Autonomie

“(…) l’autonomie, qu’est-ce donc sinon pousser aussi loin que possible la maîtrise réflexive de sa propre praxis ? L’un des acquis sans doute les plus précieux de l’oeuvre de Bourdieu, c’est que tous les univers sociaux ont à se réfléchir, et aussi à être réfléchis — du dehors. Du dehors, parce que les forces de la complaisance sont de redoutables ennemies de celles de la lucidité, et que la réflexivité s’exerce toujours au risque du déplaisir de ne pas se voir exactement conforme à l’idée qu’on se fait de soi-même. Pour que les choses soient tout à fait claires à ce sujet, je précise que l’univers intellectuel, comme nous l’a montré Bourdieu, n’échappe pas plus qu’un autre à ce devoir de réflexivité, ni à ce risque du déplaisir — on se souvient combien Homo Academicus avait fait scandale : parce qu’il avait fait offense. L’objectivateur n’est donc exonéré de rien et, s’il est bourdieusien, il sait qu’il est exposé à tout moment à ce qu’on lui retourne ses propres procédés, ceci d’ailleurs le plus légitimement du monde. Moyennant quoi l’exercice de l’objectivation devrait, pour tout le monde, n’être regardé que comme une hygiène intellectuelle, parfois même politique, élémentaire, et n’être soumis qu’aux critères intrinsèques de la qualité intellectuelle de l’objectivation.”

Frédéric Lordon, Vivre sans ?
Institutions, police, travail, argent
…, La fabrique, 2019, p.157

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