I am Kenough

« To be honest, when I found out the patriarchy wasn’t about horses, I lost interest anyway. »

[traduction : « Pour être honnête, quand j’ai découvert que la notion de patriarcat n’avait rien à voir avec les chevaux, j’ai décroché. »]

Ken, in Barbie, Greta Gerwig, 2023

https://www.tiktok.com/@targaryensl/video/7259574233762778374

Féministes réformistes

« Si les féministes réformistes n’ont pas formulé cette invitation [« invitation collective claire » aux hommes à « rejoindre le mouvement féministe pour se libérer du patriarcat »], c’est parce que ce sont elles qui, en tant que groupe social (surtout des femmes blanches bénéficiant d’un privilège de classe) ont lancé l’idée que les hommes seraient tout-puissants. Pour ces femmes, la libération féministe consistait davantage à leur permettre d’obtenir leur part du gâteau à la table du pouvoir qu’à libérer massivement les femmes et les hommes moins puissants de l’oppression sexiste. Elles n’en voulaient pas aux puissants, c’est-à-dire leurs papas et leurs maris, d’exploiter et d’opprimer des hommes pauvres ; elles étaient furieuses de ne pas bénéficier d’un accès égal au pouvoir. Aujourd’hui, beaucoup de ces femmes ont obtenu gain de cause, et surtout la parité économique avec les hommes de leur classe. Par conséquent, elles ont presque perdu tout intérêt pour le féminisme. »

bell hooks, La volonté de changer
(les hommes, la masculinité et l’amour)
, 2004

Le communiqué d’Adrien Quatennens qu’on aurait aimé lire

« Suite à la révélation par le Canard enchaîné d’une main courante déposée par mon épouse, je suis obligé de m’expliquer au sujet de violences conjugales que j’ai commises et qui sont en totale contradiction avec l’engagement féministe que j’affiche.

Oui, j’ai bien donné une gifle à ma compagne il y a plusieurs mois et je n’ai pas eu le courage à l’époque d’en parler publiquement ni d’en tirer les conséquences.

Oui, plus récemment, lorsqu’elle m’a fait part de son intention de divorcer, je lui ai pris le poignet et j’ai essayé de lui prendre de force son téléphone, à la suite de quoi elle est allée déposer une main courante. Certes, elle a émis le souhait qu’il n’y ait pas de suites judiciaires et a fait cette démarche pour poser un jalon dans le cadre d’un divorce conflictuel, mais je mesure à présent que cela ne change rien au problème de fond.

Je ne vais pas m’abriter derrière les circonstances de la dispute ni derrière mon dépit d’être quitté. Je comprends bien d’ailleurs que le fait de lui avoir un jour donné une gifle est en soi pour mon épouse une excellente raison de me quitter, quand bien-même je dois respecter son choix quelles que soient les raisons et quoi que j’en pense.

Je ne vais pas non plus dire : « je ne suis pas violent », « ce geste, ce n’est pas moi, c’était exceptionnel ». J’ai cru ne pas être violent parce que j’étais capable de ne pas coller de baffe à mes contradicteurs sur les plateaux télé, parce que je n’ai violé personne ni obligé personne à m’accorder ses faveurs en profitant de mon pouvoir d’élu, mais ne pas avoir été capable de retenir ma main contre ma compagne lors d’une dispute fait bien de moi un homme violent, reproduisant dans son foyer les schémas désormais bien connus de la masculinité toxique.

J’en prends conscience aujourd’hui et je m’engage à employer toutes mes forces à faire un travail sur moi-même, avec l’aide de professionnels, pour déconstruire les causes profondes de ce passage à l’acte et veiller à ce que plus jamais une femme n’ait à souffrir de ma violence. Je demande bien évidemment pardon à ma victime qui n’est en rien responsable des conséquences de cette affaire sur ma vie politique ni des éventuelles suites judiciaires.

Je comprends aussi qu’il me devient difficile d’être député et porte-parole d’un mouvement féministe sans avoir prouvé à toutes et tous ma prise de conscience et ma réelle volonté de changer, faute de quoi ce mouvement perdrait beaucoup en crédibilité. Inutile de chercher à faire diversion en glosant sur les fuites policières et la malveillance des médias et des réseaux sociaux. C’est à nous, militant.e.s de l’émancipation, de ne pas offrir de prise au régime injuste et patriarcal que nous combattons. Il n’a aucune raison de nous faire de cadeau. Nous ne lui en ferons pas non plus et je n’attendrai pas une décision de la justice bourgeoise pour faire ce qui est nécessaire. »

Malheureusement, c’est un autre communiqué que le camarade Quatennens a publié, et il n’est pas satisfaisant. Il n’est peut-être pas trop tard pour faire mieux ?

Du féminisme bourgeois

Dans une tribune du Monde du 15 juillet 2020, l’avocate Noëlle Lenoir affirme que « certains mouvements féministes sont révélateurs d’une évolution vers un radicalisme teinté de communautarisme » et « voit dans les manifestations contre les nominations au gouvernement de Gérald Darmanin et d’Eric Dupond-Moretti la marque d’une dérive à l’américaine du mouvement féministe. »

Rien que ça.

Je propose de changer complètement d’angle par rapport à Noëlle Lenoir.
Au lieu de voir dans les manifestations suscitées par les nominations de Dupond-Moretti et Darmanin l’oeuvre de hordes extrémistes américanisées communautaristes adeptes d’une justice de rue pour laquelle les hommes seraient forcément coupables (ce qui est une vision des choses très MODEREE et pas du tout exagérée, mettez-vous le bien dans le crâne à coups de marteau, bande de radicalisés), ne peut-on voir dans cette tribune de Noëlle Lenoir l’oeuvre d’une bourgeoise de droite franchouillarde adepte d’un féminisme de classe qui sait rester à sa place dans le monde patriarcal raciste, c’est-à-dire d’un féminisme de droite qui ne nuit pas aux sexistes, d’un bon féminisme pas féministe en somme ? On comprendra alors ce qui réellement lui fait horreur dans ces manifestations de rue.

Rappelons que Noëlle Lenoir a été ministre de Raffarin sous Chirac (un féministe à la française, « 5 minutes douche comprise », tapant le cul des vaches et galant avec les rombières, ou le contraire, en fonction du nombre de coronas ingérées). C’était un peu après l’humiliation façon SM des « Juppettes » (pour les plus jeunes : des femmes ministres du gouvernement d’Alain Juppé virées comme des merdes au bout de 6 mois), mais c’était encore le bon temps. Noëlle Lenoir, c’est aussi cette « déontologue » de l’Assemblée nationale qui était payée par des labos pharmaceutiques en conflit avec l’Etat en 2015. Elle siège encore aujourd’hui au comité d’Ethique (ou des tiques ?) de Parcoursup (que les mauvaises langues se le disent : la sélection et la reproduction des inégalités à l’université se font de façon éthique, Noëlle y veille, alors circulez), juste récompense sans doute de son ralliement à Macron en 2017 après avoir mangé à toutes les gamelles patriarcales du PS et de l’UMP. Ça, c’est quand-même une preuve de MODERATION ou je ne m’y connais pas, et les gens qui oseront critiquer le fait d’être à ce point dans tous les sales coups ne peuvent être que des Estremiss communautariss. C’est cette même dame très modérée qui vient de signer une tribune contre le « décolonialisme » dans Le Point, journal de droite dure modéré, en compagnie de gens très modérés comme l’ineffable Alain Finkielkraut.

Bon, plus sérieusement, les manifestantes féministes ont manifesté contre la nomination à la tête de la police d’un type qui est sous le coup d’une enquête de police après une plainte pour viol et qui a avoué avoir demandé une faveur sexuelle à une femme en échange d’un service (qu’il n’avait au demeurant ni le droit ni la capacité de lui rendre), et contre la nomination à la tête de la justice d’un beauf qui aime planter des banderilles dans les taureaux et siffler les meufs ou le contraire, en fonction de la cuvée. Ce sont des manifestations politiques. Pas de la « justice de rue », contrairement à ce que brament les « modérés », ni du « lynchage de triste mémoire ». C’est marrant, parce que si, quand des féministes gueulent contre la signification politique de ces nominations (un bon gros bras d’honneur fait au féminisme), c’est de « la justice de rue », que dire de l’étouffement par les gendarmes d’Adama Traoré sans autre forme de procès ? Ne serait-ce pas une forme de « justice de rue » ou plutôt de « peine de mort de rue » ? On ne peut pas dire lynchage parce qu’ils ne l’ont pas pendu à un arbre façon KKK, ça non, on n’a pas le droit. Mais chut, parler de ces violences policières n’est pas modéré, et ça nous mène tout droit à l’odieux communautarisme : c’est Noëlle Lenoir qui le dit. Comme Finkielkraut. Comme Zemmour. Comme Le Pen. Tous ces modérés.
Restons dans le vivre ensemble à la française, qui est aussi, donc un mourir tout seul au fond d’un commissariat pour certains (mais mourir dans un commissariat français, n’est-ce pas, au final, une belle opportunité d’intégration pour ces rastaquouères ingrats ?). Félicitons donc Dupond et Super-Dupont pour leur nomination bien méritée et expulsons illico Caroline de Haas, la sorcière, la cause de tous nos maux, qui ne comprend rien au vrai féminisme à la française.

Juste un truc quand-même : quand Noëlle Lenoir nous déballe son lignage comme si c’était une preuve de féminisme, elle assène que ses glorieuses ancêtres “ne sont jamais tombées dans l’écueil consistant à accréditer l’idée d’une responsabilité collective de la gent masculine « blanche »”. Contrairement aux méchantes féminiss communautariss estrémiss d’aujourd’hui ? LOL. Cette pauvre Noëlle n’a décidément rien pigé. Il ne s’agit pas d’un problème de culpabilité. Il s’agit d’un système de domination à renverser.

Vieille

« Les chasses aux sorcières ont aussi inscrit profondément dans les consciences une image très négative de la vieille femme. Certes, on a brûlé de toutes jeunes “sorcières”, et même des enfants de sept ou huit ans, filles et garçons ; mais les plus âgées, jugées à la fois répugnantes par leur aspect et particulièrement dangereuses du fait de leur expérience, ont été les “victimes favorites des chasses” (Guy Bechtel, La Sorcière et l’Occident). “Au lieu de recevoir les soins et la tendresse dus aux femmes âgées, celles-ci ont été si souvent accusées de sorcellerie que, pendant des années, il fut inhabituel que l’une d’elles, dans le Nord de l’Europe, meure dans son lit”, écrivait Matilda Joslyn Gage. L’obsession haineuse des peintres (Quentin Metsys, Hans Baldung, Niklaus Manuel Deutsch) et des poètes (Ronsard, Du Bellay) pour la vieille femme s’explique par le culte de la jeunesses qui se développe à l’époque et par le fait que les femmes vivent désormais plus longtemps. En outre, la privatisation de terres autrefois partagées — ce qu’on a appelé en Angleterre les “enclosures” — au cours de l’accumulation primitive qui a préparé l’avènement du capitalisme a particulièrement pénalisé les femmes. Les hommes accédaient plus facilement au travail rémunéré, devenu le seul moyen de subsister. Elles dépendaient plus qu’eux des communaux, ces terres où il était possible de faire paître des vaches, de ramasser du bois ou des herbes. Ce processus a, à la fois, sapé leur indépendance et réduit les plus vieilles à la mendicité quand elles ne pouvaient pas compter sur le soutien de leurs enfants. Bouche désormais inutile à nourrir, la femme ménopausée, au comportement et à la parole parfois plus libres qu’auparavant, est devenue un fléau dont il fallait se débarrasser. On la croyait aussi animée par un désir sexuel encore plus dévorant que dans sa jeunesse — ce qui la poussait à rechercher la copulation avec le Diable ; ce désir apparaissait comme grotesque et suscitait la répulsion. On peut présumer que si, aujourd’hui, les femmes sont réputées se flétrir avec le temps alors que les hommes se bonifient, si l’âge les pénalise sur le plan amoureux et conjugal, si la course à la jeunesse prend pour elles un tour aussi désespéré, c’est largement en raison de ces représentations qui continuent de hanter notre imaginaire, des sorcières de Goya à celles de Walt Disney. La vieillesse des femmes reste, d’une manière ou d’une autre, laide, honteuse, menaçante, diabolique. »

Mona Chollet, Sorcières,
La puissance invaincue des femmes
, La Découverte, 2018

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