Modération

« Il faut le dire, la modération a engendré autant d’atrocités que la révolution, et sans doute beaucoup plus. (…) Pour entretenir et transmettre un système de valeurs, il faut cogner, matraquer, incarcérer, jeter dans des camps, flatter, acheter : il faut fabriquer des héros, faire lire des journaux, dresser des poteaux d’exécution, et parfois même enseigner la sociologie. »

Barrington Moore, Les Origines sociales de la dictature
et de la démocratie,
 François Maspero, Paris, 1969.

Populisme

« Le concept de “populisme”, si vague et si général qu’il permet d’englober des courants que presque tout oppose (par exemple le Front national et la France insoumise actuellement en France), joue aujourd’hui un rôle de mise en équivalence de l’extrême-droite et de la gauche radicale dévolu autrefois, au temps de la guerre froide, au concept de “totalitarisme”. (…) On se souvient que, lorsque Syriza parvint au pouvoir en Grèce en janvier 2015, Alexis Tsipras fut qualifié de “populiste” par tout ce que l’Europe compte d’idéologues néo-libéraux, voire parfois de “national-populiste”, en raison de la rupture que son parti préconisait alors avec les politiques d’austérité d’une brutalité inouïe imposées à la Grèce depuis 2009. Que ces accusations de “populisme” aient cessé dès la trahison par A. Tsipras du programme sur lequel il avait été élu, démontre s’il le fallait qu’une telle catégorisation — ou du moins l’usage qui en est fait dans le débat public — a (notamment) pour fonction de couvrir d’un même opprobre toutes les forces qui contestent la mondialisation et/ou l’Union européenne, avec des motivations et des objectifs politiques qui peuvent être radicalement opposés. Continuer la lecture de « Populisme »

Soulèvement

« (…) l’histoire montre que les classes populaires se soulèvent comme un seul homme pour former un “peuple” uniquement lorsqu’elles sont convaincues de leur bon droit. Plus précisément, il faut qu’elles soient animées par une croyance collective suffisamment puissante pour affronter un pouvoir impitoyable et accepter une issue qu’elles savent pertinemment tragique.

Ce genre d’étincelles, quand on y regarde de près, ne surgit jamais des classes populaires elles-mêmes mais de la classe qui rationnalise les croyances : les intellectuels. L’étincelle résulte généralement des frottements qui se produisent dans le monde des dominants, opposant ceux qui défendent le pouvoir en place et ceux qui le contestent. Le génie d’un peuple en arme réside dans les formes d’appropriation de la critique, les usages radicaux qu’il en fait, en prenant au mot les théoriciens de la dissidence. »

Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France,
De la guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, 2018, p. 66

Bourgeois

« J’appelle donc bourgeois de chez nous un Français qui ne doit pas ses ressources au travail de ses mains ; dont les revenus, quelle qu’en soit l’origine, comme la très variable ampleur, lui permettent une aisance de moyens et lui procurent une sécurité, dans ce niveau, très supérieure aux hasardeuses possibilités du salaire ouvrier ; dont l’instruction, tantôt reçue dès l’enfance, si la famille est d’établissement ancien, tantôt acquise au cours d’une ascension sociale exceptionnelle, dépasse par sa richesse, sa tonalité ou ses prétentions, la norme de culture tout à fait commune ; qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur et par mille détails, du costume, de la langue, de la bienséance, marque, plus ou moins instinctivement, son attachement à cette originalité du groupe et à ce prestige collectif. »

Marc Bloch, L’étrange défaite, 1940.

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