La fin et les moyens

« Dans toute tactique révolutionnaire, les moyens mis en oeuvre doivent aussi être exemplaires et cohérents quant aux objectifs finaux et dans le cadre d’une stratégie globale. Je l’ai déjà mentionné : l’objectif de renforcer la démocratie à tous les étages de la société interdit par exemple de recourir à des tactiques partidaires niant les principes démocratiques au sein du fonctionnement des partis. Il en est de même pour le respect des principes féministes ou l’intransigeance vis-à-vis des propos racistes ou homophobes, par exemple. Les structures que nous construisons jouissent d’une relative autonomie et peuvent, tel Cronos, dévorer leurs enfants. Or, tout habitus antidémocratique pris dans la lutte contre le capitalisme risque de contaminer par la suite l’organisation de la société en construction. »

Hendrik Davi, Le capital c’est nous,
Manifeste pour une justice sociale et écologique
,
éditions Hors d’atteinte, 2023

L’ordre du parti (écosocialiste) contre le parti de l’ordre (néolibéral)

« Le problème d’un salarié lambda est moins un surplus d’ordre policier que le désordre total dans lequel le capitalisme néolibéral a plongé la vie des gens, en démantelant à petit feu tous les services publics. Il est impossible de prendre un bus ou un train à l’heure, d’avoir un appareil électronique qui marche correctement, des logiciels de gestion bien pensés, de transmettre avec certitude un courrier ou un colis. […]

Bref, la grande tendance à l’échelle mondiale pour les classes populaires n’est pas que le capitalisme produirait trop d’ordre, mais bien que le capitalisme néolibéral produit des désordres de plus en plus criants en déstabilisant les solidarités gagnées par nos luttes et institutionnalisées à travers les Etats-providences. Évidemment, le bloc bourgeois en crise tend à restreindre aussi les libertés fondamentales et se fascise. Nous devons le dénoncer, mais si on se focalise là-dessus et qu’on ne le vit pas, nous ne comprenons pas pourquoi beaucoup de membres de classes populaires sont, quant à eux, “en demande” de sécurité. On ne le comprend pas si on ne vit pas dans un quartier défavorisé, que sa voiture n’a aucun risque de brûler la nuit, que son enfant ne risque pas d’être racketté, de se prendre un coup de couteau. Le petit bourgeois n’a pas peur de perdre son emploi quand son train est en retard ou quand il tombe malade et ne comprend pas cette demande de sécurité qui traverse les sociétés et fait basculer vers l’extrême-droite et le néofascisme. Dans la même veine, si on n’est pas soi-même un jeune issu de l’immigration vivant dans une cité ou qu’on n’en côtoie aucun, on ne peut pas comprendre la peur et la haine éprouvées envers la police ni les violences policières. Si on n’est pas soi-même musulmane, on ne comprend pas l’islamophobie. Si on n’est pas une femme qui marche dans la rue le soir, on ne ressent pas le patriarcat au fond de sa chair. Sur le plan de la théorie, c’est là que nous avons besoin de l’existentialisme de Sartre, qui complète si bien le matérialisme dialectique.

Pour que la théorie politique s’ancre dans la réalité et le vécu du plus grand nombre, l’intellectuel doit donc être plongé à égalité dans la même organisation politique qu’une masse significative de militants défendant un même horizon commun. Il doit ainsi pouvoir nourrir l’organisation politique d’un arrière-plan théorique qui donne de la consistance, tant à la construction de l’horizon émancipateur qu’aux stratégies révolutionnaires. A travers la praxis, il est lui-même nourri par l’expérience collective. […]

Ce travail intellectuel organique nous pousse à forger des organisations, des partis et des syndicats à même de l’organiser et d’en pérenniser les acquis. Ce travail doit nous permettre d’analyser collectivement les échecs et les réussites de chaque événement politique. Les pratiques issues de chaque lutte et de chaque élection doivent ensuite être utilisées pour compléter la théorie. Celle-ci ne se déduit pas de la compilation de faits empiriques organisés de façon chaotique ; elle ne peut être utile que si elle est capable d’absorber la somme des expériences pratiques menées par les collectifs en lutte. Ce second rôle de l’intellectuel organique justifie une fois de plus une organisation spécifique, donc un parti, comme creuset pour organiser cet aller-retour incessant entre théorie et pratique. »

Hendrik Davi, Le capital c’est nous,
Manifeste pour une justice sociale et écologique, Hors d’atteinte, 2023

Art populaire

« Il [Paul McCartney] l’a dit et répété : il avait grandi dans un milieu modeste, sans grande ouverture sur le monde extérieur. Le terrain, néanmoins, était préparé. Dans le monde ouvrier, celui de ses parents, on quittait l’école à quatorze ans pour travailler aussitôt. En Grande-Bretagne, dans la génération de Paul, les garçons de ces milieux pouvaient déposer une demande de bourse pour entrer dans une “art school” (Institut des Beaux-arts). Il suffisait d’un dossier, avec quelques dessins, pour obtenir une bourse de quatre ans d’étude. Il ne faut pas chercher plus loin, c’est pour cette raison que tous ces jeunes musiciens britanniques qui faisaient du rock ont pu découvrir un autre monde, inconnu de leurs parents : celui de l’art, de la photographie, de la peinture, du théâtre, de l’avant-garde artistique, parfois, qu’ils ont naturellement mêlé à leur amour du blues et du rock’n’roll. Les Rolling Stones, les Kinks, les Who, David Bowie, Roxy Music : la liste est longue à l’infini. C’est ce qui a apporté cette esthétique, et parfois, cette recherche particulière, propres au rock britannique. »

Michka Assayas et Maud Berthomier, Very good McCartney trip,
France-Inter et GM éditions, 2024

Purge

« Le Parti n’a jamais tort, dit Roubachov. Toi et moi, nous pouvons nous tromper. Mais pas le Parti. Le Parti, camarade, est quelque chose de plus grand que toi et moi et que mille autres comme toi et moi. Le Parti, c’est l’incarnation de l’idée révolutionnaire dans l’Histoire. L’Histoire ne connaît ni scrupules ni hésitations. Inerte et infaillible, elle coule vers son but. A chaque courbe de son cours elle dépose la boue qu’elle charrie et les cadavres des noyés. L’Histoire connaît son chemin. Elle ne commet pas d’erreurs. Quiconque n’a pas une foi absolue dans l’Histoire n’a pas sa place dans les rangs du Parti. »

Arthur Koestler, Le Zéro et l’infini, 1940

Ukraine

« Ni les actrocités de Motyzhyn ni celles de Boutcha, ni celles découvertes dans toutes les villes libérées d’Ukraine, Izyoum, Lyman, Kherson, ne relèvent de la bavure, de délires individuels. Il s’agit d’un système, d’une violence stratégique, ayant pour but d’éliminer, dans les zones occupées, tout opposant ou partisan potentiel, et de terroriser la population à un tel point qu’elle sera incapable de résister en aucune manière à la puissance russe. Il y a de ceci des preuves directes, notamment des écoutes téléphoniques de soldats russes menées par les services de renseignement ukrainiens. Le 14 mars [2022], par exemple, un certain Liona — diminutif de Leonide — déclarait au téléphone : “Nous avons l’ordre de ne pas prendre de prisonniers mais de les abattre directement. Il y avait un garçon de 18 ans qu’on a fait prisonnier. D’abord, ils ont tiré dans sa jambe avec une mitrailleuse, puis on lui a coupé les oreilles. Il a tout confessé et a été abattu. On ne prend pas de prisonniers. Ce qui veut dire, on ne laisse personne en vie.” Le 21 mars, un autre soldat nommé Vadim expliquait plus succinctement à sa mère : “Nous avons l’ordre : ça ne fait rien si ce sont des civils ou pas. Tuez tout le monde.”

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