moody’s ?

Cinquième reproche : “il ne sert à rien de nier qu’il s’agit d’un acte de violence”. Là, on ne peut que se demander si la gauche façon Klein a déjà participé à une lutte sociale. Pour voir dans ce petit happening bon-enfant destiné à mettre les rieurs du côté du Front de Gauche un acte de violence robespierriste, il faut vraiment avoir renoncé à toute forme de lutte. Etre de droite, en somme.

Sixième reproche : “d’un candidat de gauche, on attend un discours qui s’élève au-dessus de la pensée magique (où les agences de notation font figure de fétiches malveillants) ainsi d’ailleurs que du manichéisme opposant les méchants Américains menaçant la paix du monde aux gentils Chinois, victimes des Tibétains”. A nouveau, Paul Klein ne voit donc pas que les agences de notation sont des acteurs parmi d’autres du coup d’Etat financier qui s’opère sous nos yeux, et que les dénoncer n’empêche pas de critiquer l’ensemble du mécanisme, ce que le candidat du Front de Gauche ne manque assurément pas de faire aussi. En revanche, faire de Mélenchon un pro-chinois anti-américain primaire relève de la désinformation. Dans un livre* paru en 2010, Mélenchon écrivait, certes, que “la relation [avec la Chine] peut être plus équilibrée et stimulante qu’avec l’empire en déclin technique des États-Unis”. Et d’ajouter : “Que le régime chinois ne nous convienne pas est une chose. Que le capitalisme y fasse des ravages, de même. Mais que ce soit le prétexte pour laisser les seuls États-Unis s’accorder directement avec lui dans le cadre d’un G2 dorénavant très visible est une immense faute politique”. Une telle realpolitik ne fait peut-être pas rêver, et elle peut être critiquée. Mais le rééquilibrage des relations extérieures de la France prônée par Mélenchon ne fait pas de lui un admirateur béat du régime chinois. Quant au Tibet, Klein fait sans doute allusion aux propos tenus par Mélenchon à la télévision sur le plateau de Laurent Ruquier en 2008. Mais qu’a-t-il dit au juste ? Que le servage et la théocratie bouddhiste qui sévissaient au Tibet avant 1959 n’étaient pas meilleurs que la domination chinoise qui s’y est rétablie depuis (et qui remontait en fait au XIVe siècle), et qu’il est illusoire de penser qu’on puisse obliger aujourd’hui la Chine à renoncer à “25% de son territoire”. Bref, on peut éventuellement reprocher à Mélenchon une trop grande indulgence vis à vis de la Chine, mais un journal qui dénonce l’horreur et l’absurdité de l’application de la loi coranique devrait être un peu plus sensible à la critique d’une autre charia, même si l’obscurantisme bouddhiste a bizarrement meilleure presse en Occident que l’Islam le plus modéré.

A la fin de son article, Paul Klein profère enfin une énormité : “La crise actuelle vient de la pression que les marchés financiers font peser sur les États. Ces marchés n’ont pas besoin d’agences de notation pour mettre la France sous pression”. Or, les agences de notation sont précisément un des instruments grâce auxquels les marchés financiers exercent leur “pression” sur les États, et donc sur les peuples. Pourquoi s’interdire dès lors de dénoncer ces agences, même “à coups d’andouillettes” ? Ces andouillettes qui décidément n’ont pas fait rire Monsieur Klein n’étaient pourtant pas halal.

Charlie Hebdo journal islamophobe et raciste ? Cut the crap ! Charlie Hebdo reste un journal satirique anticlérical, voilà tout. Mais l’article de Paul Klein montre que l’esprit de Val hante toujours ce journal, qui reste capable donc, bien qu’il se revendique de gauche, du même délire antisocial et contre-révolutionnaire qui a permis jadis à Philippe Val de conquérir les beaux esprits germanopratins, si bien que celui qui se prenait pour Montaigne a fini comme Besson.

A bas Charlie Hebdo, vive Charia Hebdo !

* Jean-Luc Mélenchon, Qu’ils s’en aillent tous !, Flammarion, 2010.

De la putification (2) : Arrêtez les kahneries !

Dominique Strauss-Kahn, ex-probable candidat à la présidence de l’ex-République française, a démissionné du FMI, et son inculpation par l’injustice américaine pour agression sexuelle et tentative de viol à l’encontre d’une femme de chambre a été confirmée jeudi 20 mai 2011.

Est-il coupable ?

La réponse est oui. Comme le souligne Jean-Luc Mélenchon sur son blog, Dominique Strauss-Kahn a déjà fait des millions de victimes “avérées et prouvées” : les Grecs. En effet, le FMI, sous la direction de DSK, a imposé à la Grèce ruinée depuis le krach de 2008 une cure d’austérité et des privatisations qui ont poussé le peuple grec à faire huit grèves générales. “En un an, l’économie grecque a reculé de 7,4 %. Un recul sans équivalent dans le monde ! (…) Ce qui est incroyable c’est la cupidité des banksters. Ils ont d’abord ruiné le pays, ils continuent à l’étrangler avec des taux usuraires”, dit encore Mélenchon. Il faut évidemment préciser que DSK n’est pas le seul coupable. Il a pour complices Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et tant d’autres “chefs d’Etat” qui ne sont que les valets du capitalisme financier et qui ont, eux aussi, du sang sur les mains. Combien de vies brisées ? Combien de suicides ? Qui rendra justice au peuple grec et aux autres peuples victimes des mesures d’ajustement et des restructurations imposées par le FMI ? “Justice is done“, a proclamé Barak Obama après l’exécution sommaire de Ben Laden, présumé responsable des attentats du 11 septembre 2001. Les Grecs dont on viole sans vergogne les droits économiques et sociaux doivent-ils réclamer pour les coupables avérés de leur ruine le même type de châtiment ? Ironie du sort : DSK est en taule au moment où Jean-Marc Rouillan en sort. Justice is done ? Allons, encore un peu d’audace, monsieur Obama !

Coupable, Dominique Strauss-Kahn l’est aussi à l’égard des Palestiniens, victimes des exactions d’un Etat ségrégationniste auquel il a toujours apporté un soutien inconditionnel Il est même entré en politique précisément dans ce but, si l’on en croit ce qu’il affirmait en février 1991 dans le n°35 de la revue Passages :

« Je considère que tout Juif de la diaspora, et donc c’est vrai en France, doit partout où il le peut apporter son aide à Israël. C’est pour ça d’ailleurs qu’il est important que les Juifs prennent des responsabilités politiques. Tout le monde ne pense pas la même chose dans la Communauté juive, mais je crois que c’est nécessaire. Car, on ne peut pas à la fois se plaindre qu’un pays comme la France, par exemple, ait dans le passé et peut-être encore aujourd’hui, une politique par trop pro-arabe et ne pas essayer de l’infléchir par des individus qui pensent différemment en leur permettant de prendre le plus grand nombre de responsabilités. En somme, dans mes fonctions et dans ma vie de tous les jours, au travers de l’ensemble de mes actions, j’essaie de faire en sorte que ma modeste pierre soit apportée à la construction de la terre d’Israël. »

Combien de morts la construction d’Israël si chère au coeur de DSK a-t-elle causés ? A l’évidence, il ne sera jamais jugé pour cela.

Dominique Strauss-Kahn est-il pour autant coupable de crimes sexuels ? Il reste “présumé innocent”, jusqu’à preuve du contraire, bien sûr, et si sa culpabilité n’a plus besoin d’être démontrée dans le domaine politique, la procédure de droit commun, elle, ne fait que commencer aux Etats-Unis. Ajoutons que nul homme, fût-il un authentique pervers sexuel et un criminel, ne mérite d’être humilié publiquement devant les caméras du monde entier ni de subir l’inhumanité barbare du système carcéral américain (ni même du système carcéral français, qui ne vaut pas mieux). Il n’est pas juridiquement prouvé que DSK ait violé une ou plusieurs femmes, ni même qu’il en ait harcelé sexuellement. A la faveur des derniers évènements, surgissent dans les médias des témoignages qui laisseraient entendre que Dominique Strauss-Kahn “aime les femmes” au point de les draguer très “lourdement”, voire pire, si l’on en croit Tristane Banon, Piroska Nagy ou Aurélie Filippetti (“il frôle souvent le harcèlement”, disait déjà Jean Quatremer en 2007). Dès lors, ce qui est en cause, au-delà du fait divers, et au-delà aussi de l’éventuelle hyperactivité sexuelle de DSK qui ne regarde que lui et ses partenaires tant que tout le monde est consentant, c’est la mise en évidence à travers le cas DSK d’une persistance de la phallocratie malgré la “révolution sexuelle”, l’égalité des droits et la parité entre les hommes et les femmes inscrites dans la loi française.

Non, Dominique Strauss-Kahn n’est pas un séducteur ! Comme le souligne le Collectif Les mots sont importants, “une grande partie [des femmes sollicitées par DSK] ne sont sans doute pas ‘séduites’ par cet homme”. Comme le dit par ailleurs Mélenchon, “aimer les femmes” et “les violer” sont “deux attitudes qui n’ont pas de lien”. Sa réputation de gros lourd ne fait donc pas de DSK automatiquement un violeur (Mélenchon le souligne pour montrer que ceux qui connaissaient la réputation de DSK ne pouvaient pas se douter qu’il finirait accusé de viol). Mais un homme qui drague “lourdement” et systématiquement les femmes n’est pas un homme qui “aime” les femmes. C’est le plus souvent un homme inquiet de sa propre identité sexuelle et qui cherche à se rassurer par la preuve de virilité que lui procurent la possession et la soumission d’une variété importante de femmes, comme si toutes étaient irrévocablement destinées à succomber à son pouvoir de “séduction” (ou plus prosaïquement à son pouvoir d’achat, à son pouvoir politique et à sa position hiérarchique). Un tel homme éprouve donc de grandes difficultés à avoir avec des femmes des relations non-sexuelles, comme par exemple des relations de travail. Il ne les voit que comme objets de son désir et non comme sujets. Tel un vulgaire Caubère, il paie pour qu’elles fassent semblant de le désirer, ou tel un gros beauf, il siffle avec obscénité la passante inconnue ou encore colle une main au cul de la femme dont il pense qu’elle n’osera pas lui mettre une grande tarte dans sa gueule de con — à moins qu’il ne soit décidément con au point de penser que cela lui fait plaisir, le comble étant qu’il existe effectivement des connes qui se sentent flattées d’être ainsi traitées comme des putes. Pour peu qu’en plus, le phallocrate s’appuie sur une vraie position de pouvoir et d’autorité (chef, patron, ministre, président, directeur du FMI…), il attirera à lui une foule de dindes candidates à la putification qui le conforteront dans sa pathologie sous l’oeil goguenard et envieux de ses congénères machos. A ce stade, même celle qui refuse de s’offrir ou de se vendre pourra être forcée de céder en silence au chantage et aux pressions. C’est dans ce cas seulement que la justice parle de “harcèlement” (puni en France d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende, mais encore faut-il que la victime soit en mesure de prouver les faits, ce qui n’est pas simple). Nul besoin au demeurant d’être directeur du FMI ou président de l’ex-République pour être en position de harceleur. Combien de petits chefaillons exercent encore impunément leur “droit” de cuissage ? Combien de petits caïds obtiennent par la peur ce que leur seul pouvoir de séduction ne leur aurait jamais permis d’obtenir ? Et combien de losers qui n’obtiennent jamais rien mais insultent et injurient les femmes qui ont le malheur de croiser leur chemin et de ne pas succomber illico à leur charme latin ?

Le phallocrate type agit le plus souvent sous le coup d’une pulsion liée à une homosexualité refoulée ou à un complexe engendré par la petite taille de son pénis (l’affirmation peut sembler gratuite faute d’études statistiques fiables, mais c’est une hypothèse cohérente que chacun pourra s’amuser à vérifier par quelques investigations dans son entourage). Pour éviter les passages à l’acte violents et empêcher la nuisance du machisme au quotidien, il faudrait que ces comportements soient reconnus comme pathologiques (ne soient donc plus légitimés ni même excusés culturellement) et sujets de la réprobation générale voire de soins médicaux. Un homme directeur d’une importante institution internationale, et promis peut-être à occuper un jour la plus haute fonction de son propre pays, qui succomberait à une pulsion de viol alors que les feux de l’actualité sont braqués sur lui, serait à coup sûr un grand malade. Il n’est pas certain cependant que 70 ans de prison constituent une efficace thérapie ni une réelle aide aux victimes.

Dans les chefs d’inculpation contre DSK comme dans les témoignages sur sa conduite passée, on peut observer une conjonction assez flagrante de la domination masculine et de la domination de classe. La victime présumée de l’agression de New York est une femme mais aussi une femme de chambre.  Simple “troussage de domestique” donc, comme s’en est gaussé avec élégance un autre grand Kahn (voir l’article d’ACRIMED qui retranscrit les propos de Jean-François Kahn sur France Culture). Et cette femme de chambre serait une travailleuse immigrée d’origine africaine, position fragile s’il en est dans les sociétés occidentales. On a lu aussi ça et là que DSK draguait très lourdement les femmes journalistes, des jeunes militantes du PS… dans tous les cas, plutôt des femmes en position sociale ou hiérarchique inférieure, donc. A ce jour, en tout cas, personne n’a mentionné d’éventuelles tentatives insistantes de Srauss-Kahn pour se taper Danielle Mitterrand ou Bernadette Chirac, par exemple, alors qu’il est avéré qu’il a déjà été en contact avec elles. Aucune révélation non plus du côté de Margaret Thatcher ou Angela Merkel (les documents laissés par feu Mère Thérésa ne mentionnent jamais DSK non plus). Il semblerait donc que ce qui attire le plus DSK chez les femmes ne soit pas forcément leur pouvoir, leur force, leur expérience de la vie ou leur position élevée. On voit à travers l’exemple des penchants prêtés à DSK que la phallocratie traditionnelle qui avait été battue en brèche par le féminisme (du moins dans les classes moyennes, les élites et le prolétariat ayant somme toute peu évolué sur le plan des moeurs) est toujours vivace, et même re-légitimée par la putification qui s’exprime de plus en plus ouvertement dans la mode ou le monde du spectacle (avec par exemple la résurgence du strip-tease dit “burlesque“). Si l’affaire DSK, par son impact, est sidérante, elle n’est qu’une péripétie qui ne remet pas en cause le fait que beaucoup de femmes considèrent aujourd’hui qu’il faut séduire, voire se déshabiller, voire coucher pour “réussir”, qu’en se soumettant volontairement à la domination masculine, elles exerceront en fait le “vrai pouvoir” (ce qui n’est évidemment qu’une chimère). Dans cette étape de putification, le capitalisme transforme les corps en marchandises et les sentiments en transactions. L’amour et la sexualité se voient privés de la douceur de l’égalité et réduits à la violence des rapports de domination dans lesquels les cocus comme les violés sont toujours les plus faibles et les plus démunis : femmes, homosexuels, transsexuels, handicapés, immigrés, ouvriers, malades, vieillards, enfants… La misogynie, l’homophobie, la xénophobie, le racisme, le mépris de classe réifient le vivant et sont les vecteurs du processus de putification que connaît à présent le capitalisme mondialisé.

Il est hélas à craindre que l’affaire DSK ne freine en rien ce processus. Mais c’est loin d’être une préoccupation pour le toujours comique Parti ex-Socialiste français, déboussolé d’avoir perdu son homme providentiel, alors que celui-ci n’était même pas encore officiellement candidat à la candidature (quel cirque que ces primaires !). Pour un parti qui proclamait naguère “ni Dieu ni César ni tribun”, c’est cocasse. On peut donc conclure par quelques mots gentils adressés au PS :

Bande de glands, vous avez dans vos rangs une kyrielle de bouffons de droite qui ont les mêmes idées que Strauss-Kahn et parmi lesquels vous pouvez même dégotter sans chercher bien loin quelques queutards fous qui ne vous dépayseront pas trop. Alors ne vous mettez pas la rate au court-bouillon sous prétexte que Strauss-Kahn est hors-jeu. N’importe quelle endive moite fera bien votre affaire. Même une femme, à vrai dire. Du moment qu’il s’agit de battre Sarkozy pour mener à sa place la même politique antisociale que lui. Sous l’égide du FMI, bien sûr. Et comme dit Jack Lang, “il n’y a pas mort d’homme”, donc on s’en fout.

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