Pas franc tireur

Au détour d’une controverse sur Twitter à propos du Média et de Frustration dont il réclamait stupidement et méchamment l’arrêt, un type se faisant appeler “Gaston Crémieux” (je préfère nettement l’original), auteur pour le torchon de droite Franc-Tireur (où sévissent grâce à l’argent du milliardaire Kretinsky des phares de la pensée comme la plagiaire Caroline Fourest, le troll crypto-lepéniste Raphaël Enthoven ou Christophe Barbier, l’écharpe de plateaux télé), m’a mis sous le nez un thread de son crû censé prouver l’antisémitisme de Mélenchon et de la FI. D’abord amusé par l’obsession du bonhomme pour “l’autocritique”, puis affligé par la somme d’accusations pourries qui, selon la loi de Brandolini, prendrait plus de temps à être réfutées qu’à être énoncées, je me suis finalement pris au jeu. Pour le fun. Alors que par ailleurs y a plein de trucs qui m’énervent chez JLM, hein.

C’est parti pour un examen point par point des “arguments” de “Gaston Crémieux”.

« 1/L’exemple vient de haut avec la dérive de @jlmelenchon lui-même: en 2014, il dénonçait déjà à l’occasion d’une intervention israélienne à Gaza les “communautés agressives qui font la leçon au reste du Pays” (à 36’46) visant ici la communauté juive. »

Les institutions se proclamant représentantes de la communauté juive en France sont depuis plusieurs années des soutiens et des relais inconditionnels du colonialisme israélien, et même de la droite extrême israélienne. Mélenchon est en droit de critiquer ce fait, bien analysé par exemple dans cet article de Jean Stern

Il n’y a rien d’antisémite là-dedans. 

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Non, Conspiracy Watch, ce n’est pas la fin du Média !

Le 28 juillet dernier paraissait sur le site Conspiracy Watch un article signé Elie Guckert intitulé “Clap de fin pour le Média ? “

Etant sociétaire du Média et engagé activement au sein de cette coopérative de presse je n’avais pas apprécié le contenu de l’article. J’y avais relevé quelques erreurs factuelles, comme le fait que Denis Robert y est présenté comme ayant été “remplacé à la rédaction en chef par Théophile Kouamouo”. C’est un peu anecdotique, mais en réalité, Théophile Kouamouo était déjà rédacteur en chef au Média quand Denis Robert y travaillait, lequel Denis Robert n’était pas rédacteur en chef mais directeur de la rédaction. C’est un détail qui a malgré tout son importance, car un lecteur non averti pourrait, en lisant l’article de Guckert, s’imaginer que Théophile Kouamouo aurait voulu prendre la place de Denis Robert alors que la rédaction a juste souhaité remplacer le poste de directeur de la rédaction par un comité éditorial. En tout cas, la remarque n’a pas dû plaire à Guckert car il m’a aussitôt bloqué sur Twitter (j’ai appris par la suite qu’il avait également bloqué d’autres socios et des salarié.e.s du Média), se privant ainsi de la possibilité de pouvoir recevoir des rectifications au contenu de son article.

M’étant fait récemment à nouveau exhiber cet article sur les réseaux antisociaux, je me décide aujourd’hui à en faire une analyse critique. Mieux vaut tard que jamais.

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Avis aux camarades intoxiqués par la désinformation antivax

J’ai été vacciné contre la covid 19 par deux prises du vaccin Moderna et une prise du vaccin Pfizer en rappel 6 mois plus tard.

Aucun effet secondaire notable, à part une légère douleur au point d’injection pendant 2 ou 3 jours. L’idée de reprendre une 4ème dose dans 6 mois ne me cause aucun souci, car les résultats des essais cliniques et la pharmacovigilance sur des milliards de vaccinés attestent que ces vaccins sont très efficaces, même si leur efficacité est limitée dans le temps, et que les effets secondaires graves sont rarissimes. Me faire vacciner autant qu’il le faudra n’est pas un problème : je me fais déjà vacciner chaque année contre la grippe et je m’en porte très bien. De nombreux vaccins sont déjà obligatoires et nécessitent plusieurs rappels sans que cela pose problème non plus.

Une récente enquête sur Ventavia, une entreprise en charge de 2,28 % des 44000 patients de l’essai de phase 3 du vaccin Pfizer, enquête dont l’auteur n’est d’ailleurs pas d’une crédibilité absolue, ne remet pas en cause, selon Numérama (entre autres), l’efficacité ni l’innocuité du vaccin, qui ont été confirmées par les données en vie réelle (cela dit, il faudra évidemment creuser ces affirmations et punir les responsables s’il se confirme qu’il y a eu des manquements).

Pour les différents troubles enregistrés après vaccination, les chiffres de pharmacovigilance ne montrent aucune surmortalité par rapport à ce qui est attendu en population générale.

“Pour Pfizer, qui représente l’immense majorité des injections, “les décès survenus dans la population de patients de moins de 50 ans n’apportent pas, dans leurs caractéristiques, d’élément en faveur d’un rôle de la vaccination”, écrit l’ANSM dans son dernier rapport. Chez les plus de 50 ans, le précédent rapport notait que l’enquête n’avait “apporté aucun élément nouveau au profil de sécurité du vaccin” Pfizer.”

source : Le Dauphiné Libéré

Les charlatans et les fachos qui prétendent le contraire en faisant dire à des données brutes de déclaration d’incident ce qu’elles ne disent pas (et même le contraire de ce qu’on peut en conclure) sont des menteurs et des manipulateurs. Quand on est de gauche, on ne gobe pas ce genre de mensonge, et on ne prend pas pour argent comptant les affirmations de Mme Michu qui dit que le beau-frère du voisin de la cousine de sa collègue est resté dans le coma pendant un mois à cause du vaccin, sans que la presse ait jamais fait mention nulle part d’un tel scoop.

Je prendrai autant de doses qu’il le faudra aussi longtemps qu’il le faudra pour me protéger et contribuer à l’effort collectif pour contenir la circulation du virus et protéger les plus faibles (les immunodéprimés, les personnes à risque, ceux pour qui la vaccination n’est pas efficace…). En effet, les vaccins ont donné de bons résultats pour réduire la circulation des premiers variants du virus. Avec le variant delta, beaucoup plus contagieux, c’est plus compliqué, mais même si les vaccins semblent échouer à empêcher la transmission au sein d’un foyer, ils réduisent un peu les risques d’infection primaire et la durée de celle-ci.

La vaccination coûte cher à la Sécu et enrichit Pfizer ou Moderna ? Certes, et nous devons donc lutter tous ensemble pour la levée des brevets et l’accès des pays pauvres à ces vaccins. La vaccination ne suffira pas à en finir avec la pandémie (les masques et gestes barrières demeurent essentiels), mais elle est un outil essentiel.

Une partie de la gauche sombre hélas aujourd’hui dans un de ses vieux démons : la campisme. De même qu’autrefois des camarades prenaient systématiquement la défense de dictatures totalitaires dites communistes et considéraient comme ami tout régime s’opposant aux Etats-Unis, on en voit aujourd’hui gober goulûment toute propagande aussi mensongère soit-elle pourvu qu’elle ait l’air de s’opposer à Macron. C’est ainsi que Raoult, un mandarin de droite totalement inséré dans le système et soutenu par toute la droite la plus rance ainsi que par le milliardaire Bernard Arnault, a été fantasmé en rebelle durant la crise sanitaire, alors même qu’il rompait avec la science et mettait en danger la vie de patients par des pratiques de charlatan qui se trouvent à présent taxées de crimes contre l’humanité au Brésil où elles ont été promues par le fasciste Bolsonaro. Les liens des covidosceptiques antivax de Réinfocovid avec l’empire anthroposophe et l’extrême-droite ne sont plus à démontrer non plus. La toxicité du blog fRance Soir, propriété de l’affairiste Azalbert, lié à l’extrême-droite Q Anon, n’est plus à démontrer non plus. Et pourtant, nombre de camarades continuent à en relayer les publications ou à en répéter les mensonges.

Pourtant, rien n’oblige à se vautrer dans ce campisme. On peut combattre Macron et son monde ET combattre la fachosphère antivax. Non seulement on le peut, mais on le doit. Les fachos ont toujours été les chiens de garde du système capitaliste, ceux vers qui les capitalistes se tournent pour défendre leurs intérêts quand les contradictions du capitalisme rendent la situation trop incertaine. On ne combat pas le capitalisme en faisant alliance avec les chiens de garde du Capital.

La défense de “la liberté” contre l’obligation vaccinale n’est pas émancipatrice, car la liberté de laisser circuler un virus qui a déjà fait plus de 5 millions de morts et des millions d’invalides n’est autre que la liberté du renard libre dans le poulailler libre chère aux libéraux. Le principe de l’obligation vaccinale sur tout ou partie de la population n’est pas contestable : c’est une mesure d’intérêt général. Là où la contestation peut se porter, quand on est de gauche, c’est contre la privatisation de cette obligation mise en place par le pass sanitaire de Macron, laissant peser sur des décision individuelles et sur des contrôles exercés par des commerçants, ce qui devrait relever de la responsabilité de l’Etat. Il est tout à fait nécessaire aussi de critiquer la façon dont le monarque Macron décide solitairement des mesures sanitaires, le plus souvent lorsqu’il est trop tard, la brutalité de la décision ne servant en définitive qu’à compenser son côté insuffisant, improvisé et tardif. Et il est bien évidemment plus que jamais nécessaire de critiquer la déliquescence de l’hôpital public, l’absence de moyens mobilisés contre la pandémie et l’absence de taxation des plus riches pour financer la politique sanitaire.

Mais rien ne justifie de vouer un culte à un charlatan, de répéter des sornettes réactionnaires et obscurantistes ni de défiler avec des fachos derrière des slogans antivax.

Branco ne manque pas d’huppé air

Depuis plusieurs jours, Juan Branco se répand sur les réseaux antisociaux en attaques extrêmement violentes contre François Ruffin. Exhibant un montage présenté comme une “exclu” (en fait une version tronquée d’un reportage de Radio Nova datant de 2016), il assène que François Ruffin se serait entendu avec Emmanuel Macron sur le dos de salariés, aurait mis en scène une fausse opposition et aurait simulé des sentiments. “Trahison !”, s’étrangle Branco, “la boule au ventre”, montrant au passage que pour ce qui est de surjouer des sentiments, il n’a peut-être rien à apprendre de personne.


En réalité, Ruffin n’a rien mis en scène et n’a trompé personne. Comme il l’explique dans un post Facebook (qui confirme des faits déjà rapportés par d’autres sources et par le reportage de Nova à l’époque-même des faits), lui et les salariés d’Ecopla ont harcelé Macron tant qu’il était ministre, puis sont montés à Paris pour essayer de médiatiser la lutte, dans le but de mobiliser l’opinion publique et les politiques afin que : “en gros, le tribunal de commerce voie qu’il y a un consensus quasiment national dans les différents partis, avec les différents candidats, y compris les différents syndicats et même le gouvernement pour dire que le meilleur dossier c’est celui d’Ecopla”. En effet, alerté par sa soeur, dirigeante d’une union locale de SCOP, Ruffin soutenait face à un tribunal de commerce rétif un projet de reprise en coopérative. La stratégie de Ruffin, élaborée avec les salariés, et clairement expliquée à Nova, supposait donc une campagne médiatique et politique large, pour obtenir que des politiciens de tous bords et le gouvernement lui-même finissent par soutenir le projet et que le tribunal de commerce finisse par trancher en faveur de celui-ci.
Ruffin et les Ecopla ont donc fait la fête de l’Huma, ont eu un rendez-vous au ministère à Bercy et sont allés emmerder plusieurs candidats à la présidentielle pour attirer l’attention sur leur cause. Entre Montebourg, Juppé et Sarkozy, ils sont tombés sur Macron, l’ont engueulé (aucune mise en scène là-dedans, comme en témoigne le reportage intégral de Nova) et ont obtenu de celui-ci qu’il reconnaisse qu’il n’avait rien fait pour sauver la boîte. C’est alors que, comme ça se fait souvent dans les luttes (mais Branco qui n’a peut-être pas mené beaucoup de luttes sociales dans sa vie l’ignore sans doute), Ruffin offre une porte de sortie à la fois honorable pour Macron et avantageuse pour les salariés en lui proposant une stratégie en plusieurs étapes : d’abord il y a la prise de contact en cours et les salariés ressortent “pas contents” (avec son ironie coutumière, Ruffin ne fait que décrire une réalité : lui et les salariés ne sont effectivement pas contents, mais au lieu de l’exprimer au premier degré, il se met comme dans ses films “à la place de” et l’exprime de la façon dont les médias et le public, qu’il s’agit bien de sensibiliser, pourront le percevoir), ensuite Macron s’occupe du dossier (c’est-à-dire fait jouer ses réseaux d’ex-ministre au sein de l’Etat), puis on se revoit et Macron rend compte de ce qu’il aura fait. Macron fait mine d’accepter le plan de route, sans prendre pour autant aucun engagement ferme.
Le soir-même, Ruffin et les Ecopla vont quand-même faire chier Macron devant son meeting (ce n’est pas de la mise en scène : ils continuent à lui foutre la pression et à essayer de faire connaître leur lutte). Deux mois plus tard, Ruffin étrille encore Macron dans Fakir, dans un dossier sur Ecopla.
Malheureusement, le projet de SCOP qu’il défendait n’aboutit pas, et après une tentative de partenariat avec un repreneur, les salariés jettent l’éponge en mars 2017.
La scène avec Macron n’aura été qu’un épisode parmi plein d’autres dans cette longue lutte, et aura juste servi un peu à la faire connaître.
Macron n’en a tiré aucun bénéfice électoral, Ruffin non plus (il était candidat en Picardie et Ecopla est en Isère). Le projet a échoué mais méritait d’être soutenu : le précédent des Fralib permettait d’espérer un meilleur dénouement que celui des Whirlpool.

Ajoutons que les premiers concernés semblent reconnaissants envers Ruffin, encore 3 ans après, et malgré l’échec.

Alors, quelle mouche a piqué Branco ? Pourquoi repeindre ainsi Ruffin en traitre manipulateur et simulateur ? Pourquoi tant de haine ? Mystère.
Purisme gauchiste de grand bourgeois converti au romantisme révolutionnaire mais totalement ignorant de la réalité des luttes syndicales ?
Complètement bloqué dans son délire, Branco s’enfonce post après post, vidéo après vidéo, malgré les commentaires le plus souvent navrés des internautes. Il va même jusqu’à prétendre que la récente confrontation entre Ruffin et Macron à Amiens devant les ex-salariés de Whirlpool serait du “chiqué”, et aurait été “négociée”, ce qui est une accusation à la fois gratuite et idiote : bien évidemment, Ruffin, député local, ne surgit pas par surprise devant le président ; l’événement a été organisé, et chacun essaie d’y faire valoir son point de vue. Cela ne signifie nullement que leur opposition soit feinte.
Dans un “Facebook live” du 28 novembre 2019, Branco va même jusqu’à insinuer que Ruffin tairait le rôle qu’a joué sa soeur dans l’histoire d’Ecopla. J’ai été intrigué par ce détail : que voulait suggérer Branco et qu’y a-t-il de gênant à ce que la soeur de Ruffin se soit impliquée dans le dossier Ecopla ? Après une petite recherche sur internet, j’ai trouvé qu’une vidéo postée le 15 novembre 2018 par un compte baptisé “Le Frexit” avait déjà soulevé beaucoup de sous-entendus au sujet de la soeur de Ruffin.

On notera avec amusement la contradiction dans ce délire à la tonalité complotiste : Ruffin cacherait cette mystérieuse soeur qui a été camarade de classe de Macron à Amiens et qui dirige une SCOP, mais la vidéo s’appuie sur des sources qui montrent en fait que l’existence de cette soeur et son parcours sont de notoriété publique et que Ruffin n’a jamais rien caché à ce sujet. On sourira aussi au fait que la vidéo qui ne s’appuie que sur des articles et documents déjà publics est présentée comme un “scoop exclusif”, un peu comme le pauvre montage faisandé de Branco présenté comme une “exclu”.
Quant au compte Youtube diffuseur de ce “scoop exclusif”, “Le Frexit”, il se défend d’être lié à l’UPR, le groupuscule nationaliste dont le frexit est le fétiche suprême, mais semble tout de même publier, outre des attaques contre Ruffin, moult éloges d’Asselineau, le gourou de l’UPR.

La vidéo de Branco, de son côté, a été copiée et mise en ligne telle quelle (avec un titre encore plus mensonger) dès le 26 novembre 2019 (le même jour que la première diffusion sur le compte Youtube de Branco) par un compte Youtube baptisé “Collège européen”, dont l’orientation laisse peu de place au doute.

Coïncidence ? 😎

Bon, comme on n’est pas aussi barré que Branco, on n’ira pas jusqu’à chouiner, “la boule au ventre”, qu’il n’est devenu qu’un gros troll de l’UPR, mais on ne peut que constater qu’il en a adopté le style. A tout prendre, malgré de récurrentes erreurs qu’il a d’ailleurs le mérite de reconnaître (celle-ci ou celle-ci, par exemple), et malgré un sens du spectacle et une personnalisation qui peuvent avoir leurs limites, on lui préférera le style Ruffin, moins huppé, plus sincère, et plus utile dans nos luttes.

Onfray mieux de zemmouvoir

Après être rentré des courses au supermarché du coin où j’ai vu en tête de gondole trois nouveaux livres de Michel Onfray, décidément stakhanoviste de la philosophie de marché, j’ai retrouvé sur les réseaux antisociaux le même Onfray, relayé via le journal d’extrême-droite Valeurs (sic) Actuelles (sic) titrant : “Michel Onfray dénonce “un délit de sale gueule sur Zemmour””. Et l’hebdomadaire favori de la bourgeoisie raciste réactionnaire de citer le pédant histrion :

“Pour Michel Onfray, “soit, effectivement, on n’a pas le droit de tenir ce genre de propos et alors il faut élargir à tous les autres propos qui font l’éloge des tyrans, des dictateurs, des salauds etc… Soit on estime que ça fait partie du débat et qu’on ne combat pas un intellectuel en l’envoyant devant les tribunaux ou en prison, mais qu’on le combat avec des idées et des arguments et que c’est simplement le débat démocratique”.”

Le pesant sophisme que voilà ! Si on n’a pas le droit de tenir le genre de propos qu’a tenus Zemmour lors de la “Convention de la droite”, c’est parce que leur contenu violemment raciste et islamophobe peut être qualifié d’injures publiques et de provocation publique à la discrimination, la haine ou la violence, délits punis par la loi. Ce n’est pas tout à fait la même chose que “l’éloge des tyrans, des dictateurs, des salauds etc.” Par ailleurs, si Zemmour a commis ces délits (rappelons que la justice l’a déjà condamné pour des propos similaires), on voit mal en quoi un brevet d'”intellectuel” (sic) décerné par Michel Onfray devrait lui conférer une immunité refusée au businessman nazi demi-mondain Soral qui, tout autant que Zemmour ou Onfray, pisse de la copie et se prend pour un penseur. On objectera aussi que faire appliquer la loi lorsque Zemmour commet un délit n’empêche pas de combattre ses idées abjectes par des arguments, ce que fait par exemple brillamment l’historien Gérard Noiriel.

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La LICRA, passerelle vers la droite ?

Le 20 décembre 2018, la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) publiait un communiqué attaquant violemment le député François Ruffin :

“Le plus grave est en effet intervenu lorsqu’il a exprimé, au sujet du référendum d’initiative citoyenne, des remerciements inattendus : « Oh, il n’a pas fleuri par hasard, il a fleuri parce que des hommes de conviction, nommons-les, Etienne Chouard et ses amis, ont semé, ont arrosé, depuis des années ». Puisque Monsieur Ruffin a choisi de nommer Etienne Chouard, nul ne doit ignorer l’idéologie d’un homme qui figure désormais au Panthéon des Insoumis sans que cela ne suscite, en dehors de Clémentine Autain, la moindre réprobation du parti de Jean-Luc Mélenchon.”

Mario Stasi, président de la LICRA

On conviendra avec Clémentine Autain que François Ruffin aurait pu s’abstenir de citer publiquement un personnage aussi sulfureux que Chouard, non seulement à cause de son confusionnisme, de son complotisme et de ses accointances avérées avec l’extrême-droite la plus ignoble, mais aussi parce que la manière dont Chouard fétichise le RIC risque non seulement de désarmer le mouvement social des Gilets Jaunes mais de nuire à la cause même du RIC. Pour autant, la façon dont Mario Stasi pointe cette erreur est elle-même problématique. En effet, si Ruffin accorde une reconnaissance au rôle de Chouard dans la popularisation du RIC (rôle qu’il serait objectivement difficile de nier, quoi qu’on pense de Chouard), il est totalement abusif d’affirmer que cet homme figurerait désormais “au Panthéon des Insoumis”. Plus loin, Stasi ajoute que Ruffin aurait pour devoir “de ne pas engager un dialogue cauteleux avec des ennemis de la République”, sous-entendant qu’en citant Chouard il ne respecterait pas ce devoir. Il parle même ensuite de “déclaration d’amour de François Ruffin à Etienne Chouard”. Or, on aura beau lire et relire la déclaration de Ruffin, on ne risque pas d’y trouver une “déclaration d’amour”, ni même l’amorce d’un dialogue complaisant avec Chouard. On y trouvera juste la reconnaissance factuelle du militantisme “de conviction” de Chouard en faveur du RIC. Bien qu’étant moi-même adversaire résolu du fétichisme chouardien, je suis bien obligé de reconnaître que Ruffin ne dit en l’occurence que l’exacte vérité. Mais si reconnaître de la conviction chez quelqu’un équivaut à une “déclaration d’amour”, il va falloir réviser sérieusement le concept même d’amour… ou peut-être tout simplement envisager l’hypothèse que Mario Stasi pratique ici une bien curieuse novlangue.

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Oui au RIC, non au fétichisme du RIC

Le mouvement des Gilets Jaunes a connu plusieurs phases : d’abord apparu comme un mouvement anti-fiscal aux relents poujadistes, il s’est enrichi ensuite de revendications sociales et démocratiques à dominante progressiste (au point qu’une bonne partie d’entre elles figurent déjà dans le programme “L’Avenir en commun” de la France Insoumise) qui ont permis à certains militants de gauche ou syndicalistes d’abord réticents (j’en suis) de converger finalement avec cette lutte populaire. D’abord cantonné à un blocage des flux, le mouvement a ensuite pris une dimension insurrectionnelle avec des assauts lancés contre les lieux de pouvoir (Elysée, préfectures…). Après plus d’un mois d’actions soumises à une répression sans précédent de la part d’un pouvoir aux abois, une revendication a émergé parmi les Gilets Jaunes, sur les ronds-points occupés, les barrages, dans les groupes Facebook, les boucles Telegram, via aussi certains des initiateurs du mouvement : le Referendum d’Initiative Citoyenne (RIC). 

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A propos du campisme et de l’antifascisme

Cela couvait depuis un moment, mais depuis l’annonce de la “proposition de candidature” de Jean-Luc Mélenchon, et depuis ses propos sur la Russie lors de l’émission “On n’est pas couché“, quelques amis et camarades, particulièrement du côté libertaire ou “antifa”, se répandent en imprécation contre le “campisme”, le “poutinisme”, le “nationalisme”, le “chauvinisme”, le “confusionnisme”, le “stalinisme”, voire le “rouge-brunisme” supposés de JLM et du PG.

Je dois avouer que lorsque j’ai regardé l’émission, j’ai moi-même failli m’étrangler en entendant le fondateur de mon parti répondre par exemple : “oui, je pense qu’il va régler le problème” à la question : “Poutine, est-ce que vous êtes pour ce qu’il est en train de faire en ce moment en Syrie ?”, ou lorsqu’il a évacué la question des frappes russes en Syrie (destinées à soutenir le boucher Bachar El Assad contre les “rebelles” bien plus qu’à éliminer Daech) en affirmant simplement : “ce n’est pas vrai”.  Il y a là, je pense, une maladresse (ou une erreur), mais aussi un vrai choix politique : celui de dénoncer en priorité les exactions qui relèvent de l’impérialisme “nord-américain”, d’en démonter la propagande relayée par les gouvernements européens atlantistes, y compris le gouvernement français qui, avec Sarkozy puis Hollande et Valls, n’a cessé de s’aligner sur Washington, rompant avec la tradition gaullienne de relative indépendance de la diplomatie française, notamment concernant la Russie et le Moyen-Orient.

Ce choix qu’on peut qualifier de “campiste” de Mélenchon n’est pas nouveau. On l’a toujours vu par exemple défendre les aspects positifs des révolutions sud-américaines, mettre l’accent sur la violence des Etats-Unis à leur encontre et refuser a contrario de condamner sur injonction des médiacrates les aspects contestables du régime cubain ou de la présidence d’Hugo Chavez au Vénézuéla. Il s’inscrit d’ailleurs aussi en cela dans une tradition de la gauche qui a eu son heure de gloire durant la guerre froide, notamment au PCF, mais aussi chez nombre de groupes gauchistes qui ont pu vibrer tour à tour pour l’URSS de Staline, la Yougoslavie de Tito, la Chine de Mao, l’Algérie du FLN, le Viet-Nam d’Ho-Chi-Minh, voire le Cambodge de Pol-Pot… du moment que s’y exprimait une forme d’opposition ou de résistance à l’empire capitaliste américain, quitte à passer sous silence voire à nier les crimes imputables à ces régimes. Je prends à dessein les exemples les plus caricaturaux (JLM n’ayant évidemment jamais manifesté de sympathies staliniennes, contrairement à un Georges Marchais auquel il est souvent comparé pour sa faconde) pour souligner que cette posture “campiste” qui peut susciter chez moi de très sérieuses réserves ouvre potentiellement la voie à de très néfastes dérives.

Depuis que l’hyperpuissance américaine honnie, sortie victorieuse de la Guerre Froide, est concurrencée par l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), le courant le plus campiste de la gauche radicale (incarné notamment par le site “Le Grand Soir”) franchit parfois dangereusement la frontière qui sépare la simple analyse géostratégique du soutien à tout ce qui peut remettre en cause l’hégémonie américaine, y compris des régimes aussi peu progressistes que la Russie de Poutine ou la Chine ultra-capitaliste. Le campisme expose dès lors au risque de passer à côté de certaines évolutions internes aux Etats-Unis (notamment le fait qu’Obama a pu se montrer parfois bien plus modéré que ses alliés français, par exemple sur le dossier syrien, et qu’une contestation de gauche comme celle incarnée par Bernie Sanders, reste quelque chose d’inenvisageable pour le moment dans des Etats aussi répressifs que la Russie ou la Chine). Il expose aussi à une promiscuité source de grande confusion avec l’extrême-droite conspirationniste anti-américaine grande admiratrice de régimes autoritaires comme celui de Poutine ou celui de Bachar El Assad, prompte à dénoncer la responsabilité américaine dans la naissance de Daech, mais tout aussi prompte à en exonérer Assad.

Personnellement, je trouve que Jean-Luc Mélenchon flirte trop souvent et trop fort avec le campisme, d’autant que pour se “présidentialiser” sans doute, il en rajoute dans la posture gaullienne de “l’indépendantisme français“. Mais lorsqu’on ambitionne de conquérir le pouvoir par les urnes, et de l’exercer effectivement sans attendre une future et hypothétique révolution prolétarienne, on est amené à réfléchir sur les enjeux de puissance de façon peut-être plus appuyée que lorsqu’on milite au NPA ou à Alternative Libertaire, qui ont peu de chance de se retrouver un jour en situation de devoir traiter avec les puissances qui dominent le monde.

Mais revenons-en aux propos de Jean-Luc Mélenchon sur la Russie. Bien qu’ils me semblent effectivement trop complaisants avec Poutine et Assad (accordant au premier une capacité à “régler le problème” et assimilant un peu vite tous les rebelles syriens à Al Qaïda), ils sont néanmoins plus nuancés que ce que la presse a bien voulu en dire.
L’Observatoire de la Propagande et des Inepties Anti-Mélenchon a justement relevé la façon dont les médias ont mis en avant et déformé des propos qui ne représentaient qu’une petite partie d’une longue émission au cours de laquelle de nombeuses autres questions ont été abordées.
Alexis Corbière a également montré sur son blog ce qu’était réellement la position de Mélenchon. Il en ressort qu’au lieu de titrer “Mélenchon soutient Poutine” ou “Mélenchon félicite Poutine” (omettant de préciser qu’il félicitait les Russes uniquement pour avoir réussi à couper la voie de communication qui permettait à Daech la vente de pétrole en contrebande vers la Turquie), les médias auraient aussi pu retenir pour leurs gros titres ces propos : “Je ne suis pas d’accord pour que Poutine règle le problème. Je suis pour que l’ONU règle le problème”, “[la propagande russe], c’est aussi de la propagande”, “Tout est de la propagande. Je ne suis pas pour les bombardements”, etc.

Contrairement au camarade Corbière, je pense qu’il y avait bien un parfum campiste dans les propos de Mélenchon. Je suis en désaccord avec lui (et avec la ligne du PG) sur ce point, et je dois reconnaître que la critique faite par Ariane Perez du “nouvel indépendantisme français” prôné par le PG me semble assez convaincante, mais cela ne fait pas de Mélenchon ni du PG des suppôts de l’extrême-droite en extase devant Poutine et Assad. Rappelons que s’il faut soutenir une cause en Syrie, c’est assurément celle des Kurdes révolutionnaires du Rojava et de leurs alliés. Mélenchon ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme dans ONPC : “Je suis pour que Daech soit vaincu, écrabouillé et que les Kurdes gagnent”. Or, à en croire les propos d’un volontaire français dans les YPG kurdes recueilli par l’Organisation Communiste Libertaire (qu’on ne pourra soupçonner de sympathie pour Poutine) :

“En ce qui concerne l’intervention de la Russie en Syrie, il est intéressant de noter qu’elle a été perçue de façon très positive par les combattants que j’ai côtoyés, ce pour plusieurs raisons. D’abord, les frappes russes donnent du fil à retordre aux djihadistes, l’ennemi commun, ce qui est du pain béni pour les YPG. Ensuite, le soutien diplomatique et surtout militaire se limitait pour l’heure à celui des Etat occidentaux, Etats-Unis en tête, ce qui introduisait de fait une relation de subordination des YPG vis-à-vis de ce pays. Aucun contact officiel n’a, à ma connaissance, eu lieu entre la Russie et les YPG, mais la possibilité d’une entente ou d’opérations communes permet de relâcher la bride occidentale sur les YPG qui peuvent désormais, si les exigences des Etats-Unis se faisaient trop rapaces, se tourner vers un autre soutien international potentiel. L’intervention russe offre donc la possibilité aux YPG, comme me l’a résumé un combattant, de jouer sur deux impérialismes, pour le moment antagonistes, ce qui est toujours plus confortable que de dépendre des seuls caprices de la politique étrangère américaine, laquelle pêche rarement par la constance.”

Reconnaître à la Russie un rôle objectivement favorable (pour le moment) aux Kurdes, c’est bien donc ce que font les intéressés eux-mêmes et leurs alliés. On conviendra dès lors que, même en ayant des divergences d’appréciation sur la politique internationale de Poutine, on peut se retrouver largement entre militants de gauche sur un objectif principal : un retour à la paix qui ne se ferait pas au détriment des intérêts de la révolution kurde.
Pourtant, malgré mes réserves personnelles, la dernière sortie de Mélenchon à ONPC m’a valu quelques engueulades à ma gauche : de “maintenant, qu’il aille se faire foutre” à “bon courage avec les chauvins”…
Bigre.

Malgré mes appels à la nuance, un nom m’a été balancé pour justifier la disgrâce irrévocable du PG : Djordje Kuzmanovic. Secrétaire national du PG spécialiste des questions de défense, il serait le responsable (ou le symptôme) de la dérive du PG vers le nationalisme et le confusionnisme. Pour “preuves” deux articles, l’un du site d’Ornella Guyet Confusionnisme.info, l’autre des Morbacks Véners. J’avoue que ces articles que je connaissais déjà m’avaient troublé sur le moment. Puis j’avais eu l’occasion d’échanger quelques fois sur FaceBook avec Djordje, avec lequel je m’étais trouvé en désaccord profond sur bien des points (ce qui peut évidemment arriver même avec un camarade de parti), sans qu’aucun élément n’ait pu me faire douter un seul instant de son engagement internationaliste de gauche. Je n’avais plus pensé à ces deux articles, mais puisqu’ils font désormais office de référence à charge contre le PG, j’ai pris le temps de les examiner un peu plus méthodiquement et je n’ai pas été déçu.

L’article des Morbacks Véners procède de manière malhonnête, compensant par un effet d’accumulation et par des amalgames ridicules la pauvreté factuelle de son argumentation.

  • Il démarre avec une grande photo de Djordje Kuzmanovic en uniforme de l’armée française : Les Morbacks auraient pu choisir plein d’autres photographies, mais visiblement, ils ont voulu insister sur le fait que Djordje a été militaire, ce qui est sans doute infâmant à leurs yeux. Etant moi-même ancien objecteur de conscience, je ne peux pas dire que je porte l’armée dans mon coeur, et j’ai d’ailleurs accueilli très fraîchement la proposition de Djordje de rétablir le service national, lui signifiant que je ne serais pour le service militaire que lorsque les officiers seraient élus par des comités de soldats et révocables à tout moment. Mais s’il pouvait m’arriver lorsque j’étais adolescent de considérer tout militaire comme un ennemi, j’ai tout de même appris depuis à faire la part des choses : je suis toujours opposé à l’autoritarisme et à la hiérarchie militaire, comme à l’emploi fait de la force armée par le pays dans lequel le hasard m’a fait naître, mais je sais que tout militaire n’est pas forcément un fasciste et qu’il peut même se trouver des militaires de gauche. Si si, ça s’est vu au Portugal par exemple, avec la révolution des oeillets.
    En adhérant à un parti qui avait vocation à être un “parti creuset”, je me doutais bien que j’y trouverais des militants venus d’autres horizons que les miens, et tout bien considéré, même s’il existait un parti d’objecteurs de conscience antimilitaristes communistes libertaires athées désireux de tenter l’abolition de la propriété lucrative et du travail aliéné par la voie démocratique légale du réformisme écosocialiste autogestionnaire sur fond de punk music, je ne sais pas si j’aurais envie d’y adhérer, tant l’angle me paraîtrait étroit.
  • Les Morbacks continuent ensuite sur la même veine avec une capture d’écran d’une recherche sur la “société Djordje Kuzmanovic” qui donne lieu à des propos ironiques (“nous sommes déjà hilare [sic], imaginer un membre du bureau national du PG faire du “conseil pour les affaires” c’est quand même drôle pour un parti dont le leader parle du “banquier Macron””). En plus d’être militaire (donc quasi-fasciste ?), Djordje serait chef d’entreprise (donc capitaliste ?). Rien que ça.
    Vu que ça n’a rien à voir avec le reste de la démonstration qui vise à le faire passer pour un rouge-brun, on voit qu’il ne s’agit là que de le discréditer a priori. Sauf que cette “société” ne compte aucun employé et ne présente aucun bilan. Il faudrait peut-être expliquer aux Morbacks que plein de travailleurs parfois très précaires ont dû créer une structure juridique pour pouvoir se faire payer des prestations, sans que cela fasse d’eux des capitalistes pour autant. Il en faudrait donc un peu plus pour accabler Djordje.
  • Vient ensuite une copie d’écran d’Investig’action, le site du journaliste communiste à tendance complotiste Michel Collon, avec un article signé Djordje Kuzmanovic. Les Morbacks nous font alors un long déroulé sur Collon, photo dudit Collon en compagnie de Meyssan (le conspirationniste forcené du réseau Voltaire) et Dieudonné (l’ex-comique antisémite) à l’appui, avec énumération d’autres noms plus compromettants les uns que les autres. Là, on se dit : Oh là là, mais dans quoi il trempe, le Djordje ? C’est donc un antisémite quenellier conspirationniste ? Eh bien non. Le site de Collon, comme tous les sites de pseudo-réinformation, reprend des sources externes sans que cela engage en quoi que ce soit leurs auteurs. Et l’article orginal de Djordje vient juste de son blog mediapart. Il n’a aucun rapport avec Collon (encore moins avec Meyssan ou Dieudonné). Mais les Morbacks concluent : “Un membre du bureau national du PG écrit donc bien des articles sur le site internet d’un type qui organise avec l’extrême droite des conférences de soutien à des dictateurs”.
    Voilà une bonne grosse falsification destinée à salir un militant de gauche ! Car non, Djordje n’a pas écrit cet article sur le site de Collon (l’eût-il fait d’ailleurs que cela n’aurait pas mérité non plus tant d’infamie : publication d’un article dans un média ne vaut pas forcément adhésion à la ligne éditoriale de ce média). Investig’action n’a fait ici que relayer l’article depuis le blog de Djordje.
    En cherchant bien, je suis sûr qu’on peut trouver des articles des Morbacks relayés sur des sites pas très nets, aussi. Si je n’avais que ça à faire, je pourrais même m’amuser à créer un site dégueulasse bardé de quenelles et autres horreurs fascistes et y faire un copier-coller des oeuvres des Morbacks, qu’on rigole.
    Sur le contenu de l’article lui-même, évidemment, on ne saura rien. C’est donc que les Morbacks n’ont pas dû réussir à y trouver le moindre truc compromettant et ont dû se contenter d’un amalgame crapuleux.
  • Pour charger la mule, les Morbacks sont aussi allés explorer le mur Facebook de Djordje et en ont ramené une capture d’écran d’une image relayée par celui-ci sur laquelle on voit d’un côté Obama seul, de l’autre les chefs des BRICS avec le slogan : “construisons un monde multipolaire”. On conviendra que faire passer les Poutine et autres Xi Jinping pour de gentils adeptes d’un monde multipolaire face au méchant Obama, c’est un peu campiste (et simpliste) sur les bords.
    N’empêche que l’idée d’équilibrer l’unilatéralisme de l’impérialisme américain par la diplomatie internationale n’est pas dénuée de fondement et que cette image illustre un fait objectif : ces nouvelles puissances coopèrent déjà pour remettre en cause les institutions internationales issues des accords de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) et dominées par les Etats-Unis. On peut le constater, et même s’en réjouir sans être un affreux rouge-brun.
  • Autre capture d’écran sur Facebook : un lien vers RIA Novosti avec félicitations adressées par Djordje à Asselineau (le chef de l’UPR, groupuscule d’ultra-droite obsédé par l’UE et la CIA). Cette fois, l’affaire est dans le sac : Djordje relaie un média de propagande poutinienne et félicite un nationaliste !
    Sauf qu’il est tout de même permis de relativiser. Djordje fait visiblement partie de ces Français russophones qui ont des attaches avec l’Europe de l’est. Il suit donc les médias russes et est peut-être plus sensible que la moyenne à ce qui concerne la Russie. De là à en faire un inconditionnel du régime de Poutine, il y a tout de même un pas.
    Le lien pointé par les Morbacks illustre les premiers bombardements exercés par l’armée ukrainienne contre des villes russophones du Donbass en 2014. Dans ce conflit, Djordje a de toute évidence un a priori favorable vis-à-vis des Russes et semble se méfier plus de la propagande en faveur du gouvernement ukrainien issu du mouvement Euromaïdan et de ses soutiens de l’OTAN ou de l’UE que de la propagande en faveur des séparatistes russophones et de Poutine. Il a donc dû être content que dans un paysage politico-médiatique français plutôt favorable aux occidentaux, un politicien comme Asselineau réagisse à l’opération lancée par l’armée ukrainienne dans le Donbass. Un peu comme j’ai été content en 2003 que cette canaille de Villepin s’oppose à la guerre en Irak. Ça ne fait pas de moi pour autant un villepiniste, je pense. Idem pour Djordje qui ne montre aucune marque d’allégeance aux idées politiques d’Asselineau ni à celles des ultra-nationalistes russes. On peut noter aussi que dans les commentaires qui suivent le lien, Djordje se moque plutôt des interventions ridicules d’un militant de l’UPR venu faire l’éloge de son gourou.
  • Autre capture d’écran à partir de Facebook : un lien vers une photo de David Icke. Grosse rigolade des Morbacks sur ledit Icke, qui a l’air effectivement complètement timbré. Mais avec un autre découpage, ils auraient pu nous montrer tout de même ce que contenait cette photo, et là, on aurait compris pourquoi Djordje avait noté que cela lui inspirait “un songe” (celui de voir les chefs d’Etat arrêtés par leurs propres forces de l’ordre). On aurait même pu se dire qu’il était tombé par hasard là-dessus sans rien savoir de l’auteur, qu’il avait trouvé l’image amusante et qu’il avait fait la connerie que font beaucoup de gens : poster sans vérifier la source. Mais en tronquant l’image, les Morbacks occultent le fond et laissent entendre que Djordje serait un adepte des thèses délirantes d’Icke. Encore une falsification bien dégueulasse.

    Capture d’écran faite par les Morbacks

    Image non-découpée
    Image non-découpée
  • Les charges contre Djordje étant peu probantes, c’est le moins qu’on puisse dire, les Morbacks sont obligés d’en rajouter en s’en prenant plus directement à la première cible de leur article : Alexis Corbière. Le camarade Corbière est donc accusé d’avoir participé à une conférence aux côtés de l’historienne conspirationniste Annie Lacroix-Riz (membre du PRCF, groupuscule néo-stalinien obsédé par l’UE), conférence filmée et diffusée par les nationalistes de l’UPR. On peut discuter de la pertinence de s’asseoir à côté d’Annie Lacroix-Riz (qui est tout de même une universitaire reconnue, malgré ses idées contestables), mais le thème de la conférence étant la montée de l’extrême-droite, il est évident que Corbière intervenait là dans son champ de compétence, pour défendre des idées antifascistes, et qu’il ignorait sans doute que c’était des gens de l’UPR qui filmaient.
    Mais pour les Morbacks, dont on mesure à présent la finesse, l’affaire est bien sûr entendue : Corbière s’est mouillé avec des nationalistes. “Et oui Alexis Corbière”, écrivent-ils, “quand on va débattre avec des fafs, filmé par des fafs (que du coup, on sert leur propagande), on devrait a minima la fermer sur le sujet”. Sauf que… le débat auquel participait Corbière se déroulait sur le plateau des Glières en 2013, et était organisé par le CRHA qu’il serait vraiment ridicule d’accuser d’être “faf”. A côté d’Alexis Corbière et d’Annie Lacroix-Riz, il y avait aussi JP Ravaux, président de VISA. En croyant mouiller Corbière, les Morbacks visent donc également la FSU, Solidaires, la CGT, la CFDT, la CNT, l’UNEF et le syndicat de la Magistrature. Ça en fait des “fafs” ! On voit bien que cette accusation est débile. Eh oui, camarades Morbacks, quand on prend des militants de gauche, des résistants et des syndicalistes pour des “fafs” (que du coup, on nourrit la confusion qu’on prétend dénoncer), on devrait a minima la fermer sur le sujet !
  • Pour finir, les Morbacks nous offrent en “bonus” une capture d’écran nous informant qu’en 2012, Djordje avait changé sa couverture Facebook pour une image portant le sigle “SPQR”, avec en commentaire ironique : “La très jolie bannière facebook “l’humain d’abord” — rires soutenus là encore —…”
    Il ne sera pas venu à l’idée de nos hyènes ricanantes que Djordje puisse être juste passionné d’histoire romaine ni que la devise “senatus populusque romanus” de la République puis de l’empire romain, et figurant toujours sur le blason de la ville de Rome, ne soit pas un élément de propagande mussolinienne subliminale et puisse ne rien avoir de contradictoire avec le slogan “l’humain d’abord” du FdG. D’ailleurs, les Morbacks, s’ils étaient allés moins vite en besogne, auraient pu aussi bien trouver sur le mur Facebook de Djordje une statue d’Auguste, ou la couverture du roman Spartacus (excellent livre d’Arthur Koestler au demeurant, représentant le personnage de Spartacus en anti-Staline, qui choisit la défaite plutôt que de s’abaisser à devenir un tyran pour vaincre, mais là, ça doit être trop subtil pour les Morbacks, et puis surtout, ça n’accréditerait pas leur thèse à charge).

Bref, l’article des Morbacks Véners se révèle en fin de compte complètement vide et, s’ils avaient été rigoureux et honnêtes, tout ce qu’ils auraient pu trouver à reprocher à Djordje, c’est de manquer peut-être de recul par rapport à la propagande russe relative à la guerre en Ukraine.

Venons-en au deuxième article, publié cette fois par Confusionnisme.info, site à propos duquel je rejoins les remarques formulées par l’Observatoire des réseaux. Le travail d’Ornella Guyet, qui aurait pu (et dû) être un travail d’utilité publique, me semble souvent gâché par un manque de rigueur certain et une confusion néfaste entre engagement idéologique et antifascisme, ce qui fait que quiconque à gauche diverge un peu du prisme de l’auteure (prisme “internationaliste anti-autoritaire”) se voit accusé de confusionnisme ou de collusion avec l’extrême-droite. Ornella Guyet renvoie d’ailleurs au sujet de Djordje vers l’article des Morbacks Véners dont on vient de voir qu’il était entièrement à charge et malhonnête.

A propos de Djordje Kuzmanovic, donc, elle affirme dans un article consacré à la question ukrainienne que “les manifestations de soutien au Donbass organisées par Benajam sont tout autant fréquentées par l’auteur d’extrême droite Lucien Cerise que par le membre du bureau politique du Parti de Gauche Djordje Kuzmanovic”. Pour illustrer cette supposée collusion, une photo tirée d’une vidéo de l’Agence Info Libre, légendée ainsi : “Djordje Kuzmanovic (au centre avec le micro) filmé par l’Agence Info libre à la tribune d’un rassemblement “contre la guerre en Ukraine” organisé par Alain Benajam et ses sbires le 22 juin 2014.” Djordje Kuzmanovic est donc ici accusé par Ornella Guyet de fréquenter en compagnie d’un auteur d’extrême-droite des manifestations organisées par le complotiste Alain Benajam (proche de Thierry Meyssan) filmées par un média dieudo-soralien. N’en jetez plus !

Image de Djordje à la tribune avec logo de l'Agence Info Libre pour bien le mouiller
Image de Djordje à la tribune avec logo de l’Agence Info Libre incrusté

Quid de Lucien Cerise ? Ornella Guyet nous donne un lien vers une vidéo de l’Agence Info Libre montrant Cerise à un rassemblement… du 2 aout 2014. Or, la photo de Djordje exhibée par Confusionnisme.info a été prise lors d’un autre rassemblement, le 22 juin 2014. La formulation de Confusionnisme.info n’apporte donc ici que confusion.
Par ailleurs, ce premier rassemblement contre la guerre en Ukraine du 22 juin 2014, donc en pleine offensive des troupes de Kiev contre les villes tenues par les séparatistes dans l’est du pays (faisant de nombreuses victimes civiles), a en fait été organisé par le collectif “France-Russie-Ukraine : dialogue” dont les contacts affichés étaient… Djordje Kuzmanovic lui-même et l’historien Gueorgui Chepelev (du “Collectif citoyen pour la paix en Ukraine”). Ce collectif se présentait comme un rassemblement de “citoyens français, russes et ukrainiens, avec le soutien des collectifs « Russie-France : Secours d’urgence », « Dialogue russo-ukrainien»”. A noter que le texte de l’appel à manifester ne contient aucune apologie du régime de Poutine, ni des séparatistes du Donbass. Et ne mentionne nulle part le sulfureux Benajam. Ornella Guyet accuse donc abusivement Djordje d’avoir participé à une manifestation organisée par Benajam alors que c’est plutôt le contraire qui s’est produit.
Le montage de la vidéo de l’Agence Info Libre commence par une interview de Benajam dans la petite foule (très clairsemée), mais les images de la tribune ne laissent voir comme “officiels” que Gueorgui Chepelev et Djordje Kuzmanovic (dont la prise de parole se borne aussi à appeler à la paix, ce dernier insistant sur la nécessité de permettre la mise en place de l’aide humanitaire).
Quand il organise un événement, Benajam peut compter sur le réseau Voltaire (réseau complotiste dont il dirige la branche française) pour en faire la propagande, comme pour cette autre manifestation quelques jours plus tard : “le Comité anti-impérialiste, le Collectif France-Russie, le Comité Valmy, les éditions Démocrite, La voix de la Libye, le Rassemblement pour la Syrie, et le Réseau Voltaire organisent une manifestation de soutien aux victimes de la guerre au Donbass, samedi 5 juillet 2014 à 15h, à Paris, place de la République”. Rien de tel pour la manif du 22 juin.
Benajam n’est donc pas l’organisateur de la manifestation du 22 juin organisée par Djordje mais il l’a bien été de celle du 5 juillet… pour laquelle Djordje et le collectif “France-Russie-Ukraine : dialogue” ne sont cette fois nullement mentionnés. Ornella Guyet n’aurait-elle pas procédé à un amalgame un peu rapide ?

Dans une interview à La Voix de la Russie (devenu Sputniknews), média russe à la botte du régime de Poutine, Djordje déclare à propos du rassemblement du 22 juin 2014 :

“En majorité c’étaient des franco-russes, mais il y avait des Russes, des Ukrainiens et des Français tout simplement. Il y avait différentes organisations politiques, on avait des membres du Parti Communiste Français, des membres du Parti de Gauche et d’autres membres de partis plus à droite. On avait des citoyens non encartés et des associations, l’association France-Russie, l’association d’amitié France-Ukraine, plusieurs associations de ce type là. (…) Là on a fait un rassemblement citoyen, ce qui était compliqué à organiser puisqu’on a mis nos avis personnels de coté et on est arrivé à un texte, le plus acceptable pour tout le monde. Certains peuvent le trouver pas assez engagé mais il permet de rassembler largement autour de la thématique de la paix, de l’arrêt des combats, des corridors humanitaires et des zones d’exclusions aériennes. Maintenant chacun est dans des organisations politiques où on a des engagements qui sont différents, moi je suis dans le Parti de Gauche et nous avons une position sur l’Ukraine qui est très en opposition à l’OTAN, nous sommes pour la sortie de l’OTAN, donc on va plus loin sur certaines questions.”

Outre la présence de Benajam et de la caméra de l’AIL à la manifestation, il est donc attesté que les organisateurs n’ont pas été très regardants sur les participants : il ne s’agissait pas d’une manifestation “de gauche” mais d’une manifestation se voulant ouverte à tous les partisans de la paix en Ukraine (un intervenant favorable au gouvernement de Kiev a même apparemment pu s’y exprimer). Cela n’en fait pas pour autant une manifestation d’extrême-droite ni de Djordje un habitué des événements organisés par “Benajam et ses sbires”. La présentation faite par Ornella Guyet est donc fallacieuse.

En fait, il était possible de trouver plus compromettant, pourtant : sur une autre vidéo (non-évoquée par Confusionnisme.info), mise en ligne par le compte “Ukraine Donbass” sur youtube, on peut voir le militant d’extrême-droite André Chanclu, ex-GUDard à la tête du groupe Novopole et du collectif “France-Russie” (qui ne figure pas dans les organisateurs de la manifestation et qui est à distinguer de l’association France-Russie) non seulement être présent mais s’emparer du micro (à un autre moment de la manifestation). On retrouve d’ailleurs le même Chanclu avec Benajam dans les autres événements pro-Donbass organisés ultérieurement (sans aucune participation de Djordje, cette fois). Dans une manif ordinaire avec service d’ordre d’organisations de gauche, un tel personnage aurait été dégagé manu militari et c‘est évidemment une faute de laisser la parole à un tel fasciste. Je ne sais d’ailleurs si Djordje savait alors qui était Chanclu mais il est assurément fâcheux de participer à un événement aux côtés d’un tel personnage. Peut-être les organisateurs avaient-ils jugé suffisant de stipuler quelques règles pour se prémunir contre la promiscuité fasciste ?

Sur la page FB de l'événement
Mise au point d’un des administrateurs sur la page FB de l’événement

“Les symboles chauvinistes, racistes, militaristes, violents, insultants” étaient donc proscrits. On peut juger que c’est un peu léger sur un thème qui est susceptible de mobiliser facilement l’extrême-droite. Mais malgré sa russophilie, Djordje n’a visiblement pas jugé opportun de se joindre aux manifestations ultérieures qui, elles, ont été assurément entièrement phagocytées par l’extrême-droite. Ce qu’on peut lui reprocher, c’est de manquer singulièrement de recul par rapport à la propagande russe et de n’avoir pas été assez vigilant quant à l’organisation d’un événement (un seul !) susceptible d’attirer des gens peu recommandables. Peut-on pour autant l’accuser d’être le tenant d’une ligne rouge-brune de collusion de la gauche radicale avec l’extrême-droite contre le grand Satan américain ? Je ne le pense pas. En tout cas, les éléments mis en avant par les Morbacks et par Ornella Guyet me semblent suffisamment biaisés, malhonnêtes et destinés à salir pour que je ne m’y fie pas. Et puisque j’ai dû, pour vérifier leurs assertions, explorer moi aussi la page Facebook de Djordje, je peux tout aussi bien rendre compte que j’y ai trouvé des éléments qui attestent de l’engagement antifasciste et internationaliste incontestable de ce camarade, notamment en faveur du peuple kurde et de la gauche turque.

Manifestation de soutien aux Kurdes

Pour conclure, bien qu’opposé au travers campiste de mon propre parti, au sein duquel je ne renonce pas à exprimer une voix plus critique vis à vis de la politique des BRICS en général et de la Russie en particulier, je n’irai pas hurler avec les loups contre Djordje Kuzmanovic ni contre JLM. De même que je n’irai pas hurler contre les militants du NPA ou d’Ensemble si dans telle ou telle manifestation ils se sont retrouvés aux côtés de Bonnets rouges, d’Indigènes de la République, de Salafistes voire de Dieudo-soraliens, alors même que je désapprouve profondément ce type de promiscuité. Je reste plus que jamais attaché à l’écosocialisme, à la 6e République, au partage des richesses et du travail, à la remise en cause de l’ordolibéralisme austéritaire et de la propriété lucrative, ainsi qu’à la lutte antifasciste dont les Morbacks Véners et Ornella Guyet n’ont assurément pas le monopole. C’est pourquoi j’apporte mon soutien à la proposition de candidature de Jean-Luc Mélenchon pour l’élection présidentielle de 2017 et invite mes concitoyens à faire de même et à participer à la mise à jour de notre programme. J’invite aussi les camarades des organisations de gauche ou libertaires qui ne se reconnaissent pas dans cette stratégie à poursuivre leur propre voie sans tomber dans le dénigrement systématique sur la base d’amalgames malhonnêtes tels que ceux que je viens de décrypter dans le présent article. Et j’invite particulièrement les “antifas” à en finir avec la méthode du soupçon généralisé (voir la réponse que François Ruffin leur avait déjà faite) qui nuit au combat antifasciste en salissant des militants de gauche qui sont eux-mêmes tout à fait et indubitablement antifascistes.

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