Lettre ouverte à Dominique Vidal au sujet de Mélenchon, de la Syrie et de quelques calomnies émises à mon sujet

Cher Dominique Vidal,

Je vous ai souvent lu avec intérêt dans les colonnes du Monde Diplomatique, journal qui n’a pas été pour rien dans mon éducation politique. Je vous ai écouté très régulièrement aussi dans l’émission Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet, qui n’a pas peu joué non plus dans ma formation.
J’ai donc d’abord accueilli avec un a priori plus que favorable vos interventions sur un groupe Facebook que je co-administre et sur ma propre page de ce réseau antisocial, dont je n’use qu’à des fins politiques, un de mes champs d’activité bien éloigné de votre spécialité (le Moyen-Orient) étant la lutte contre les stratégies confusionnistes d’extrême-droite. Autant le dire tout de suite, même si je n’ai pas eu l’occasion d’en parler avec vous, ces activités m’ont conduit bien souvent sur divers supports (dont vous ignorez sans doute l’existence) à contrer la propagande poutinienne, le conspirationnisme antisémite pro-chiite et autres biais par lesquels la fachosphère (FN, mais aussi nazis dieudo-soraliens et autres rouges-bruns, etc.) cherche à empoisonner la gauche radicale (dont le campisme anti-américain forme hélas une zone de porosité certaine avec les lubies de l’extrême-droite).
Dans mon propre camp, notamment le mouvement de la France insoumise (et même dans mon parti, le PG, ou dans mon syndicat SUD-Solidaires), il y a, c’est vrai, des militants qui se laissent parfois intoxiquer par les médias de pseudo-réinformation et qui, face au matraquage quotidien de la propagande atlantiste dans les grands médias, tombent de Charybde en Scylla en gobant n’importe quel hoax  notamment ceux qui exonèrent les tyrans favoris de l’extrême-droite (Bachar El Assad, Saddam Hussein, Kadhafi…) de tout crime, simplement parce qu’ils se sont heurtés un jour aux méchants « zoccidentaux » (ou « américano-sionistes » ou « illuminati reptiliens satanistes », selon le degré de dinguerie). Votre confrère du Diplo Frédéric Lordon a écrit des choses assez intelligentes sur ce phénomène (voir son article : « Conspirationnisme, la paille et la poutre« ).
Tout cela pour vous redire en guise de (long) préambule que je n’ai jamais soutenu aucune dictature, que je n’ai jamais jugé que la lutte contre l’impérialisme américain puisse justifier d’être complaisant envers l’impérialisme russe, que je n’ai jamais cru que Bachar El Assad soit autre chose qu’un boucher sanguinaire et que je n’ai jamais pensé non plus que la lutte contre le djihadisme puisse justifier le recours au « carpet bombing » qu’ont pratiqué les Russes, notamment à Alep, ce qui constitue de toute évidence un crime de guerre, crime dont Poutine ne saurait être exonéré sous prétexte que d’autres puissances en ont commis aussi en certaines occasions. Tout cela est aisément vérifiable dans mes écrits, sur ce blog même ou sur Facebook.

capture-decran-2017-02-08-a-15-16-35capture-decran-2017-02-08-a-15-33-37Quelle ne fut donc pas ma surprise de vous voir un jour m’accabler d’insultes surréalistes en commentaires d’un article pourtant équilibré que j’avais relayé sur ma page Facebook au sujet d’Alep (NB : suite à des attaques de trolls libertariens contre mon compte, j’ai dû changer mon identifiant « Serge Victor » en un plus passe-partout « Serge Gautier », mais il s’agit bien du même bonhomme). Vous m’y avez traité de « complotiste pro-russe », accusé de jouer « les PG honnêtes cherchant la vérité » mais d’avaler « tous les bobards », de découvrir « avec une feinte naïveté toutes les vidéos RT et autres textes des complotistes pro-Bachar et pro-Russes… », d’être responsable du fait que JLM allait perdre « votre voix » (rien que ça !)… Vous y avez copié/collé plusieurs fois le même document puis le même texte, vous abaissant à un flooding digne des pires trolls d’extrême-droite… Tout cela sous l’oeil médusé de camarades qui tout autant que moi, vous respectaient comme rédacteur d’un grand journal de gauche mais tombaient des nues devant vos calomnies et vos manifestations d’orgueil mal placé.

capture-decran-2017-02-08-a-19-53-23N’étant pas moi-même spécialiste du Moyen-Orient, j’essaie de rester prudent face à la propagande d’où qu’elle vienne, et sur la Syrie, je n’ai aucune certitude, si ce n’est que Bachar El Assad est un assassin, que le peuple syrien était fondé à se révolter contre lui (ce que JLM n’a jamais nié), que les djihadistes du prétendu Etat islamique mais aussi de la branche syrienne d’Al-Qaïda (présente parmi les rebelles d’Alep), sont également des criminels, que la lutte des Kurdes menant une expérience révolutionnaire laïque mérite d’être soutenue, que les grandes puissances sont devenues des acteurs intéressés de ce conflit et que la France, en tant que membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, gagnerait à peser pour une alliance universelle afin de rétablir la paix et organiser des élections sous l’égide de l’ONU, seul moyen raisonnable de dégager Bachar El Assad, aucune intervention militaire extérieure sous prétexte de destituer un tyran n’ayant jamais donné de résultat positif. Pour essayer de m’y retrouver, je me fie notamment à ce que je peux lire dans Le Monde Dicapture-decran-2017-02-08-a-19-47-53plomatique (journal que vous connaissez bien), notamment dans l’article « Qui sont les rebelles d’Alep ? « . Lorsque vous hurliez au « complotisme pro-russe » dès qu’on mentionnait (comme votre ancien journal !) la présence de djihadistes parmi les rebelles d’Alep, je vous ai demandé plusieurs fois de nous éclairer de vos lumières de spécialiste. Mais vous avez plutôt eu tendance à éluder, ou vous avez répondu par des sarcasmes, alors même que j’étais plutôt d’accord avec vous sur le fond, y compris sur le fait que Mélenchon manquait de clarté au sujet des bombardements à Alep. Je me suis efforcé patiemment de vous montrer, preuves à l’appui, que celui que vous présentiez encore parfois comme « notre candidat » refusait, certes, d’entretenir — en dénonçant explicitement (et sur injonction des médias) les bombardements russes sur Alep — un climat de haine belliciste à l’égard des Russes (pouvant conduire selon lui à un nouveau conflit généralisé), mais que cela ne faisait pas de lui pour autant un partisan de ces bombardements, encore moins un partisan du régime de Poutine, et encore moins un partisan du régime de Bachar El Assad (voir par exemple le rappel des prises de position publiques de JLM et du PG contre Poutine).
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capture-decran-2017-02-08-a-22-30-00Pourtant, vous n’avez cessé de revenir sur le sujet, comme si je ne vous avais jamais exposé aucun argument. Plus récemment, sur votre page Facebook, vous avez relayé une information d’Amnesty International relative à des horreurs commises dans les prisons de Bachar El Assad. Dans le fil de commentaires, un de vos amis s’est permis ce mensonge : « mais à part cela pour JLM Assad est la solution ». Je lui ai donc répondu en sous-commentaire : « Non. JLM n’a jamais soutenu Assad ». S’en est suivi un échange, non pas sur le sujet initial mais sur (une fois de plus) les amalgames anti-JLM que j’avais déjà eu l’occasion de démonter auprès de vous. Non seulement vous êtes venu en renfort des mensonges de votre ami, mais vous les avez appuyés de calomnies publiques à mon égard (me qualifiant par exemple de « menteur professionnel »), m’avez censuré, puis m’avez « bloqué », usant de cette fonction de Facebook qui permet de faire disparaître quelqu’un et de se rendre invisible à lui. capture-decran-2017-02-13-a-16-15-16Faire disparaître un empêcheur de penser en rond, ça ne vous rappelle rien, comme procédé ? Vous-même étiez pourtant abondamment venu sur ma page y apporter la controverse sans y encourir censure ni bannissement, alors même que vous y aviez trollé sans vergogne. sans_trotsky_2

Mais nous ne sommes pas en URSS, vous ne pouvez me rayer ainsi de la photo, et Facebook n’est pas le seul support sur lequel je puis continuer à vous apporter la contradiction. Je me rappelle donc à votre bon souvenir sur ce blog que vous ne pourrez censurer. Je le fais parce que je suis une « tête dure », un « insoumis » qui n’entend pas se laisser museler si facilement. Je le fais aussi car il me semble que votre cas peut être instructif, et que des camarades pourront peut-être y puiser des arguments sourcés et des faits pour réfuter le type de calomnies dont vous n’êtes, hélas, pas le seul vecteur. Je le fais enfin avec l’espoir ténu que peut-être vous ne resterez pas totalement hermétique à mes arguments.

Dans les quelques discussions que nous avons eues, vous avez souvent cité une émission qui selon vous constituait une « preuve » de vos dires. Il se trouve que cette émission (ONPC) de février 2016, je l’ai déjà commentée sur le présent blog. Je vais le faire à nouveau, à partir cette fois d’une transcription écrite du passage sur la Syrie que j’agrémenterai de quelques commentaires de mon cru en rouge et entre crochets.

[Au bout de près d’une demi-heure d’émission]

Moix : (…) vous avez dit aux Inrocks, justement, que les frappes en Syrie étaient une erreur totale… Ma question internationale… Vous dites : « nous sommes fascinés par le droit d’ingérence mais c’est une stupidité géopolitique dont on ne cesse de découvrir l’ampleur ». Or, un mois avant, sur Public Sénat, vous apportiez votre soutien aux bombardements russes. Alors je voudrais savoir si vous étiez un traitre à la patrie ou s’il y avait un problème de raisonnement.
Pourquoi est-ce que d’un côté vous êtes pour l’ingérence russe et de l’autre contre l’ingérence occidentale ?

[Admirons le côté frelaté de la question qui n’est en fait qu’une accusation de soutien à la Russie ; je n’ai pas retrouvé la séquence de Public Sénat de cette époque durant laquelle JLM est accusé d’avoir apporté son « soutien aux bombardements russes », mais l’expérience me laisse penser que les vrais propos étaient sans doute au moins plus nuancés que cela]

JLM : Faut voir les choses aussi, c’est que les événements quand ils se déroulent, créent leur propre logique. C’est-à-dire que nous commençons par aller en Irak pour vaincre M. Saddam Hussein, qui est un tyran abominable blablablabla, qui avait des armes de destruction massive, nous cassons tout, et le résultat est une pagaille absolument innommable parce qu’évidemment après, personne ne s’occupe de rien… sauf de ramasser les contrats de pétrole et les contrats de gaz. Voilà. Une pagaille gigantesque a lieu. Elle contamine le pays voisin. Ensuite arrive une question de passage des oléoducs et des gazoducs. On enrobe tout ça de religion. On paye des gens. Et ça vous donne Daech. Et ça vous donne ceci et ça vous donne cela… et des pays entiers détruits. On décide d’intervenir. Donc on aggrave la situation parce que tout le monde sait qu’aucune victoire militaire n’est possible par des bombardements. [JLM procède bien ici à une condamnation des bombardements en général, donc]
Demandez-le à des militaires. Ils vous le diront. Bref, la situation est… Oui, on ne peut pas gagner.

Moix : Vous dites [mot incompréhensible] « Daech est méchant en Syrie », donc vous dites pour nous hein, de notre point de vue, « Daech est méchant en Syrie mais redevient gentil quand il s’attaque aux Kurdes ». J’ai pas vu une seule fois où on aurait pu penser que Daech était gentil…

JLM : M. Moix, M. Moix, ce n’est pas loyal. L’article date de quand ?

Moix : Cet article date du 22 octobre 2015.

JLM : 2015. 22 octobre 2015. Ah oui. Mais la situation a évolué de bien des manières. Vous n’avez pas entendu parler du fait que les Turcs aidaient Daech  et que les Turcs bombardent… et tirent sur les Kurdes, leur tirent dans le dos ? Alors que les Kurdes sont là en train de se battre contre Daech [notons bien que la préoccupation principale de JLM, dans cette affaire, est le sort des Kurdes, seuls acteurs de ce conflit qu’il soutient politiquement]. Mais, M. Moix, comme vous Madame, vous savez bien que tout ça est une comédie. Vous savez bien que le fond de l’affaire, c’est le passage des oléoducs et des gazoducs à travers la Syrie parce qu’il s’agit de faire passer des matières premières pour éviter que les Russes ne tiennent de trop près à la gorge toute l’Europe pour leurs fournitures. Et au passage…

[A ce stade, il faut préciser que cette question des oléoducs et gazoducs est controversée, et je pense moi-même, s’il m’est permis de donner mon opinion personnelle — qui n’est précisément que l’opinion d’un citoyen lambda non spécialiste — que JLM sombre peut-être dans un certain simplisme en en faisant l’explication principale de la situation ; mais il faut préciser aussi que cette analyse, pour contestable qu’elle soit, ne nie à aucun moment l’origine populaire et pacifique de la révolte contre le régime de Bachar El Assad, contrairement à ce qu’ont essayé d’affirmer par la suite certains détracteurs de JLM — j’y reviendrai plus loin]

Moix [coupant JLM] : Vous ne croyez pas… Et la démission des Etats-Unis dans cette histoire, l’impuissance de l’Europe et la mainmise de Poutine sur la région… avant même les raisons économiques ?

JLM : Mais jamais Poutine n’a eu la main sur cette région ! C’est l’inverse. C’est parce qu’on a prétendu l’en chasser… et où il dispose de positions à cet endroit-là, qu’il veut les conserver. Mais que voulez-vous ? Quel tableau [pas sûr du mot, couvert par les interruptions de Moix et Salamé] voulez-vous à la fin ? [brouhaha] Vous voulez d’un côté des gentils et de l’autre des méchants ?

Salamé : C’est pas ça.

JLM : Tous les bombardements tuent tout le monde [condamnation globale des bombardements].

Salamé : C’est pas ça. C’est pas ça. Et vous avez raison de commencer par l’Irak et de parler d’erreur initiale des Américains en Irak en 2003. Mais aujourd’hui on en est loin. On en est à… Il a raison, Yann Moix. On a : les Américains qui s’en fichent — Obama s’en fiche…

Moix : Démission.

Salamé : … de la région… démission totale ; impuissance de l’Europe…

Moix : on essaie de [incompréhensible : il parle en même temps que Salamé]

Salamé : L’ONU est morte. Reste qu’on est en train de donner cette région stratégique aux Russes et aux Iraniens [drôle d’affirmation quand on considère que les Russes défendent en fait des positions déjà acquises de longue date — base militaire, accords économiques — qui seraient menacées par un effondrement du régime et une mainmise de l’OTAN sur le pays, et que les Iraniens chiites ont des liens privilégiés de longue date également avec le régime dominé par les Alaouites ; Léa Salamé prend ici l’air de rien une position atlantiste très orientée]. Est-ce que ça vous va ?

JLM : Attendez. Permettez-moi de… Sur quoi vous vous appuyez pour dire « donner cette région » ?

Salamé : Est-ce que vous avez vu cette semaine les bombardements d’Alep ? [Notons comme Salamé évacue la question et change soudain de sujet, passant de la question de l’implantation historique des Russes en Syrie à la question de l’indignation morale face aux bombardementsLes bombardements pilonner, éventrer cette ville par l’armée russe. Est-ce que vous l’avez vu ou non ?

JLM : Oui, j’ai vu à la télévision…

Salamé [coupant JLM] : Par ce qu’on appelle le carpet bombing, c’est-à-dire la manière russe…

JLM [lassé] : oui oui oui.

Salamé : … de taper…

JLM : Ecoutez madame…

Salamé : … à la fois les militaires et les civils…

JLM : Je sais, je sais…

Salamé [l’interrompant encore] : Oui ou non ?

JLM : … que ma cause va à rebours de tout ce qui se dit [on sent qu’il essaie encore de poursuivre son explication historique initiale sur la présence russe en Syrie]. Hein ? [Moix essaie encore de l’interrompre] Moi, je ne reconnais pas… Je ne nous reconnais pas le droit, ni même l’idée d’être les gendarmes du monde [il ne parle donc pas du deuxième sujet lancé par Salamé sur le carpet bombing mais continue bien sur l’idée que la France et l’OTAN n’ont pas, selon lui, à aller menacer les positions russes en Syrie — c’est important pour saisir la suite de cet échange difficile].

Salamé [l’interrompant] : Mais…

JLM : Car ce sont des indignations à géométrie variable…

Salamé [l’interrompant] : Oui, je suis d’accord.

JLM : Pardon madame. On trouve horrible que Daech décapite des gens. Mais l’Arabie saoudite en décapite 150 dans l’année, tout à fait légalement, et on va leur embrasser les mains et les pieds. Donc ça ne sert à rien. Cette comédie n’a pas de sens. Nous n’avons pas…

Salamé [l’interrompant] : Je vous ai posé une question sur la France… [elle parle en même temps que lui]

JLM : … d’ami, nous n’avons que des intérêts… Laissez-moi…

Salamé [l’interrompant] : Je vous ai posé une question sur la France [en fait, elle ne lui a posé aucune question sur la France : elle lui a demandé si cela lui convenait de « donner » cette région aux Russes, puis, sans lui laisser le temps de répondre, s’il avait vu les bombardements sur Alep]. Je vous pose la question sur Poutine [en fait, elle ne lui a posé aucune question sur Poutine], vous me répondez la France [elle couvre ce qu’essaie de dire Mélenchon qui, finalement, se tait ; le passage qui suit est celui qui sera repris en boucle par la presse].

Salamé : Poutine, est-ce que vous êtes pour ce qu’il est en train de faire en ce moment en Syrie ?

JLM : Oui.

[Après la séquence précédente, où JLM n’a jamais pu suivre le fil de son analyse, cette réponse lapidaire provocatrice à une question biaisée servira à repeindre JLM en partisan de Poutine voire de Bachar El Assad, alors que la suite de l’entretien, jamais retenue par les détracteurs de JLM, prouve le contraire]

Moix : Ah bon.

Salamé : Il fait quoi, là en Syrie ?

JLM : Je pense qu’il va régler le problème.

Salamé : Et c’est quoi ? Comment ?

JLM : Eliminer Daech.

Salamé [couvrant la réponse de JLM] : En éliminant les civils ?

Moix : Et surtout éliminer les rebelles au régime d’Assad.

JLM : Ecoutez monsieur, laissez-moi…

Moix [l’interrompant] : C’est ce qui se passe.

JLM : Vous ne croyez pas… ?

Moix [l’interrompant] : 80% des frappes…

JLM : Vous ne pouvez pas…

Moix : … ne concernent pas Daech…

JLM : Non non non…

Moix : … l’Etat islamique, mais concernent…

JLM : Oui, oui.

Moix : … mais concernent les rebelles.

JLM : Oui. Bien sûr. Oui… Ce n’est pas vrai.

Salamé [l’interrompant] : 9000 sorties aériennes…

JLM : Je suis d’accord avec vous. Monsieur…

Salamé [l’interrompant] : M. Mélenchon, 9000 sorties aériennes des Russes. 300 seulement ont visé Daech. 300 seulement sur les 9000 [approbation de Moix]. Ils visent l’opposition syrienne.

JLM : D’où tenez-vous ces chiffres ?

Moix : De la presse de tous les jours, quand on lit…

JLM : Voilà. La presse de tous les jours, elle les tient d’où ?

Moix : Vous croyez que M. Poutine n’est pas en train… ?

JLM [l’interrompant — pour une fois, c’est dans ce sens] : Vous êtes des journalistes tous les deux…

Salamé [l’interrompant] : Vous êtes donc…

JLM : La règle qu’on connaît dans le journalisme, c’est que la première victime d’une guerre, c’est la vérité.

Moix [l’interrompant] : M. Mélenchon…

JLM : Tout le monde se bat à intoxiquer et raconter des salades pour les faire passer dans son camp…

Moix [l’interrompant] : J’entends bien…

JLM : Qu’est-ce que vous voudriez m’entendre dire ?

Salamé : Je voudrais savoir votre position. Vous l’avez dit… [elle couvre sa tentative de réponse et répond à sa place] Vous avez dit : « Poutine est là pour sauver la situation ».

JLM : Je suis pour que Daech soit vaincu, écrabouillé, et que les Kurdes gagnent…

[A ce stade, on peut rappeler une chose sur le contexte : JLM se méfiait visiblement de la propagande de l’OTAN, et sa principale source d’information semblait donc être le côté kurde, le seul qu’il soutient politiquement et avec qui il est en relations ; les YPG kurdes dont les ennemis principaux étaient les Turcs et Daech, voyaient alors d’un bon oeil les bombardements russes qui les soulageaient (voir le témoignage d’un volontaire libertaire que j’avais déjà cité sur ce blog) ; il a été confirmé depuis que ces bombardements russes ne visaient pas prioritairement Daech, même s’ils lui ont coupé la route du pétrole et permis la reprise de Palmyre (ce que les Américains et leurs alliés n’avaient jusqu’alors pas réussi à faire), mais prioritairement (Moix et Salamé ont raison sur ce point) les « rebelles » ; là où où les choses se compliquent, c’est qu’on sait aussi que ces rebelles étaient déjà dominés, dans certaines régions comme Alep, par des factions islamistes, dont certaines sont des émanations directes d’Al-Qaïda, rivales de Daech mais tout aussi criminelles (voir Le Monde Diplomatique de décembre 2016)]

JLM [essayant de poursuivre dans le brouhaha de Moix et Salamé] : Je suis pour la stabilité dans la région.

Salamé [l’interrompant] : C’est pas les Kurdes qui sont en train de gagner. C’est Bachar El Assad.

Moix : Vous savez très bien que quasiment aucune frappe depuis le mois d’octobre…

JLM [l’interrompant] : Non, ce n’est pas vrai.

Moix : … n’a concerné Daech de la part de Poutine.

JLM : Non mais M. Moix, je vous en prie. Ce n’est pas vrai. Ce sont les Russes qui ont coupé les communications qui sortent le pétrole de Daech pour faire de la contrebande par la Turquie. Ce n’est pas moi qui le dis. Ce sont les opposants turcs. Et c’est ça qui a été bombardé. Donc je félicite les Russes d’être parvenus à couper cette liaison, si bien que Daech va être étranglé. Et comme c’est Daech qui nous a frappés, je souhaite qu’il soit frappé à mort.

[Après avoir été interrompu une bonne quinzaine de fois, Mélenchon réussit donc enfin à poursuivre son raisonnement et à dire quel problème va, selon lui, être réglé par les Russes : il parle de la route du pétrole du Daech, convaincu que celle-ci, avec la complicité de la Turquie, permettait au prétendu Etat islamique de financer une partie de ses opérations ; il ne parle pas du tout, en l’occurence, des bombardements russes sur Alep, dont les médias l’ont par la suite fait indument le laudateur, et son analyse se fonde en l’occurence non sur la propagande russe, mais sur les sources kurdes en Syrie et en Turquie]

Moix : Là, on est d’accord. On est d’accord.

JLM : Alors qui va le faire ?

Moix : Je suis d’accord avec vous, vous êtes en train d’établir une hiérarchie, ce que n’a pas fait Laurent Fabius, pour savoir quel était le méchant n°1. Fabius a considéré…

JLM [l’interrompant] : Ça n’a pas de sens, méchant ceci méchant cela…

Moix : Mais si, c’est ce que…

JLM [l’interrompant] : Qui est-ce qui va signer un accord avec l’Iran ? C’est quand-même pas moi ? J’ai toujours lutté contre le régime théocratique de Téhéran.

Moix : Vous voyez bien qu’il y a une alliance entre Poutine et l’Iran actuellement pour abattre les rebelles anti-Assad afin de se retrouver avec deux pièces sur l’échiquier, qui est Bachar El Assad d’un côté et Daech de l’autre. Donc Poutine est bien en train d’éliminer la rébellion en ce moment. Et d’écraser une partie des populations civiles. Vous êtes d’accord avec ça ?

JLM : Non.

[On peut s’interroger sur le travail journalistique qui consiste ici non pas à interroger un politique pour connaître son analyse mais à lui en fournir une et à lui demander d’y souscrire ; JLM a expliqué récemment dans un documentaire réalisé par Gérard Miller qu’il refusait de se soumettre ainsi aux assignations médiatiques, et notamment aux indignations sur injonction, ce qui explique peut-être ici sa réponse lapidaire]

Moix : Pffiou. Très bien.

[rires]

Moix [couvert par Salamé et Ruquier] : En fin de compte je ne peux rien vous rétorquer…

Salamé : Et quand vous dites que Vladimir Poutine…

Ruquier : Vous ne croyez pas…

JLM : Vous êtes en train de dire quelque chose… [Moix essaie de parler] Pardon M. Moix, mais ce que vous dites ne correspond pas aux faits. Même pour vous faire plaisir, je ne vais pas dire que je suis d’accord.

Ruquier : Il a raison, Yann Moix.

JLM : Vous partez de la propagande, pardon de vous le dire, nord-américaine… même vos collègues…

Salamé [l’interrompant] : parce que la propagande russe, on ne la connaît pas…

JLM : Laissez-moi….

Salamé : M. Mélenchon…

JLM : Mme Salamé… Tout est de la propagande, et tous les bombardements massacrent tout le monde. Je ne suis pas pour les bombardements [pourtant, certains vont oser, à la suite de cette émission, le repeindre en partisan des bombardements sur Alep ! Alors qu’il dit qu’il n’est pour aucun bombardement !]. Cette pauvre population a été prise dans une guerre qui ne la concerne même pas, qui est une guerre d’oléoducs et de gazoducs. Mais je viens à ce que vous dites. Quand vous me parlez de rebelles en Syrie, figurez-vous que les rebelles « civilisés » [interruptions de Moix] sont une ultra-minorité.

Moix : Certains se radicalisent.

JLM : Mais écoutez, quand vous voyez que Al-Qaïda qui est notre ennemi en Afghanistan devient notre allié en Syrie, tout cela est absurde. Il faut rétablir l’ordre. Et l’ordre passe par le fait qu’on élimine Daech de là. Et qu’on reconnaisse la stabilité des frontières.

Moix [l’interrompant] : Mais Daech est le cadet des soucis de la Turquie [JLM essaie de parler]. M. Mélenchon, Daech est le cadet des soucis de la Turquie. Pour eux, les terroristes, c’est pas Daech. Ce sont les Kurdes. Daech est le cadet des soucis des…

JLM [l’interrompant] : C’est ce que j’étais en train de dire il y a un instant, hein…

Moix : Obama se moque complètement…

JLM [à la cantonnade] : Vous arrivez à suivre ?

[rires]

Moix : Non mais…

JLM : Donc Daech est bien l’ami des Turcs.

Moix : Non, je dis simplement que ce qu’on appelle terroriste varie effectivement d’un point de vue à l’autre. Pour les Américains, en gros, les terroristes c’est personne parce qu’Obama a démissionné.

JLM : Oui.

Moix : Pour… Vous demandez à Poutine qui sont les terroristes, il va vous répondre que ce sont les Turcs et si vous demandez aux Turcs qui sont les terroristes, ils vont vous répondre que ce sont les Kurdes. Donc en fait on a l’impression comme le disait Léa tout à l’heure qu’on est les seuls aujourd’hui à hériter d’un problème qui ne nous concernait pas forcément à la base…

JLM : Alors pourquoi a-t-on été bombarder ?

Moix : Parce que, en 2014, on a commencé à aller venger les Anglais qui, eux-même ne se vengeaient pas eux-même de ce qu’on leur avait fait [borgorygme goguenard de JLM]. Et on prend la place des Etats-Unis sauf qu’on n’en a pas les moyens ni le pouvoir. Et quel est…

Salamé [l’interrompant] : Mais enfin la France ne prend pas la place des Etats-Unis. La France est minoritaire dans ce conflit.

Moix : Mais c’est en gros ce que…

Salamé [l’interrompant] : Arrêtons.

Moix : … François Hollande dit, quand il dit qu’il va faire la guerre — d’ailleurs on est les seuls en Europe à faire la guerre…

Salamé : C’est une blague.

Moix : … donc la question que je voulais vous poser, c’est…

JLM : Vous remarquerez quand-même…

Moix : … est-ce que nous sommes en guerre, premièrement, et est-ce que vous pensez qu’il y a un risque d’embrasement, de guerre non pas…

JLM : Evidemment.

Moix : … du 21e siècle, mais au sens 20e siècle du terme…

JLM : Oui.

Moix : … troisième guerre mondiale.

JLM : Oui. Mais absolument. C’est pour ça M.Moix que vous me voyez réagir comme je réagis. Je n’accepte pas le Disneyland politique. Les très méchants là, les très gentils là. Tout le monde est méchant dans cette histoire. Tout le monde. Tout le monde n’a que des intérêts. Donc nous, nous sommes des Français. Et nous nous occupons de d’abord ce qui peut nous concerner peut-être.

[La clé de toutes les interventions de JLM sur le sujet est là, il me semble, et on ne saurait mieux résumer le point de vue anti-impérialiste de Mélenchon, qui n’est pas nouveau à gauche, selon lequel il n’y a pas de guerre morale, il n’y a pas de guerre pour les droits de l’homme, il n’y a que des guerres entre impérialismes]

Salamé : C’est quoi nos intérêts ?

JLM : Nos intérêts, c’est que la guerre s’arrête. Vite vite vite. Et quand je lis dans le journal Le Monde, le directeur des services secrets de l’Arabie saoudite, qui dit « nous pourrions arrêter, tout le monde peut arrêter cette guerre, mais personne ne veut le faire »… Evidemment on laisse cette guerre pourrir sur pied. Parce que chacun y pousse son petit pion et ne veut pas le sacrifier. Et petit à petit les risques s’accumulent, s’accumulent, jusqu’à ce moment où vous pouvez avoir un incident, que personne n’a voulu, et qui déclenche une guerre généralisée. Ça s’est passé comme ça pour la première guerre mondiale. La deuxième ce n’était pas le cas, on l’a vue arriver de loin…

Salamé [l’interrompant] : Donc vous êtes pour que la France arrête ? Pour…

JLM : Non.

Salamé : … qu’elle sorte de la coalition ?

JLM : On ne peut plus. Si vous voulez, on ne nous demandait rien…

Salamé [l’interrompant] : De temps en temps vous nous dites… Pourquoi vous ne dites pas ?

JLM : Laissez-moi parler…

Salamé : Pourquoi vous ne dites pas : laissez Poutine régler le problème et nous on se retire, on donne la Syrie à Poutine ?

JLM : Mais non mais non. Il ne peut pas être question de laisser Poutine régler le problème. [affirmation que les détracteurs de JLM prendront bien soin de gommer, s’en tenant à la version tronquée « JLM soutient Poutine »]

Salamé : Mais pourquoi pas ?

JLM : Parce que je ne suis pas non plus d’accord pour que M. Poutine règle le problème.

Moix [l’interrompant] : c’est ce qu’il est en train de faire.

JLM : Je suis pour que l’ONU règle le problème.

Salamé : Mais elle n’existe pas, l’ONU.

Salamé : Madame…

Moix [l’interrompant] : C’est comme la SDN…

JLM : Ne dites pas des choses comme ça. Ça veut dire qu’il n’y a plus d’espoir.

Moix [dans le brouhaha] : C’est comme la SDN dans l’entre-deux guerres.

JLM : Non. Ne dites pas ça.

Moix : Un mirage.

JLM : Ecoutez-moi. Ecoutez-moi. Je ne soutiens qu’une seule chose : le retour rapide à la paix. Comment peut-on y arriver ? Il faut une coalition universelle contre Daech. Et contre les bandes d’islamistes militarisés. Voilà. Pour ça, il faut une coalition universelle. Il faut donc s’allier avec les Russes, discuter avec eux. Et pas chacun de son côté…

Salamé [l’interrompant] : On discute…

JLM : … fait ce qu’il a envie de faire. Pardon. Il n’y a pas de coalition générale. Le gouvernement français était pour cette coalition. Le président de la République a été en parler avec M. Poutine. Là-dessus, le président des Etats-Unis a dit non. Si bien que maintenant c’est la pagaille. Chacun va de son côté et il peut se produire l’incident qui pourrait déclencher un embrasement général et une guerre universelle. Je suis donc pour qu’on revienne à la paix le plus vite possible. Donc il faut une coalition militaire pour battre Daech. Et il faut dire à l’Arabie saoudite et au Qatar : maintenant c’est fini de jouer avec ça, nous, nous en avons assez de cette pagaille, et nous les Français en particulier parce que si longtemps que la guerre dure là-bas nous aurons des attentats ici, et vous le savez comme moi. Que tous les jours, notre police, notre armée, fait tout ce qu’elle peut pour essayer de déjouer des attentats, parce que comme on leur fait la guerre, ils nous font la guerre. Je ne dis pas que je les excuse d’une quelconque manière. Je suis pour qu’on les vainque, qu’on les écrase et qu’on en finisse avec eux. (…)

capture-decran-2017-02-13-a-13-48-53Au final, l’échange aura duré une dizaine de minutes, durant lesquelles les intervieweurs auront pratiqué la technique de l’assignation, assénant leurs vérités et sommant l’interviewé d’y souscrire, assignation à laquelle JLM, très souvent interrompu, aura répondu de façon qu’on peut qualifier tantôt de (trop) lapidaire tantôt de confuse, mais pas plus confuse en tout cas que ne l’étaient les questions elles-mêmes. Mais durant ces dix minutes, JLM a-t-il approuvé les bombardements sur Alep et a-t-il félicité Poutine pour ces bombardements ? Non. Malgré l’extrait tronqué retenu par la presse et qui sert depuis de table de la loi aux contempteurs de JLM, il n’a approuvé la Russie que pour l’opération contre la route du pétrole de Daech et a condamné en bloc tous les bombardements, y compris, donc, ceux d’Alep. Il n’a affiché aucun soutien au régime de Poutine ni à celui de Bachar El Assad. S’il s’est passé, selon vous, Dominique Vidal, « 1 minute 15 secondes » entre son « oui » à Poutine et la précision que ce « oui » portait sur l’opération contre la route du pétrole, c’est tout simplement (et 1 minute 15, ce n’est pas si énorme !), parce qu’entre temps, il n’a cessé d’être interrompu, ce qu’on voit bien dans la transcription ci-dessus. Tout au plus peut-on peut-être lui reprocher d’avoir trop collé à la version kurde des événements (forcément orientée), et d’avoir été contraint par sa hantise d’une guerre généralisée à rester dans des condamnations trop générales, de peur d’attiser des tendances bellicistes contre la Russie sous prétexte de ses crimes de guerre. Pour couper court à toute confusion, Alexis Corbière, porte-parole de JLM a rédigé une mise au point dès le lendemain pour préciser que JLM parlait bien de la route du pétrole et ne soutenait pas le régime de Poutine ni les bombardements sur Alep. JLM n’a cessé de le répéter depuis.

Pourtant, Dominique Vidal, vous m’avez maintes fois brandi cette émission comme référence à votre thèse du soutien de JLM à Poutine et Assad. Je ne m’explique pas un tel aveuglement. D’autant que vous n’avez pas l’excuse de ne vous être fondé que sur les titres de presse tronqués. Vous avez vous-même commenté l’émission dans le journal Regards. Je souscris d’ailleurs à une grande partie de votre analyse. Je pense, comme vous, que JLM aurait pu avoir au moins un mot critique sur le mode d’action des Russes, le carpet bombing, qui vise autant les civils que les combattants, et qui avait déjà fait des ravages en Tchétchénie. Là où je vous suis moins, c’est lorsque vous vous drapez dans la posture de l’indignation à propos du fait que les opérations ont pour but premier de sauver le régime d’Assad. Bien sûr que les Russes veulent sauver Assad ! C’est pour l’heure leur seule garantie concernant leurs intérêts en Syrie, aucun autre acteur, même modéré, n’ayant pris d’engagement sur le maintien de la base militaire russe en Méditerranée ni sur la pérennité des accords économiques avec un Etat syrien maintenu dans sa forme et ses frontières. On sait que les Russes sont motivés par la préservation de ces intérêts et se fichent pas mal de savoir si Bachar El Assad est un tyran sanguinaire ou un doux hippie. On ne voit pas pourquoi Poutine qui ne se soucie guère des droits de l’Homme chez lui irait en faire sa priorité ailleurs. Vous citez l’ambassadeur Orlov :

« Le but de [la Russie], a-t-il dit, c’est de sauver Bachar El Assad et son régime. Car, s’ils tombaient, ce serait la porte ouverte à une extension du djihadisme, notamment dans le Caucase. Qu’est-ce qui permet à Jean-Luc Mélenchon de dire que l’objectif des Russes est d’abattre Daesh ? D’autant que, je le répète, l’écrasante majorité des bombardements russes ne visent pas les djihadistes. »

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Mais pourquoi réduire le djihadisme à Daech ? Vous qui êtes si catégorique pour nier que les islamistes aient pris le dessus dans la rébellion syrienne conveniez pourtant sur votre page Facebook que la Syrie n’était pas « votre domaine de travail prioritaire ». Les combattants de l’ex-Front Al-Nosra (branche syrienne d’Al-Qaïda) ne sont-ils donc pas eux-mêmes des djihadistes ? Et les autres islamistes armés cherchant à établir la charia ne sont-ils pas un danger ? Vous affirmez que la « résistance » n’aurait pas « tenu aussi longtemps dans un rapport de forces aussi défavorable » « si elle avait été aussi noire ». Mais Daech qui tient tête à tout le monde prouve justement que c’est possible (et vous m’accorderez que Daech est plutôt « noir »). Par ailleurs, les rebelles islamistes et djihadistes n’ont-ils pas eu directement ou indirectement le soutien de la Turquie, du Qatar, de l’Arabie saoudite, des Etats-Unis et même de la France ? Même si Daech n’a pas été l’objectif prioritaire des Russes, l’opération contre la route du pétrole de Daech et la reprise (momentanée) de Palmyre ne comptent-ils donc pour rien ? L’ONU n’a-t-elle pas donné raison depuis à cet objectif de combattre toutes les factions djihadistes, et pas seulement Daech ? Les Américains eux-mêmes n’ont-ils pas bombardé les combattants de l’ex-Front Al-Nosra après leur évacuation d’Alep ? En l’occurence, les faits ont plutôt donné raison à Mélenchon, donc.
Par ailleurs, vous accusez JLM de se faire l’avocat de Poutine : « Visiblement, il croit déceler une continuité entre l’URSS et la Russie ». C’est un contresens infirmé par plusieurs déclarations de JLM et de son parti, dont la résolution politique à l’issue du congrès de Villejuif de 2015 stipulait par exemple :

« Nous rejetons toute ingérence et toute logique de guerre contre la Russie, sans pour autant soutenir le régime politique du président Poutine qui n’hésite pas à exacerber un climat autoritaire au service de l’oligarchie russe. »

JLM lui-même n’a jamais été communiste et n’a pas de nostalgie de l’URSS. Il parle plutôt de « temps long », et estime que la France a toujours eu intérêt à avoir des relations non conflictuelles avec la Russie, « quel que soit le régime en place » (tsariste, soviétique ou poutinien). Vous pouvez le critiquer sur ce point si vous n’êtes pas d’accord avec cette vision. Mais cela ne fait pas de JLM un soutien de Poutine dont il a rappelé par ailleurs (dans Marianne en janvier 2017) :

« Après, est-ce que M. Poutine est le président que je préfère pour la Russie ? La réponse est clairement non. Je préférerais que la Russie soit gouvernée par le président du Front de gauche russe, qui est en prison« .

Enfin, vous accusez JLM de se méprendre sur la dimension laïque et progressiste révolue des régimes arabes. Sauf que ni dans cette émission ni dans aucune autre intervention, Mélenchon ne soutient que ces régimes auraient eu une telle dimension. A aucun moment il n’a défendu ces régimes ni prétendu qu’ils étaient progressistes et laïques. Votre assertion ne repose sur rien, d’autant que JLM avait accueilli très favorablement le printemps arabe contre les dictateurs (aussi bien Assad que Moubarak, Kadhafi ou Ben Ali). En 2011, il avait notamment affirmé : « le peuple veut la chute du régime » (ce que reconnaissent même ses détracteurs d’extrême-gauche)Il lui a même été reproché par l’extrême-gauche et l’extrême-droite d’avoir approuvé une résolution du parlement européen en faveur de l’établissement sous mandat de l’ONU d’une zone d’exclusion aérienne pour empêcher Kadhafi de bombarder ses opposants. Certains de ceux qui, comme vous, l’accusent à tort d’être pro-Poutine ou pro-Assad l’accusaient alors d’être pro-OTAN contre Kadhafi ! Accusations ridicules dans tous les cas (JLM n’a en effet pas soutenu l’intervention franco-américano-britannique en Libye, qui outrepassait le mandat de l’ONU, pas plus qu’il n’a soutenu les bombardements russes sur Alep).

Je me suis beaucoup interrogé sur les raisons de votre obstination à falsifier ainsi les positions de JLM, quand bien-même on vous mettait les preuves de votre erreur sous les yeux. Pourquoi un intellectuel de gauche si éminent faisait-il preuve d’autant de mauvaise foi ? Je vais me permettre ici un peu de psychologie de comptoir, non que j’aspire à vous psychanalyser, mais parce que votre cheminement me semble symptomatique d’un mal récurrent dans notre gauche. Aussi me suis-je penché à nouveau sur certains de vos commentaires sur Facebook. Je ne compte plus le nombre de fois où vous m’avez accusé de « stalinisme », de dévotion à un « lider maximo », simplement parce que j’opposais aux falsifications que vous relayiez la réalité des propos tenus par JLM. Vous m’avez par exemple écrit : « votre inconditionnalité à l’égard du PG me fait penser à la mienne, dans les années 1960, vis-à-vis du PCF ». J’avais alors compris que « l’inconditionnalité à l’égard du PG » que vous m’inventiez de toutes pièces (nonobstant les preuves du contraire) n’était en fait qu’une projection de ce que vous aviez vous-même connu autrefois lors de votre appartenance au PCF. capture-decran-2017-02-08-a-16-01-52

Vous en avez également dit plus, sur votre page Facebook, répondant notamment à un complotiste antisémite notoire (qui n’a pas eu, contrairement à moi, l’honneur de se faire bloquer, ce qui est un comble).
capture-decran-2017-02-12-a-15-26-55capture-decran-2017-02-12-a-15-28-11« Reste que nous sous-estimions alors, non pas bien sûr les horreurs du stalinisme, mais le caractère autoritaire de l’URSS. Et nous combattîmes, plus tard, les dissidents soviétiques en mettant en doute leurs révélations« , écriviez-vous. Et aussi : « Il fut un temps (…) où (…) nous sous-estimions la terreur stalinienne [ce qui contredit la phrase précédente]. Faut-il en faire autant avec l’horreur du régime de Bachar, pourtant factuellement démontrée ? »
Bien sûr, il y a parmi les « Insoumis » des gens qui sont intoxiqués par la propagande russe ou pro-Bachar, des complotistes, des gens qui racontent n’importe quoi, etc. (on en trouve d’ailleurs partout, du PCF au PS, et je ne parle même pas des sympathisants de droite ou d’extrême-droite). Mais ni moi ni Mélenchon ni la majorité des « Insoumis » n’avons jamais nié l’horreur du régime de Bachar. En revanche, vous, visiblement, il vous est arrivé apparemment de nier l’horreur de l’URSS, d’en combattre les dissidents, et vous imputez donc à d’autres vos propres errements de jeunesse.
Après, tout, il est assez compréhensible que vous partiez de vos propres schémas de pensée pour tenter de comprendre ce que pensent les autres. Nous le faisons tous. Et en l’occurrence, votre peur de voir se reproduire des tragédies que vous avez connues est tout à fait louable. Mais vous vous plantez. Je n’ai pas la nostalgie de l’URSS, je n’ai jamais sous-estimé les horreurs du stalinisme, et je n’ai jamais non plus sous-estimé les crimes du clan Assad ni cru que les dictatures arabes étaient des modèles de progressisme et de laïcité. Je n’ai jamais non plus combattu les dissidents du régime de Bachar El Assad ni remis leurs révélations en doute. Et Jean-Luc Mélenchon non plus. D’ailleurs, à l’époque où vous étiez membre d’un parti qui soutenait que le bilan de l’URSS était « globalement positif », JLM appartenait, lui, à une frange anti-stalinienne de la gauche révolutionnaire (trotskiste), qui avait ses propres travers, mais qui avait depuis longtemps fait l’analyse de la nature autoritaire et totalitaire du capitalisme d’Etat soviétique. Moi-même qui n’ai jamais été ni stalinien ni trotskiste, je n’ai donc nullement vocation à être la victime expiatoire de votre mauvaise conscience. Je ne me cache pas d’être un « propagandiste partisan ». Mais contrairement à ce que vous avez connu dans votre passé militant, cela ne m’empêche pas de rester libre d’esprit, et de ne me reconnaître aucun « patron ». Ce n’est pas que je sois doté de qualités supérieures aux vôtres. C’est juste que je suis le produit d’une époque plus individualiste, et que j’ai fait mes armes dans une mouvance libertaire qui m’a très tôt prémuni contre toute forme d’embrigadement.

Je veux croire que c’est votre mauvaise conscience d’ancien communiste défenseur du totalitarisme soviétique qui vous pousse aujourd’hui à vous enfermer dans le mensonge d’un prétendu soutien de JLM à Poutine et Assad : là où autrefois vous avez failli, d’autres doivent bien faillir aussi aujourd’hui. Vous n’êtes sans doute pas le seul à tomber dans ce travers.
Mais je vous souhaite de trouver les ressources (peut-être cette démonstration vous y aidera-t-elle ?) pour sortir de votre aveuglement et accepter de voir les preuves qu’on vous met sous les yeux.
La vraie position du PG et de Mélenchon sur Bachar El Assad — pas celle que vous fantasmez — peut-être résumée, entre autres documents disponibles, par ce communiqué du PG du 28 août 2013 :

« Après plus de 100 000 victimes tuées depuis le début du soulèvement en Syrie en mars 2011, et la destruction de régions entières du pays, le Parti de Gauche dénonce le massacre à l’arme chimique de centaines de civils syriens le 21 août. Cette escalade dans l’horreur est inadmissible. Tout doit être fait pour l’arrêter. Mais la situation régionale est explosive et une intervention armée des États-Unis et d’autres pays alliés dont la France, ne ferait qu’aggraver le conflit d’autant que la Russie entend continuer à soutenir le régime criminel de Damas, notamment pour préserver ses intérêts dans la région. Le renforcement de la VIe flotte US comme celui de la flotte russe en Méditerranée font courir le risque d’une guerre où le jeu des alliances risquerait d’entrainer les puissances régionales dans un affrontement suicidaire.

Les forces du Comité national de coordination pour le changement démocratique (CNCD) ont clairement dénoncé toutes les ingérences étrangères en Syrie, qui ont déjà dévoyé le soulèvement populaire de 2011 en une guerre civile effroyable, et qui risquent à présent de conduire à la partition du pays.

Le rôle de la France n’est pas de suivre les États-Unis dans leur nouveau délire guerrier, alors qu’ils sont coutumiers du fait d’utiliser n’importe quelle sorte d’argument pour justifier une intervention militaire, comme par le passé en Irak, puis en Libye. Le Parti de Gauche demande une nouvelle fois un règlement négocié du conflit dans le cadre de la seule institution internationale légitime, l’ONU, et des accords de Genève qui prévoyaient un cessez-le-feu et une transition politique négociée visant à remettre le destin de la Syrie entre les mains de son peuple, via des élections libres et transparentes.

Le Parti de Gauche appelle la population française à se mobiliser pour la Paix et à intensifier le soutien humanitaire aux millions de réfugiés et de déplacés syriens. »

Ou encore par ce communiqué du PG du 19 novembre 2015 :

« On ne saurait nier que Bachar Al-Assad a réprimé dans la terreur un soulèvement au départ pacifique, dont nombre d’acteurs initiaux n’étaient pas assimilables aux arrière-pensées de leurs soutiens locaux et internationaux. Et on ne peut que souhaiter que le peuple syrien soit délivré, un jour, et des djihadistes et de ce régime-là. ….

Nous prônons donc de soutenir la proposition russe d’une coalition élargie qui s’entende pour appliquer les mesures, connues, pour lutter contre Daech par des moyens politico-militaires, économiques et idéologiques. Ce qui suppose d’accepter que la question de l’avenir du régime syrien passe temporairement au second plan. Une telle stratégie exclut les considérations moralisantes et hypocrites évoquant un quelconque risque de « réhabilitation » de Bachar El Assad, qui n’est pas en question ici. Au contraire, elle achèverait de mettre Bachar El Assad sous tutelle, et pourrait permettre à terme de lui imposer une transition négociée qui passerait par son départ le jour venu pour être remplacé par des éléments étatiques et des forces d’opposition progressistes. »

Ou encore par celui du 13 décembre 2016 :

« Comme cela devient hélas désormais systématiquement le cas, en Syrie comme en Irak, les civils y sont pris en otage, et la nécessité d’éradiquer Daech, le Front Fatah al Cham (branche d’Al Qaïda en Syrie) et tous les groupes pratiquant la terreur ne peut justifier le massacre de populations civiles.
Ces massacres sont intolérables d’où qu’ils viennent.
Cette situation nécessite de toute urgence, comme le Parti de Gauche le réclame depuis des années, une résolution politique dans le cadre de l’ONU.
La recherche d’une solution politique avec la tenue d’élections libres doit être la priorité pour le gouvernement français. Trop d’occasions ont été ratées, 4 années ont été perdues et aujourd’hui ce sont encore les civils qui payent de leurs vies cet enlisement de la diplomatie internationale.
La France doit jouer son rôle de médiation en ne prenant parti ni pour Bachar El Assad, ni pour les États-Unis, ni pour la Russie, ni pour les monarchies du Golfe, mais en trait d’union pour construire un corridor humanitaire, face à ces massacres terribles de civils. »

Le 12 février 2017, sur BFMTV, Mélenchon déclarait encore :

« Je suis pour une position indépendante. Je refuse de me faire embrigader dans un camp. Je comprends qu’on ait trouvé ma position ambiguë (…). Mais maintenant, il y a les faits (…). Ma position politique telle qu’elle a toujours été. (…) Ma position politique concernant le conflit en Syrie est depuis deux mois la position de l’ONU unanime. C’est-à-dire que tout le monde a voté une résolution qui comporte tous les points que je ne cesse d’évoquer depuis le début, c’est-à-dire : coalition… [la journaliste l’interrompt pour lui poser la question de la condamnation de Bachar El Assad]
Mais ça va de soi. Mais ai-je jamais dit que j’approuvais un personnage pareil ? (…) C’était que, à l’époque vous étiez tous enrôlés, comme c’était le cas à chaque fois, derrière les bannières de l’OTAN, et il fallait répéter sur tous les plateaux, commencer toute discussion par dire « je condamne monsieur Bachar El Assad ». Alors évidemment le point numéro 2, c’était donc qu’il faut lui faire la guerre. Et le point numéro 3, c’était : « tant qu’il n’est pas parti, il faut qu’on continue la guerre ». Ce qui n’est pas mon point de vue. Mon point de vue, c’est : on arrête la guerre, on fait une coalition universelle contre les bandes armées qui sont là-bas et on fait, sur la base d’une paix conclue par tout le monde, tous ceux qui se battent, des élections en Syrie organisées sous la protection internationale. On m’a dit : « ce n’est pas réaliste ». Eh bien cette position irréaliste a été approuvée par toutes les nations des Nations Unies. Par conséquent c’est mon point de vue qui était le plus raisonnable et le plus sage. On se serait épargné des centaines de bombardements. J’ai dit sur tous les tons qu’en Russie, le seul qui ait un ami en prison, c’est moi. Ce n’est pas le parti socialiste : M. Gorbatchev est en liberté. N’est-ce pas ? C’est moi qui ai un ami en prison, qui est le président du Front de gauche de Russie. Par conséquent, pour quelle raison voudriez-vous que j’aie de la tendresse ? Non, je plaide l’indépendance et je veux vous dire les choses bien franchement : les Etats-Unis d’Amérique sont des fauteurs de guerre dans le monde entier. (…) »

Vous avez tout à fait le droit de critiquer cette position, de la trouver, même, pas assez ferme à l’égard de la Russie ou d’Assad, et trop anti-américaine. Le débat est légitime. Mais vous ne pouvez, sans vous rendre coupable d’une odieuse falsification, prétendre qu’il s’agit là d’un soutien à Poutine et à Assad. Les mots ont un sens.

Je retire encore une dernière leçon de nos échanges. Alors que vous vous étiez d’abord affiché auprès de moi comme soutenant la candidature de Mélenchon, « notre candidat », vous avez fait de la question syrienne une cause de distanciation puis de rupture, m’accusant ensuite contre toute vraisemblance d’être le responsable de cette rupture (comme si votre soutien à un candidat pouvait dépendre des propos d’un simple militant n’ayant aucune influence directe sur ledit candidat !). En fait, votre attitude me semble en l’occurence symptomatique de l’individualisme consumériste de notre époque (qui nous affecte tous). Je m’explique : vous êtes un spécialiste reconnu du Moyen-Orient ; les événements de Syrie vous touchent donc particulièrement ; à partir de cette sensibilité qui vous est particulière (d’autres se sentiront plus directement concernés par le sort des SDF, les millions de morts au Congo… en fonction de leur expérience personnelle) vous décidez de votre adhésion ou non à l’ensemble d’un programme et d’une candidature qui touchent bien d’autres domaines (il ne s’agit pas de dire que les horreurs en Syrie sont négligeables, mais la position du candidat JLM sur la question syrienne n’est qu’un point parmi d’autres d’un programme très vaste avec lequel personne n’est tenu d’être en accord total). J’ai pu observer que ce comportement était hélas très répandu à gauche. Récemment, par exemple, des camarades homosexuels ont traité JLM de tous les noms et l’ont accusé de collusion avec « La manif pour tous » parce qu’il refusait la GPA (ce que font tous les autres candidats, soit dit en passant) et qu’il s’était montré courtois dans une interview donnée à un journal catholique (sans rien lâcher sur les principes, mais apparemment, il aurait fallu qu’il éructât et bouffât du curé tout cru pour complaire à quelques militants de la cause gay). Tel autre verra une cause rédhibitoire de rejet dans le fait que Mélenchon aura condamné les violences en manif (il devrait donc appeler à l’insurrection armée ?). Etc. Chacun voit midi à sa petite porte. Et oublie malheureusement ce que disait très bien récemment Frédéric Lordon, votre collègue du Monde diplo, qu’on ne peut soupçonner d’allégeance idolâtre à JLM :

Alors voilà, on peut avoir toutes les réserves du monde  vis à vis de Mélenchon, ou de sa personnalité ou de ses orientations politiques, etc, (…), mais il y a au moins une chose, si on regarde le paysage avec un tant soit peu de distance qu’on ne peut pas ne pas reconnaître, c’est qu’il est le porteur (…) d’une différence significative de gauche dans le paysage de l’offre politique. Et ça ce n’est pas rien.

On n’est pas obligé d’adhérer à tout ce que dit et fait Mélenchon. On peut même avoir les plus grandes réserves sur sa personnalité, certains aspects de son programme, et certains aspects en particulier de sa vision géopolitique. Mais il est le porteur d’une « différence significative de gauche« . Et en fait, je pense que tout est là. C’est précisément cette différence significative qui effraie. Et qui effraie ceux qui, comme vous, Dominique Vidal, sont restés habitués à un certain ordre politique : un PCF qui structure les aspirations sociales et les incarne politiquement, par une alliance de raison avec la social-démocratie, additionnant les voix disciplinées des uns et des autres pour gagner (éventuellement) la présidentielle et former une majorité parlementaire. Or Mélenchon bouleverse totalement ce schéma. Ou plutôt sa stratégie prend acte d’une réalité qui n’entre plus dans ces cases, et que vous refusez de voir : la social-démocratie a failli (et trahi) ; son aile gauche, même après la victoire de Hamon à la primaire, n’ose pas se désengluer du carcan mortifère qu’est le PS, parti honni de la majorité des Français (les 2 petits millions de votants du deuxième tour de la primaire ne doivent pas faire illusion), dont l’appareil et la représentation parlementaire restent (et resteront encore aux prochaines législatives) aux mains de sa majorité libérale, en contradiction totale avec le projet affiché par Hamon ; le PCF en déclin est trop obsédé par sa propre survie pour oser porter une stratégie révolutionnaire cohérente ; le reste de l’ex-FdG (Ensemble, en particulier) regarde un peu passer les trains en essayant de ne se fâcher avec personne ; les écologistes (hors France insoumise) sont également affaiblis par leurs dissensions internes, leurs contradictions entre libéralisme libertaire et anti-libéralisme, et sont devenus inaudibles. La pusillanimité de tous ces gens n’est pas affaire de personnes (certaines, dont vous, pouvant être fort estimables par ailleurs) mais de structure. Dans ce contexte, Mélenchon, qui fait exploser les cadres, est le seul à porter une ligne cohérente, en phase avec les enjeux du « moment populiste » qui traverse la planète, sans compter les enjeux environnementaux. Le dire ne revient pas à rejeter les autres, mais à leur demander de résoudre eux-mêmes leurs contradictions. Cela n’a rien de « stalinien ».

capture-decran-2017-02-08-a-19-24-57Je pense que vous vous êtes raccroché aux bobards sur « Mélenchon pro-Poutine et pro-Assad » pour prétexter la rupture qui vous permet (la divine surprise de Hamon vainqueur de la primaire du PS aidant) de retourner au bercail familier de « l’union de la gauche », avec ses additions de voix sur commande, sa discipline républicaine face à l’épouvantail du FN, ses petits arrangements bureaucratiques sur fond de néantcapture-decran-2017-02-08-a-19-27-51 programmatique, toute autre option étant qualifiée d’emblée d’autiste, intolérante, sectaire, ou stalinienne. Vous ne voyez pas que la « vague dégagiste » susceptible de tout submerger risque de préférer s’incarner dans le pire (que vous redoutez autant que moi) si on ne lui offre pas un débouché réel. Vous ne voyez pas que ces « insoumis » dont vous critiquez parfois à juste titre les emportements sur Facebook, et dont certains avaient renoncé à militer et même à voter depuis des années (et ne sont venus ou revenus à la politique que pour la stratégie cohérente que propose JLM), ne se rallieront pas à un PS comptant toujours dans ses rangs Hollande, Valls, Cazeneuve, El Khomri, Leroux, Cavournas etc., quand bien-même Mélenchon le leur demanderait :

« Croyez-vous une seule seconde que si M. Hamon et moi nous nous sautions au cou, des centaines de milliers de gens bondiraient d’enthousiasme et oublieraient tout, a-t-il [JLM] ajouté. Au contraire, ce serait la déception en masse chez tous ceux qui ne sont pas prêts à amnistier le PS. On ne leur fera pas une deuxième fois le coup du discours du Bourget. Hamon doit le comprendre : les gens qui ont voté pour lui voulaient dégager Valls et sa politique. C’est à cela qu’il doit rester fidèle! »

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Un Hamon flanqué d’une majorité de députés PS de droite, d’une promesse de 6e République inapplicable telle qu’il la présente (révisions constitutionnelles qui nécessitent une majorité des deux tiers alors que le sénat est à droite), d’un projet de revenu universel non financé et antisocial puisqu’en-dessous du seuil de pauvreté, d’une promesse d’abrogation de la loi El Khomri censé être appliqué par les députés qui ont porté ladite loi, dont Mme El Khomri elle-même — un Hamon si baroquement affublé, donc, ne peut être ce débouché. Et si par miracle il réussissait à l’être, la désillusion qui s’ensuivrait ouvrirait alors irrémédiablement la voie au FN pour la suite. 
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Pour l’heure, Hamon ne fera plus probablement qu’affaiblir la dynamique de Mélenchon pour permettre au PS de se requinquer dans l’opposition, laissant la décision se faire entre Le Pen, Fillon et Macron. Même des observateurs qui ne sont pas de notre bord, comme Natacha Polony ont compris que « Benoit Hamon sert à empêcher une révolution citoyenne par les urnes en bloquant l’accession de Jean-Luc Mélenchon au second tour ». Je vois d’ailleurs avec tristesse qu’Axel Kahn sombre dans le même travers que vous, assimilant les demandes de cohérence de JLM à l’égard d’Hamon à de « l’agressivité », et essayant, comme vous, de nous refourguer une « union de la gauche » d’un autre âge (à cette différence que lui semble vouloir faire aller cette union jusqu’au « libéro-centriste » Macron !). Cette lettre ouverte peut donc lui être aussi adressée, ainsi qu’à tous ceux qui n’ont pas compris que la situation politique a un peu changé depuis le 20e siècle.

J’ai conscience au vu de nos précédents échanges que cette lettre ouverte ne vous fera guère plaisir, si elle vous parvient. Vous pouvez vous rassurer en vous disant qu’elle aura assurément moins d’audience que votre papier dans Regards ou vos publications sur votre page Facebook aux « 5000 amis ». Je souhaite malgré tout, si possible, qu’elle suscite la réflexion et peut-être le débat à gauche. Une dernière chose : le groupe Facebook que je co-administre, dont vous êtes membre, et dont vous aviez reconnu vous-même la qualité, stipule qu’il n’est pas permis de bloquer les administrateurs. Il vous appartient donc, entre autres choses, de résoudre aussi cette contradiction-là.

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[Edit le 14/02/2017] Dominique Vidal a répondu sur sa page Facebook où il s’enfonce hélas dans le déni et les mensonges. Je reproduis ci-dessous (je ne suis plus à ça près pour la longueur) sa réponse agrémentée de mes commentaires en rouge et entre crochets :

Jean-Luc Mélenchon et la Syrie

Un certain Serge Gautier, qui se fait aussi appeler très modestement Victor Serge [non, « Serge Victor » ; c’est un détail, et vous avez correctement saisi le détournement en hommage à un révolutionnaire célèbre, mais l’inversion que vous commettez en dit peut-être long sur le manque de rigueur de votre lecture ; pas étonnant du coup que vous lisiez et entendiez chez Mélenchon autre chose que ce qu’il dit], m’envoie une lettre ouverte qui rivalise avec « À la recherche du temps perdu » par sa longueur – pas par son style. Je l’ai reçue via un ami, son signataire ne me l’ayant pas envoyée… [j’aurais eu du mal à vous l’envoyer puisque vous avez bloqué mon compte sur Facebook, empêchant toute communication entre le mien et le vôtre ; j’ai tout de même contourné cette difficulté en utilisant le pseudo assez transparent « Sergio Vittorio »]

Cet interminable plaidoyer (1) vise uniquement à justifier la position prise par Jean-Luc Mélenchon sur le conflit syrien [pas exactement ; vous avez encore lu de travers ; en fait, je ne justifie pas la position de Mélenchon, sur laquelle j’exprime moi-même quelques réserves ; je rends compte de ce qu’elle est réellement, sources à l’appui, afin de démonter les falsifications et les mensonges que certains médias et vous-même colportez à ce sujet].

Je ne commente pas les exagérations, les insultes, les inventions et les diffamations [aucune insulte, et tous mes propos sont sourcés par des liens vérifiables]. Quitte à passer pour paranoïaque, le signataire présente même le fait qu’à bout de patience j’ai fini par le « bloquer » comme une censure quasiment stalinienne [c’est une censure, et puisque vous-même pratiquez beaucoup la reductio ad Stalinum, la comparaison s’impose]. D’autant que je n’en aurais, selon lui, pas fait autant avec un autre débatteur qu’il qualifie – sans le moindre argument – de « complotiste antisémite » [comme argument, il y a tout de même le fait que ce personnage vous répond : « tu fais le travaille pour le compte d’Israël » qui aurait pu vous mettre la puce à l’oreille ; je n’ai pas développé plus avant car ce n’était pas le sujet, mais si vous ne m’aviez pas bloqué, j’aurais pu vous signaler que ce monsieur, obsédé du « complot judéo-maçonnique », est un fan de Sputniknews, Panamza et autres usines à hoax (vous pouvez le vérifier sur sa page Facebook), habitué de la page d’Ariane Walter, complotiste rouge brune dont je vous avais une fois signalé la présence sur votre propre page — vous m’en aviez d’ailleurs remercié].Quiconque me connaît sait que je n’ai pas la moindre complaisance à l’égard de cette mouvance. Visant le fils d’un survivant d’Auschwitz, cette calomnie-là est infâme ! [alors, pour honorer cette tragique mémoire, il serait judicieux de bloquer les complotistes antisémites plutôt que les antifascistes, non ?]

Mes amis sur Facebook n’apprendront pas grand chose à la lecture de ce texte : ils ont déjà lu tous les arguments de Gautier… sous sa propre plume, tant il a publié de « posts », pendant des semaines, sur ma page [mensonge grossier : contrairement à vous qui avez trollé sans vergogne sur ma page à plusieurs reprises et y avez posté directement votre propagande, je ne suis intervenu sur la vôtre qu’exceptionnellement dans des sous-commentaires, uniquement pour y démonter des mensonges concernant JLM ; je peux évidemment le prouver].

La réponse à toutes ces arguties vient de Jean-Luc Mélenchon lui-même, dont mes amis sur Facebook ont pu voir et entendre, comme moi, les prises de parole dans les médias. Gautier en apporte d’ailleurs la preuve dans sa missive, en reproduisant le dialogue entre Jean-Luc Mélenchon, Léa Salamé et Yann Moix à l’émission « On n’est pas couché » du 20 février 2016. Il suffit de couper les longs commentaires qu’il a ajoutés en rouge pour le vérifier : quand Léa Salamé lui demande « Poutine, est-ce que vous êtes pour ce qu’il est en train de faire en ce moment en Syrie ?, Jean-Luc Mélenchon répond bel et bien répondu « oui »… sans référence au fameux pétrole de Daesh [eh bien si, justement : la référence vient une minute 15 secondes plus tard (c’est vous-même qui avez mesuré l’écart) après moult interruptions ; la passer sous silence constitue une falsification scandaleuse ; c’est précisément ce que je dénonce, et vous ne faites que vous enfoncer davantage en insistant sur ce point]. Et, dans le documentaire hagiographique diffusé par FR3 le 30 janvier dernier, il refuse en toutes lettres de condamner les bombardements sur Alep [faux : il explique pourquoi il refuse de se soumettre aux condamnations sur assignation médiatique ; ce n’est pas du tout la même chose]. Tout cela est disponible sur Internet [et corrobore tout ce que j’affirme, sources détaillées à l’appui].

Serge Gautier cite plusieurs communiqués du Parti de gauche sensiblement plus clairs sur la situation en Syrie. Mais cela ne change rien – hélas – à l’orientation du candidat de La France insoumise [bien sûr que si : je reconnais moi-même que JLM n’est pas toujours clair, et les causes en sont expliquées : dans ONPC, les questions elles-mêmes étaient confuses, et les interruptions polluaient les réponses ; par ailleurs, JLM prend des précautions (que je juge comme vous excessives) pour éviter d’alimenter le climat belliciste, obsédé qu’il est par le risque d’escalade militaire avec pour issue possible une « troisième guerre mondiale » (il acquiesce explicitement à cette formule de Moix dans ONPC) ; le PG, qui est tout de même le parti qu’il a créé, dont il fut co-président à l’époque de certains communiqués que je reproduis, et dont il est toujours un des secrétaires nationaux, est plus nettement clair sur la question : tant mieux, et ça ne compte pas pour du beurre, ne vous en déplaise].

Une dernière remarque. Gautier s’étonne que la dérive syrienne de son candidat ait pu ébranler mon attitude vis-à-vis de ce dernier, comme si cette question n’avait aucune importance [je ne dis pas que ce que vous appelez « dérive » et qui n’est qu’une mauvaise compréhension de votre part, touche un sujet « sans importance » : je dis que vous le surdéterminez, le Moyen-Orient vous concernant particulièrement, au détriment du reste ; si je faisais comme vous, en tant qu’objecteur de conscience farouchement antimilitariste, je surdéterminerais la question du service militaire obligatoire, dont le rétablissement fait partie du programme « l’avenir en commun », je négligerais le fait qu’un service civil puisse s’y substituer sans pénalité (contrairement à l’ancien statut d’objecteur qui contraignait à effectuer le double du temps de service), et j’en ferais une cause de rupture car le sujet me touche particulièrement ; mais voilà, je ne fais pas comme vous]. C’est, là aussi, mal me connaître : mon engagement, professionnel et personnel, de plusieurs décennies en faveur de la lutte des peuples du Proche-Orient m’interdit de considérer cette dimension internationale comme marginale.

J’ajoute que, depuis, le sectarisme manifesté par Jean-Luc Mélenchon face au Parti communiste comme face à Benoît Hamon m’a fait réfléchir [vous considérez à tort comme sectaire une attitude qui correspond à une exigence de cohérence]. À mes yeux, l’objectif de la présidentielle n’est pas de faire un score, mais de barrer la route à l’extrême droite dont, pour la première fois en France, la victoire n’est pas totalement exclue [et je vous affirme, moi, que la voie incohérente et désuète que vous soutenez est le plus sûr moyen de priver la colère populaire d’un débouché politique et d’ouvrir un boulevard au FN ; je soutiens également que la candidature Hamon, pour laquelle vous roulez de plus en plus ostensiblement, a précisément pour but, contrairement à celle de JLM, de « faire un score » dans la perspective du futur congrès du PS et de sauver celui-ci en empêchant JLM d’être au second tour (ce qui entrainerait l’explosion du PS)]. Me présenter, pour cette raison, comme un agitateur socialiste serait parfaitement ridicule [je n’ai rien dit de tel : je dis que vous vous accrochez à une conception obsolète de « l’union de la gauche »] : je n’ai jamais été ni militant ni électeur du PS (au premier tour).

Encore un effort, camarade, pour être crédible ! [c’est votre propre crédibilité, et par là-même hélas tout votre travail de journaliste, que vous mettez en péril avec vos mensonges réitérés]

D. V.

(1) La lettre de Gautier ne fait pas moins de 59 247 signes, reproduction de « posts » non compris ! [énoncer des mensonges comme vous le faites est toujours plus rapide que de les démonter point par point, sources et contextualisation à l’appui]

Pour finir, je note que vous ne censurez pas les commentaires un tantinet complotistes de vos fans qui accusent les défenseurs de la vérité factuelle d’être des trolls recevant des consignes (pas de « hasard » comme disent les conspis) d’un JLM qui lui-même serait au service d’un « maître » (Poutine, bien sûr) pour aider un « candidat favorable à Poutine » (Le Pen, j’imagine) à remporter l’élection (ben voyons). Non, Dominique Vidal, je ne reçois aucune consigne de JLM (la seule que j’accepte et que j’ai prise au pied de la lettre est : « n’attendez pas les consignes ») et je ne suis pas (pas plus que JLM) un agent du FSB russe. Atterrissez.

[Edit le 19/02/2017] Dans le Monde du 15 février, Dominique Vidal écrit à propos du Monde diplomatique d’autrefois : « on faisait un journal avec une attitude dogmatique, où l’on répétait nos vérités, estime-t-il. Aujourd’hui, on a un Diplo plus ouvert, qui se confronte à la complexité de la réalité. »
Vidal projette donc bien sur JLM un dogmatisme campiste qui n’est autre que celui dont il a lui-même fait preuve naguère.

Auteur/autrice : Serge Victor

Militant de gauche, écosocialiste, féministe, autogestionnaire

Une réflexion sur « Lettre ouverte à Dominique Vidal au sujet de Mélenchon, de la Syrie et de quelques calomnies émises à mon sujet »

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