Pas franc tireur

Au détour d’une controverse sur Twitter à propos du Média et de Frustration dont il réclamait stupidement et méchamment l’arrêt, un type se faisant appeler « Gaston Crémieux » (je préfère nettement l’original), auteur pour le torchon de droite Franc-Tireur (où sévissent grâce à l’argent du milliardaire Kretinsky des phares de la pensée comme la plagiaire Caroline Fourest, le troll crypto-lepéniste Raphaël Enthoven ou Christophe Barbier, l’écharpe de plateaux télé), m’a mis sous le nez un thread de son crû censé prouver l’antisémitisme de Mélenchon et de la FI. D’abord amusé par l’obsession du bonhomme pour « l’autocritique », puis affligé par la somme d’accusations pourries qui, selon la loi de Brandolini, prendrait plus de temps à être réfutées qu’à être énoncées, je me suis finalement pris au jeu. Pour le fun. Alors que par ailleurs y a plein de trucs qui m’énervent chez JLM, hein.

C’est parti pour un examen point par point des « arguments » de « Gaston Crémieux ».

« 1/L’exemple vient de haut avec la dérive de @jlmelenchon lui-même: en 2014, il dénonçait déjà à l’occasion d’une intervention israélienne à Gaza les « communautés agressives qui font la leçon au reste du Pays » (à 36’46) visant ici la communauté juive. »

Les institutions se proclamant représentantes de la communauté juive en France sont depuis plusieurs années des soutiens et des relais inconditionnels du colonialisme israélien, et même de la droite extrême israélienne. Mélenchon est en droit de critiquer ce fait, bien analysé par exemple dans cet article de Jean Stern

Il n’y a rien d’antisémite là-dedans. 

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Communautarisme

« Les ravages du chômage et la paupérisation des cités de banlieue ont aggravé le processus que Robert Castel a appelé la “désaffiliation”. […] Dans son livre sur l’antisémitisme, Anatole Leroy Beaulieu avait noté que “l’esprit de tribu” se réveille aujourd’hui chez les juifs parce que “l’antisémitisme les contraint, de nouveau, à se serrer les uns contre les autres. […] L’assimilation, qui était en train de s’opérer petit à petit, s’est trouvée arrêtée par ceux-là mêmes qui reprochent aux juifs ne ne pas s’assimiler”. Le repli communautaire constitue en effet une ressource pour ceux qui cherchent à échapper aux souffrances de l’anomie et de la stigmatisation. le même phénomène s’est reproduit pour les immigrants juifs pendant la crise des années 1930, et on le constate de nos jours dans une petite partie de la communauté musulmane.

La principale différence tient au fait que les précédentes crises n’ont pas duré très longtemps car elles ont débouché à chaque fois sur une guerre mondiale, alors que la paupérisation des villes les plus déshéritées de nos banlieues dure depuis plus de quarante ans. On est donc passé d’une situation conjoncturelle à une situation structurelle. C’est ce nouveau contexte qu’un petit nombre d’activistes se réclamant de l’Islam tentent d’exploiter à leur profit. »

Gérard Noiriel, Le venin dans la plume,
Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République,
La Découverte, 2019

Le « problème de l’immigration »

« Sur le plan politique, ce qu’il faut surtout retenir des mutations qui se sont produites depuis les années 1980, c’est le décalage croissant entre la mondialisation des échanges économiques, culturels, sportifs et l’ancrage toujours national de l’espace politique, en dépit de l’intégration européenne. La compétition qui oppose les politiciens entre eux pour la conquête du pouvoir d’Etat les oblige tous à parler au nom des Français, en prenant leur défense contre les menaces extérieures censées peser sur eux.

C’est parce que l’Etat national est toujours le cadre fondamental de notre vie politique que le “problème de l’immigration”, né à la fin du XIXe siècle, est resté un argument majeur de la droite et de l’extrême-droite. Ce qui frappe l’historien qui s’est penché sérieusement sur cette question, c’est le caractère répétitif de ces débats, même si le vocabulaire et les groupes montrés du doigt ont changé, en fonction de l’actualité. L’antisémitisme ayant débouché sur le génocide des juifs, au moment du nazisme, il ne pouvait plus être un argument efficace pour alimenter le fonds de commerce de la droite nationaliste. Avec l’effondrement du communisme, il fut de plus en plus difficile de faire croire aux Français que la nation était menacée par des Bolcheviks obéissant aux ordres du Kremlin.

En 1978-1979, la révolution iranienne inaugura une ère nouvelle qui permit aux nationalistes de remplacer le communisme par l’islamisme. les attentats perpétrés par des terroristes se réclamant de l’islam contribuèrent fortement à accréditer leurs discours dans l’opinion. Cette tendance fut confortée par le fait que, dans les cités de banlieue, les formes anciennes d’encadrement des classes populaires s’effondrèrent, ne laissant souvent aux musulmans que la religion comme planche de salut. »

Gérard Noiriel, Le venin dans la plume,
Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République
,
La Découverte, 2019

Antisémitisme et islamophobie

« J’utilise les termes “antisémitisme” et “islamophobie” dans un sens neutre. Ils désignent les discours qui généralisent à toute une communauté religieuse des propos ou des comportements qui ne concernent qu’une infime minorité de leurs membres. Cela n’empêche pas que l’on puisse porter un regard critique sur les dogmes religieux, les politiques qui s’en réclament ou les comportements des personnes qui s’identifient comme “juif” ou “musulman”.

Gérard Noiriel, préface de Le venin dans la plume,
Edouard Drumont, Eric Zemmour et la part sombre de la République,
La Découverte, 2019.

Postures et impostures antiracistes

Sur le site de la revue lundimatin (hebdomadaire qui publie régulièrement les pamphlets d’Eric Hazan et dont les Inrocks évoquent la proximité avec « Le Comité Invisible », qui fait publier par ailleurs ses oeuvres par les éditions « La Fabrique » du même Eric Hazan), un texte signé par des personnes se revendiquant comme « juives » et « antisionistes » (dont… Eric Hazan) s’attaque au « cas de Thomas Guénolé et de la gauche française de Jean-Luc Mélenchon » et prend la défense d’Houria Bouteldja, de son livre Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l’amour révolutionnaire (édité par le décidément incontournable Eric Hazan) et de son groupuscule, le Parti des Indigènes de la République, dont une des proches, Stella Magliani-Belkacem est employée comme secrétaire d’édition par nul autre qu’Eric Hazan lui-même.

On aura donc compris, non sans un certain amusement, qu’on a affaire à un plaidoyer pro domo.

Il ne s’agit pas ici d’épuiser les débats suscités par la mouvance « indigéniste » ou « décoloniale » du PIR. Nous nous contenterons de renvoyer vers l’article du chercheur Gaël Brustier pour qui :

« L’erreur du PIR, c’est de systématiser le lien entre la République coloniale et la période actuelle. Comme si le pouvoir était animé par des enjeux très exactement identiques. Cependant, le Parti des Indigènes de la République ne peut être l’alibi à l’absence de questionnement d’un racisme encore bien présent dans notre société. »

Ou vers les deux billets d’Olivier Tonneau : « Confessions d’un universaliste en cours de décolonisation » et « Dans l’ombre du doute : les Indigènes, non, mais… » qui critiquent à juste titre l’inféconde notion de « régression féconde » développée par le PIR.

Ou encore vers nos propres critiques de l’homophobie exprimée par la mouvance indigéniste dans notre billet « Homophobie partout, égalité nulle part. »

Précisons aussi d’emblée avant d’aller plus loin que nous soutenons l’appel « Combat laïque combat social » (à signer ici) qui s’oppose précisément à la fois à l’instrumentalisation de la laïcité pour stigmatiser des communautés, et à la régression indigéniste :

« Nous sommes dans une conjoncture particulière caractérisée par la régression sociale, politique et culturelle comme dispositif de pouvoir. Pour y résister, le combat social et le combat laïque doivent former un seul et même bloc. Combattre sur le front social sans lutter sur le front laïque, et vice versa, est voué à l’échec. La laïcité est notre outil pour fédérer les luttes sociales et lutter pour la justice sociale, la citoyenneté et la véritable égalité qui caractérisent la République sociale. Car les communautarismes se servent de l’appauvrissement des quartiers populaires et des discriminations qui y sont subies pour alimenter le fait politico-religieux, notamment islamiste, et détourner les citoyens du combat social, laïque et donc citoyen. En même temps, la laïcité doit aller de pair avec un antiracisme radical, ainsi qu’avec une lutte sans faiblesse contre l’antisémitisme. Enfin, le combat laïque doit également être un fer de lance contre le patriarcat soutenu, entre autres, par les communautaristes religieux, et de ce fait participer de façon centrale au combat féministe. »

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