Esprit de victoire ?

« Esprit de victoire » ?
N’en déplaise au néo-supporter (de très très fraiche date) Mélenchon, qui traite de « pisse-vinaigres » ceux qui  — comme lui-même il n’y a pas si longtemps !— trouvent que le foot-spectacle est « l’opium du peuple », qui ne sont “pas très footeux“, et que ça a “toujours choqué de voir des RMIstes applaudir des millionaires”, on peut — sans la mépriser aucunement ! — voir dans la liesse populaire suscitée par la victoire de l’équipe de France de football autre chose qu’un « esprit de victoire » : un exutoire.
Il y aurait tant à dire sur les besoins de défoulement d’une jeunesse confinée dans une vie de merde sans horizon et à qui il ne reste que le foot (et encore : une victoire tous les 20 ans !) pour se sentir (enfin, et très provisoirement) membre d’un collectif, pour vibrer en s’identifiant à de jeunes athlètes issus des mêmes quartiers qu’elle (avec tout ce que cela induit de projection et de fantasmes de “réussite” pour ceux à qui elle reste, pour la plus grande masse, structurellement interdite). Que d’énergies couvent dans cette cocotte-minute d’hormones adolescentes, de chaleur estivale, de désœuvrement, d’ennui, de violence sociale et de flicage raciste (à l’occasion de la finale de la coupe du monde, la RATP et la préfecture avaient tout bonnement interdit aux banlieusards d’Ile-de-France de se joindre à la fête !). Dès lors, il n’est guère étonnant que la casse et la violence aient ponctué la liesse, sous le regard voyeuriste des médias du Capital (et la fRance raciste obligée de faire profil bas le temps de la victoire d’une équipe nationale pas assez “européenne”, c’est-à-dire “blanche”, à son goût, y trouvera bien sûr de nouveaux prétextes à vomir sa haine des bronzés).

Certes, il existe une histoire sociale du football. Certes, le football est un sport populaire. Certes, le foot-spectacle cible avant tout les classes populaires (panem et circenses, rien de nouveau depuis l’antiquité) — et d’ailleurs, c’est la télé elle-même, comme le rappelle Antoine Perraud dans Mediapart, qui a carrément lancé l’injonction à des millions de téléspectateurs d’aller festoyer dans la rue :

“C’est la télévision qui le dit, il faut savoir déserter les écrans : “Vous avez peut-être envie d’aller sortir dans les rues, d’aller klaxonner dans les champs”, entend-on sur TF1, dans un lyrisme soudainement incompatible avec les parts de marché.”

Certes, il ne s’agit pas de mépriser la joie populaire, même à ce point téléguidée par le Spectacle (au sens debordien du terme). Mais le camarade Mélenchon à crampons devrait songer qu’il ne faudrait peut-être pas non plus, sous peine de se couper des forces vives de son propre électorat, mépriser trop vite le dépit de celles et ceux qui voient la télé réussir pour le foot ce qu’elles et eux-mêmes, malgré des mois de militantisme acharné, n’ont pas réussi à faire pour défendre les droits sociaux et les services publics : faire descendre au moins un million de personnes dans la rue. Bien sûr, cela ne nous autorise pas non plus à faire l’économie d’une réflexion sur les raisons qui font que nos manifs, nos grèves et nos actions politiques paraissent si peu attirantes en comparaison avec la fête footballistique. Mais c’est une autre question.

Cette potentia multitudinis débordant sur commande télévisuelle peut-elle être au moins partiellement captée socialement et politiquement ? Dans la perspective d’une stratégie “populiste de gauche” (qu’il ne s’agit pas de renier ici), on peut comprendre qu’il existe des affects communs entre les passions collectives suscitées par le foot, et celles qu’un responsable politique comme Mélenchon cherche à mobiliser pour “construire un peuple”, un “nous” contre un “eux”. Mais l’exercice est assurément périlleux : le “nous” footballistique inclut de jeunes athlètes dont l’extraction populaire ne saurait éclipser l’appartenance à l’oligarchie du fait de la monstrueuse indécence de leurs revenus. Il inclut aussi la plupart des dirigeants politiques et économiques pour qui il n’est pas difficile de s’adonner plus ou moins sincèrement à cette passion populaire : pour ce qui concerne le football, le fait marquant de ces dernières années n’est-il pas justement le ralliement d’une grande partie des classes supérieures et de l’intelligentsia, jusqu’ici plutôt allergiques au ballon rond, à la passion footballistique, qui n’est donc plus exclusivement populaire ? On ne compte plus en effet les coming out d’intellectuels, de patrons ou de politiciens en tant que fans de foot, sans compter la folie bétonneuse qui a couvert une France pourtant pas si pratiquante que cela de stades. Et à ce jeu, le démagogue Macron, dans des poses victorieuses à faire saliver Leni Riefenstahl, tripotant lubriquement les joueurs sous la pluie en gros plans hollywoodiens à côté d’un Poutine figé par le botox, paraissait de toute évidence plus convainquant que le démagogue Mélenchon, insultant grossièrement ceux des siens qui osaient aujourd’hui tenir les mêmes propos que ceux qu’ils tenaient lui-même il y a huit ans. Et le “eux” footballistique, c’est bien souvent des peuples étrangers, comme les Croates, que les plus fair play qualifieront de distingués adversaires n’ayant pas démérité, mais que la passion populaire peut tout aussi bien qualifier d'”enculés”. Bref, le “nous” construit par les affects footballistiques a tout de même des relents chauvins, nationalistes et homophobes qui s’opposent au projet que prétend porter le camarade Mélenchon, qui eût pu, dès lors, faire preuve d’un peu de retenue et de cohérence, et se contenter de se réjouir sobrement de la joie populaire ou même simplement de se taire.

“Le goût de la victoire se transpose”, nous assure le Mélenchon à crampons saison 2018 (décidément moins “pisse-vinaigre” que le Mélenchon saison 2010), laissant entendre que ce goût et cette force pourraient se transposer dans nos luttes, y compris contre Macron le supporter en chef. Pourtant, le Brésil, recordman de victoires en coupe du monde, a connu des années de dictature et d’inégalités sociales contre lesquelles “l’esprit de victoire” n’a visiblement pas connu de transposition politique et sociale. Idem pour l’Argentine. La victoire de l’Allemagne en 2014 n’a pas empêché la réélection de Merkel, la montée de l’extrême-droite et le maintien d’une politique ordolibérale antisociale. La victoire de l’Italie en 2006 n’a pas ressuscité le mouvement social italien ni empêché la droite et les “démocrates” de détruire les acquis sociaux. La victoire de la France en 1998 n’a pas empêché la victoire de Chirac en 2002 ni la qualification de Le Pen au 2ème tour (la “France black-blanc-beur” célébrée quatre ans plus tôt n’aura pas pesé lourd face au populisme raciste et xénophobe). La victoire de l’Espagne en 2010 n’aura pas empêché l’austérité. Quant à la victoire de la Grèce lors de “l’euro” de football de 2004, on peut convenir que “l’esprit de victoire” n’aura pas été d’un grand secours au peuple grec les années suivantes contre la destruction du pays par le capitalisme financier.

Bref, le camarade Mélenchon ferait bien d’atterrir, de cesser de s’avilir par des propos démagogiques qui ne trompent aucun vrai amateur de football, et de revenir à ce qu’il sait faire de mieux : expliquer au peuple les ravages des politiques néolibérales autoritaires et lui proposer une alternative plus désirable.

 

Auteur/autrice : Serge Victor

Militant de gauche, écosocialiste, féministe, autogestionnaire

2 réflexions sur « Esprit de victoire ? »

  1. qu’est ce qu’il vous a fait Jean-Luc ? il vous a piqué votre nana ? ou bien votre QI est jaloux du sien ?
    vrai une telle animosité , de tels propos acides ne sont pas digne d’un adversaire de bonne foi!
    vous devriez aller vous confesser ou voir un psy ! courage vous n’en sortirez pas anobli !
    c’est drôle comme l’égo de chacun empêche la réunion des bonnes intentions !
    je vous salut pas cordialement mais avec une pointe d’amertume .

    1. Jean-Luc ne m’a rien fait, si ce n’est achever de me convaincre de la nécessité de combiner République, Ecologie et Socialisme, et de mener une stratégie populiste de gauche de conquête électorale du pouvoir (je l’en remercie au passage). Il n’est pas mon adversaire. Il ne m’a pas piqué ma nana. J’ai juste un désaccord politique avec lui sur l’instrumentalisation qu’il tente de faire du foot.
      Je ne sais si mon QI est jaloux du sien. Je dois vous confesser que je ne connais pas mon QI, et que je suis assez sceptique sur la validité-même de la notion de QI. En tout état de cause, je pense que la pertinence d’un argument ne dépend pas forcément de l’intelligence de celui qui l’émet. Et JLM peut avoir plein de qualités que je ne songerais même pas à essayer d’égaler, ça n’empêche qu’il peut lui arriver de dire une grosse connerie et qu’il peut arriver à un simple quidam comme moi de la relever.
      Je n’irai pas voir de confesseur car je suis un indécrottable mécréant, et contrairement à vous, je ne pratique pas non plus le culte de la personnalité. Si je dois voir un psy, ce ne sera sans doute pas sur votre injonction. Quant à être anobli, non merci : je suis républicain.
      Pour ce qui est de l’ego, le mien se porte aussi bien qu’un autre mais ne m’a jamais empêché de me réunir avec d’autres, dans mon syndicat, au PG, à la FI, dans mon comité local “Stop Macron”. Je ne suis d’ailleurs pas le seul dans ce cas : Ego

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