Ralliements

Le Comité Périphérique clandestin de Cut the crap avait été très ferme : « Camarade Stal, c’est toi qui vas te charger de la propagande pseudo-virale sur les réseaux antisociaux à la con. Que ni dieu ni maître ne soit avec toi ! ». Ils sont un peu à cheval sur les principes, faut dire, au Comité. C’est pour ça qu’ils me sucrent toujours ma particule quand ils s’adressent à moi. Parce que mon nom, c’est plutôt « de Stal », du fait que par féminisme j’ai pris le nom de famille de ma femme Germaine, et mon prénom c’est Pierre-Joseph, proudhonnement. Il est vrai qu’il ne devrait plus y avoir ni particule ni noblesse depuis l’abolition des privilèges le 4 août 1789. Faudrait en glisser deux mots aussi à la clique bling bling qui se goberge aujourd’hui sur le dos du peuple et dont les privilèges ne sont pas moins indécents que ceux des aristos d’antan. Les prochaines nuits du 4 août répareront peut-être cet oubli ?

Bref, je fus missionné pour faire de l’agitprop communiste libertaire pro-situ féministe sur cette saloperie de Toile à neuneus qu’est devenu internet, prêt à bouffer comme il se doit du facho, du curé, du beauf, du caubère, du patron, du bourgeois, du militaire, de l’énarque, du petit président… mais aussi du socialiste de droite, du social-libéral, du réformiste timide, du stalinien pépère, du trostkyste borné, du gauchiste de salon, de l’écolo verdâtre, du syndicaliste bureaucrate…

Mais au fil de mes pérégrinations sur internet, j’ai surtout rencontré des anarchistes de droite, de ceux qui sont revenus de tout sans jamais être allés nulle part, purs produits de l’esprit dépressif hérité des années 80 (cette décennie* qui ordonna à chacun : « sois un individu » pour mieux interdire au peuple d’être une force collective). Pourtant, dans cet océan d’impuissance aigrie, l’écho d’un nom s’est peu à peu propagé, surfant sur le tumulte du chaos social et ranimant ça et là des espoirs politiques inattendus : Mélenchon !

Ouais, j’entends d’ici les rires…

Ça va, c’est bon, vous pouvez reprendre votre respiration.

C’est vrai que de prime abord, c’est pas évident. Moi même, j’ai comme un vertige de me voir faire ainsi l’apologie d’un Républicain tsoin tsoin, ancien trotskyste, mitterrandiste réformiste, légaliste, ancien ministre, ancien sénateur, ancien apparatchik du PS, adoubé aujourd’hui par un parti communiste en ruine pour une candidature médiatique à une élection piège à cons qui se déroulera dans le cadre d’une République qui était déjà monarchique mais qui est devenue carrément bananière sous le règne du petit Zébulon vulgaire élu en 2007.

Oui mais. Mélenchon a l’éloquence cadencée et il manie la dialectique avec une gouaille rafraîchissante. Il a eu le cran de claquer la porte du PS (à voir dans la série vidéo « Monsieur Mélenchon« ), a apporté un soutien constant aux luttes sociales au sein desquelles les hiérarques socialistes brillaient par leur absence, et a fait preuve d’une réjouissante virulence contre le pouvoir de la finance et contre la bêtise des media… A cela je ne suis pas insensible. Déjà en son temps la création du NPA avait suscité mon intérêt, bien que je n’aie jamais été séduit par les manoeuvres trostkystes : enfin un mouvement se dessinait qui semblait vouloir fédérer différentes composantes de la gauche non libérale et qui pouvait donner un poids politique à la contestation sociale. Mais le NPA a fait flop. Et c’est bien le Front de Gauche qui réussit à présent avec le Parti de Gauche de Mélenchon, mais aussi avec le PCF et d’autres composantes (issues notamment de scissions du NPA ou de la LCR), à créer une force anti-capitaliste et altermondialiste liée au mouvement social et pouvant peser électoralement. Pour qui vient comme moi de l’anarchisme ou de l’extrême-gauche, les partis électoralistes sentent le soufre, mais de même que les élections n’ont aucun intérêt sans lutte sociale, le mouvement social se condamne aujourd’hui à l’impuissance s’il refuse de se servir du levier électoral. L’échec des luttes de ses dernières années malgré de très fortes mobilisations en a donné la preuve. Il vaut mieux laisser la stratégie de la tension à la droite : ceux qui pensent que seul le pire peut entraîner une vraie réaction populaire causeront certes le pire, mais plus personne ne sera ensuite en mesure de réagir. Cela n’en vaut pas La Pen.

C’est une vraie prouesse de la part de Mélenchon que d’avoir réussi à unir des communistes (qui comptent toujours en leur sein un bon paquet de bureaucrates staliniens), des trotskystes, des altermondialistes, des écologistes et des socialistes de gauche, pour créer un nouvel élan militant et obtenir aux dernières élections des scores plus élevés que ceux de l’extrême-gauche traditionnelle. Le grand Soir n’est pas au bout du vote, bien sûr, mais la possibilité de mettre enfin un terme à la casse nationale-sarkozyste n’est pas à négliger. Le programme défendu par la candidature de Mélenchon est un vrai programme de rupture. Il peut bénéficier de l’enracinement du PCF, des relais syndicaux de celui-ci mais aussi des trostkystes, de la radicalité et du foisonnement des groupes et associations engagés dans les luttes sociales et culturelles, de l’apport d’intellectuels critiques… Un bon score électoral obligerait le vainqueur, quel qu’il ou elle soit en 2012, à en tenir compte, ce qui conférerait une nouvelle dynamique aux luttes sociales.

Oui, j’ai fait partie des milliers de personnes qui ont vibré lors du discours de Mélenchon place Stalingrad en entendant son appel à « l’insurrection civique » : « il est fini, le temps de l’éparpillement et de l’impuissance ! (…) ; nous ne sommes pas réunis pour célébrer un candidat, mais notre force collective  (…) ; la saison des tempêtes est revenue dans l’histoire (…) ; il faut changer le régime de la propriété dans ce qui concerne les biens communs d’intérêt général »… Et la référence aux « Robins des bois » qui rétablissent l’électricité à ceux à qui EDF l’avait coupée, à la lutte des « Conti », l’emploi des mots « anticapitaliste », « communiste », et même « libertaire » (!) à côté des plus convenus « républicain », « socialiste », ou « écologiste », voilà qui dénote d’un syncrétisme de gauche assez inhabituel, et en tout cas inédit ces dernières années devant une audience aussi nombreuse.

Et du coup, le Comité Périphérique clandestin de Cut the crap, craignant que je ne succombe au culte de la personnalité, a décidé de lancer un appel solennel aux contributions afin de brider un peu mon enthousiasme. Notre blog doit donc s’ouvrir à de nouveaux rédacteurs (on acceptera aussi les dessinateurs, photographes, musiciens, graveurs sur bois, armuriers, ou sculpteurs de statues du chef…), même s’ils n’ont pas encore succombé à la fièvre mélenchoniste. Il suffit pour cela de nous contacter ici-même (ou via Facebook et Twitter) pour proposer vos idées et contributions.

* Voir François Cusset, La Décennie, éd. La Découverte, 2006.

De la putification (2) : Arrêtez les kahneries !

Dominique Strauss-Kahn, ex-probable candidat à la présidence de l’ex-République française, a démissionné du FMI, et son inculpation par l’injustice américaine pour agression sexuelle et tentative de viol à l’encontre d’une femme de chambre a été confirmée jeudi 20 mai 2011.

Est-il coupable ?

La réponse est oui. Comme le souligne Jean-Luc Mélenchon sur son blog, Dominique Strauss-Kahn a déjà fait des millions de victimes « avérées et prouvées » : les Grecs. En effet, le FMI, sous la direction de DSK, a imposé à la Grèce ruinée depuis le krach de 2008 une cure d’austérité et des privatisations qui ont poussé le peuple grec à faire huit grèves générales. « En un an, l’économie grecque a reculé de 7,4 %. Un recul sans équivalent dans le monde ! (…) Ce qui est incroyable c’est la cupidité des banksters. Ils ont d’abord ruiné le pays, ils continuent à l’étrangler avec des taux usuraires », dit encore Mélenchon. Il faut évidemment préciser que DSK n’est pas le seul coupable. Il a pour complices Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et tant d’autres « chefs d’Etat » qui ne sont que les valets du capitalisme financier et qui ont, eux aussi, du sang sur les mains. Combien de vies brisées ? Combien de suicides ? Qui rendra justice au peuple grec et aux autres peuples victimes des mesures d’ajustement et des restructurations imposées par le FMI ? « Justice is done« , a proclamé Barak Obama après l’exécution sommaire de Ben Laden, présumé responsable des attentats du 11 septembre 2001. Les Grecs dont on viole sans vergogne les droits économiques et sociaux doivent-ils réclamer pour les coupables avérés de leur ruine le même type de châtiment ? Ironie du sort : DSK est en taule au moment où Jean-Marc Rouillan en sort. Justice is done ? Allons, encore un peu d’audace, monsieur Obama !

Coupable, Dominique Strauss-Kahn l’est aussi à l’égard des Palestiniens, victimes des exactions d’un Etat ségrégationniste auquel il a toujours apporté un soutien inconditionnel Il est même entré en politique précisément dans ce but, si l’on en croit ce qu’il affirmait en février 1991 dans le n°35 de la revue Passages :

« Je considère que tout Juif de la diaspora, et donc c’est vrai en France, doit partout où il le peut apporter son aide à Israël. C’est pour ça d’ailleurs qu’il est important que les Juifs prennent des responsabilités politiques. Tout le monde ne pense pas la même chose dans la Communauté juive, mais je crois que c’est nécessaire. Car, on ne peut pas à la fois se plaindre qu’un pays comme la France, par exemple, ait dans le passé et peut-être encore aujourd’hui, une politique par trop pro-arabe et ne pas essayer de l’infléchir par des individus qui pensent différemment en leur permettant de prendre le plus grand nombre de responsabilités. En somme, dans mes fonctions et dans ma vie de tous les jours, au travers de l’ensemble de mes actions, j’essaie de faire en sorte que ma modeste pierre soit apportée à la construction de la terre d’Israël. »

Combien de morts la construction d’Israël si chère au coeur de DSK a-t-elle causés ? A l’évidence, il ne sera jamais jugé pour cela.

Dominique Strauss-Kahn est-il pour autant coupable de crimes sexuels ? Il reste « présumé innocent », jusqu’à preuve du contraire, bien sûr, et si sa culpabilité n’a plus besoin d’être démontrée dans le domaine politique, la procédure de droit commun, elle, ne fait que commencer aux Etats-Unis. Ajoutons que nul homme, fût-il un authentique pervers sexuel et un criminel, ne mérite d’être humilié publiquement devant les caméras du monde entier ni de subir l’inhumanité barbare du système carcéral américain (ni même du système carcéral français, qui ne vaut pas mieux). Il n’est pas juridiquement prouvé que DSK ait violé une ou plusieurs femmes, ni même qu’il en ait harcelé sexuellement. A la faveur des derniers évènements, surgissent dans les médias des témoignages qui laisseraient entendre que Dominique Strauss-Kahn « aime les femmes » au point de les draguer très « lourdement », voire pire, si l’on en croit Tristane Banon, Piroska Nagy ou Aurélie Filippetti (« il frôle souvent le harcèlement », disait déjà Jean Quatremer en 2007). Dès lors, ce qui est en cause, au-delà du fait divers, et au-delà aussi de l’éventuelle hyperactivité sexuelle de DSK qui ne regarde que lui et ses partenaires tant que tout le monde est consentant, c’est la mise en évidence à travers le cas DSK d’une persistance de la phallocratie malgré la « révolution sexuelle », l’égalité des droits et la parité entre les hommes et les femmes inscrites dans la loi française.

Non, Dominique Strauss-Kahn n’est pas un séducteur ! Comme le souligne le Collectif Les mots sont importants, « une grande partie [des femmes sollicitées par DSK] ne sont sans doute pas ‘séduites’ par cet homme ». Comme le dit par ailleurs Mélenchon, « aimer les femmes » et « les violer » sont « deux attitudes qui n’ont pas de lien ». Sa réputation de gros lourd ne fait donc pas de DSK automatiquement un violeur (Mélenchon le souligne pour montrer que ceux qui connaissaient la réputation de DSK ne pouvaient pas se douter qu’il finirait accusé de viol). Mais un homme qui drague « lourdement » et systématiquement les femmes n’est pas un homme qui « aime » les femmes. C’est le plus souvent un homme inquiet de sa propre identité sexuelle et qui cherche à se rassurer par la preuve de virilité que lui procurent la possession et la soumission d’une variété importante de femmes, comme si toutes étaient irrévocablement destinées à succomber à son pouvoir de « séduction » (ou plus prosaïquement à son pouvoir d’achat, à son pouvoir politique et à sa position hiérarchique). Un tel homme éprouve donc de grandes difficultés à avoir avec des femmes des relations non-sexuelles, comme par exemple des relations de travail. Il ne les voit que comme objets de son désir et non comme sujets. Tel un vulgaire Caubère, il paie pour qu’elles fassent semblant de le désirer, ou tel un gros beauf, il siffle avec obscénité la passante inconnue ou encore colle une main au cul de la femme dont il pense qu’elle n’osera pas lui mettre une grande tarte dans sa gueule de con — à moins qu’il ne soit décidément con au point de penser que cela lui fait plaisir, le comble étant qu’il existe effectivement des connes qui se sentent flattées d’être ainsi traitées comme des putes. Pour peu qu’en plus, le phallocrate s’appuie sur une vraie position de pouvoir et d’autorité (chef, patron, ministre, président, directeur du FMI…), il attirera à lui une foule de dindes candidates à la putification qui le conforteront dans sa pathologie sous l’oeil goguenard et envieux de ses congénères machos. A ce stade, même celle qui refuse de s’offrir ou de se vendre pourra être forcée de céder en silence au chantage et aux pressions. C’est dans ce cas seulement que la justice parle de « harcèlement » (puni en France d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende, mais encore faut-il que la victime soit en mesure de prouver les faits, ce qui n’est pas simple). Nul besoin au demeurant d’être directeur du FMI ou président de l’ex-République pour être en position de harceleur. Combien de petits chefaillons exercent encore impunément leur « droit » de cuissage ? Combien de petits caïds obtiennent par la peur ce que leur seul pouvoir de séduction ne leur aurait jamais permis d’obtenir ? Et combien de losers qui n’obtiennent jamais rien mais insultent et injurient les femmes qui ont le malheur de croiser leur chemin et de ne pas succomber illico à leur charme latin ?

Le phallocrate type agit le plus souvent sous le coup d’une pulsion liée à une homosexualité refoulée ou à un complexe engendré par la petite taille de son pénis (l’affirmation peut sembler gratuite faute d’études statistiques fiables, mais c’est une hypothèse cohérente que chacun pourra s’amuser à vérifier par quelques investigations dans son entourage). Pour éviter les passages à l’acte violents et empêcher la nuisance du machisme au quotidien, il faudrait que ces comportements soient reconnus comme pathologiques (ne soient donc plus légitimés ni même excusés culturellement) et sujets de la réprobation générale voire de soins médicaux. Un homme directeur d’une importante institution internationale, et promis peut-être à occuper un jour la plus haute fonction de son propre pays, qui succomberait à une pulsion de viol alors que les feux de l’actualité sont braqués sur lui, serait à coup sûr un grand malade. Il n’est pas certain cependant que 70 ans de prison constituent une efficace thérapie ni une réelle aide aux victimes.

Dans les chefs d’inculpation contre DSK comme dans les témoignages sur sa conduite passée, on peut observer une conjonction assez flagrante de la domination masculine et de la domination de classe. La victime présumée de l’agression de New York est une femme mais aussi une femme de chambre.  Simple « troussage de domestique » donc, comme s’en est gaussé avec élégance un autre grand Kahn (voir l’article d’ACRIMED qui retranscrit les propos de Jean-François Kahn sur France Culture). Et cette femme de chambre serait une travailleuse immigrée d’origine africaine, position fragile s’il en est dans les sociétés occidentales. On a lu aussi ça et là que DSK draguait très lourdement les femmes journalistes, des jeunes militantes du PS… dans tous les cas, plutôt des femmes en position sociale ou hiérarchique inférieure, donc. A ce jour, en tout cas, personne n’a mentionné d’éventuelles tentatives insistantes de Srauss-Kahn pour se taper Danielle Mitterrand ou Bernadette Chirac, par exemple, alors qu’il est avéré qu’il a déjà été en contact avec elles. Aucune révélation non plus du côté de Margaret Thatcher ou Angela Merkel (les documents laissés par feu Mère Thérésa ne mentionnent jamais DSK non plus). Il semblerait donc que ce qui attire le plus DSK chez les femmes ne soit pas forcément leur pouvoir, leur force, leur expérience de la vie ou leur position élevée. On voit à travers l’exemple des penchants prêtés à DSK que la phallocratie traditionnelle qui avait été battue en brèche par le féminisme (du moins dans les classes moyennes, les élites et le prolétariat ayant somme toute peu évolué sur le plan des moeurs) est toujours vivace, et même re-légitimée par la putification qui s’exprime de plus en plus ouvertement dans la mode ou le monde du spectacle (avec par exemple la résurgence du strip-tease dit « burlesque« ). Si l’affaire DSK, par son impact, est sidérante, elle n’est qu’une péripétie qui ne remet pas en cause le fait que beaucoup de femmes considèrent aujourd’hui qu’il faut séduire, voire se déshabiller, voire coucher pour « réussir », qu’en se soumettant volontairement à la domination masculine, elles exerceront en fait le « vrai pouvoir » (ce qui n’est évidemment qu’une chimère). Dans cette étape de putification, le capitalisme transforme les corps en marchandises et les sentiments en transactions. L’amour et la sexualité se voient privés de la douceur de l’égalité et réduits à la violence des rapports de domination dans lesquels les cocus comme les violés sont toujours les plus faibles et les plus démunis : femmes, homosexuels, transsexuels, handicapés, immigrés, ouvriers, malades, vieillards, enfants… La misogynie, l’homophobie, la xénophobie, le racisme, le mépris de classe réifient le vivant et sont les vecteurs du processus de putification que connaît à présent le capitalisme mondialisé.

Il est hélas à craindre que l’affaire DSK ne freine en rien ce processus. Mais c’est loin d’être une préoccupation pour le toujours comique Parti ex-Socialiste français, déboussolé d’avoir perdu son homme providentiel, alors que celui-ci n’était même pas encore officiellement candidat à la candidature (quel cirque que ces primaires !). Pour un parti qui proclamait naguère « ni Dieu ni César ni tribun », c’est cocasse. On peut donc conclure par quelques mots gentils adressés au PS :

Bande de glands, vous avez dans vos rangs une kyrielle de bouffons de droite qui ont les mêmes idées que Strauss-Kahn et parmi lesquels vous pouvez même dégotter sans chercher bien loin quelques queutards fous qui ne vous dépayseront pas trop. Alors ne vous mettez pas la rate au court-bouillon sous prétexte que Strauss-Kahn est hors-jeu. N’importe quelle endive moite fera bien votre affaire. Même une femme, à vrai dire. Du moment qu’il s’agit de battre Sarkozy pour mener à sa place la même politique antisociale que lui. Sous l’égide du FMI, bien sûr. Et comme dit Jack Lang, « il n’y a pas mort d’homme », donc on s’en fout.

Méluche présiduche

Mélenchon : pas vraiment un nom de vainqueur. Confusion possible pour le public non-averti avec le Jean-Paul Huchon qui a fait du conseil régional d’Ile-de-France son gros polochon.

Ex-trotskard de l’OCI, Jean-Luc Mélenchon a fait carrière au sein du PS, et fut longtemps conseiller général et sénateur, ce qui fait tout de même plus rad-soc de la IIIe République que bolchevik au couteau entre les dents. Et pourtant, il ose, le Jean-Luc : campagne pour le « non » au referendum de 2005, scission avec le PS pour former un nouveau parti, le Parti de Gauche, en 2009 (certes, il ne s’est pas foulé pour le nom, qu’il a piqué au parti allemand Die Linke), attaques gonflées contre la médiocrité journalistique (voir la scène du nouveau film de Pierre Carles, Fin de concession, dans laquelle notre Méluche se paie la tronche de l’inepte David Pujadas)…

Avec le Front de Gauche, il a réalisé l’exploit de vampiriser les dernières forces du cadavérique PC français, se permettant même le luxe de griller la vedette au NPA de Besancenot lors des derniers scrutins (élections européennes et régionales de 2009 et 2010). Déjà vieux routier de la politique, il a su devenir un bon « client » des télés et radios, grâce à ses qualités d’orateur, sans doute, mais peut-être aussi en cultivant un côté grognon qui laisse espérer aux journaleux la petite phrase truculente, la provoc bien sentie, voire le dérapage bien beauf susceptibles de faire grimper l’audience. De quoi donner le frisson à des media qui rêvent sans doute un peu perversement, aussi, de se faire martyriser par le ronchon Mélenchon.

Peut-être grisé par son nouveau statut d’icône populiste auprès des media valets de l’ordre national-sarkozyste, Jean-Luc Mélenchon a sorti en 2010 un de ces bouquins que tout politicien ambitieux se doit d’écrire ou de faire écrire pour alimenter le « buzz » (comme disent les crétins), c’est-à-dire pour exister médiatiquement. Le tribun du Parti de Gauche y prône une « révolution citoyenne ». Aïe ! Accoler deux termes aussi galvaudés, dévoyés, salis, usés, abîmés, vidés que ces deux-là pour former un nouveau slogan politique ne présage rien de folichon, même recyclés par Mélenchon chonchon. Et l’on imagine plus facilement notre Jean-Luc national animer des fins de banquet en Essonne que revêtir les habits d’Evo Morales ou d’Hugo Chavez, dont il se réclame. Du coup, son mouvement apparaîtra certainement plus « citoyen » que « révolutionnaire », ce qui ne serait pas sans rappeler le précédent peu ragoûtant d’un autre ex-socialiste qui avait lui aussi tenté en son temps la scission : cette vieille ganache de Chevènement. Tout ça pour ça ?

Pourtant, force est de constater que cet ouvrage intitulé « Qu’ils s’en aillent tous ! » (mais pour aller où ?) se laisse lire, sa brièveté offrant même la possibilité d’en faire le tour rapidement en quelques séjours prolongés en lieu d’aisance. Et finalement, la lecture en est plutôt revigorante, malgré quelques flonflons de Mélenchon sur la « refondation républicaine » qui colleraient plutôt des boutons à ceux que les ors de la République rendent facilement bougons. Là encore, on serait tenté de dire : « Chevènement, sors de ce corps ! ». Le ressuscité de Belfort, en effet, avait lui aussi naguère fait le coup de la « refondation », fricotant un temps avec des exclus du PC (« refondateurs », eux aussi, naturellement) histoire de se positionner à la gauche du PS. Et lui aussi avait fait du souverainisme anti-européen son fond de commerce.

Mais revenons à notre Méluche. On passera sur son anti-américanisme tout de même pas loin d’être primaire et sur cette incitation ridicule faite aux Français à « être les meilleurs des meilleurs » (et pourquoi pas les meilleurs des meilleurs des meilleurs ?). On sourira de l’idée d’une annexion de la Wallonie par la France (et pourquoi pas le contraire ?). On s’étonnera de la hargne avec laquelle il vitupère contre le petit nombre de députés français au Parlement européen face au nombre de députés allemands (pourtant, ce nombre n’est-il pas proportionnel au nombre d’habitants qui est plus élevé en Allemagne qu’en France ?)…

Mais il faut aussi reconnaître que Mélenchon tape juste sur bien des points et propose des mesures authentiquement de gauche : partage des richesses, développement de coopératives, planification écologique… Il assène aussi des chiffres qui donnent le vertige, notamment lorsqu’il mesure en SMIC les salaires des PDG de multinationales. On apprend ainsi que « Carlos Ghosn, patron de Renault-Nissan, a empoché 770 ans de SMIC cette année soit 9,24 millions d’euros. Il a licencié 6000 personnes depuis 2008. » Ou encore : « Gérard Mestrallet a sûrement dû déplorer à chaudes larmes les 31% de pertes de GDF-Suez. Mais son salaire a quand même été augmenté du même pourcentage ». Si notre Hugo Chavez de l’Essonne ne va pas jusqu’à préconiser explicitement une re-nationalisation de ces entreprises, il propose tout de même de fixer un revenu maximum limité à 20 fois le revenu minimum. Sans être révolutionnaire, l’idée, qui vient des syndicats, est à la fois audacieuse et imparable.

Certes, les alternatifs, communistes, trostkystes, libertaires, et autres habitués de la radicalité révolutionnaire ne se contenteront pas si facilement des gesticulations d’un ancien bureaucrate du PS si rompu aux roueries électorales. Mais face à la chape de plomb qui pèse sur toute tentative d’insurrection, et dans les conditions objectives d’un présidentialisme verrouillé, on se plait à rêver qu’un homme de gauche, fût-il un Mélenchon, soit en mesure de conquérir le pouvoir, et de gouverner à gauche. Contester sans jamais chercher à conquérir le pouvoir ou conquérir le pouvoir par le centre pour finir à droite : tel était l’éternel dilemme de la gauche. Or le PG, renforcé par le Front de gauche et dirigé par un Mélenchon devenu charismatique, pourrait forcer le PS à lorgner sur sa gauche, voire, à terme, le déborder électoralement. Cut the crap ? Hmm… il n’est pas interdit de rêver.

Bibliographie :

Jean-Luc Mélenchon, Qu’ils s’en aillent tous !, Flammarion, 2010Qu'ils s'en aillent tous !

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