Le jeu populiste de l’automne

A la question : “vous diriez à nouveau qu’il y a aujourd’hui en France une minorité seulement de familles Roms qui ont un projet de vie, qui veulent s’intégrer en France ?”, un populiste célèbre a répondu :

“Oui, il faut dire la vérité aux Français. Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres, et qui sont évidemment en confrontation, il faut tenir compte de cela, cela veut bien dire que les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie.”

Qui cela peut-il être ?

— Adolf Hitler

— Slobodan Milosevic

— Gilles Bourdouleix

— Marine Lepen

— Nicolas Sarkozy

— Manuel Valls

Les gagnants de notre grand-jeu concours recevront un aller-simple pour Bucarest en caravane.

Vivent les PTT !

Suite à une attaque de SPAM, l’hébergeur Free a supprimé tous les commentaires de ce blog sans autre forme de procès. Précisons que les mesures anti-SPAM y sont peu efficaces précisément à cause du fonctionnement bridé des serveurs de Free, le sémillant Xavier Niel préférant sans doute investir dans la téléphonie mobile plutôt que dans l’hébergement de pages web.

Depuis la privatisation de France Télécom, la guerre des prix entre FAI et opérateurs de téléphonie mobile a fait rage, laissant quelques suicidés sur le bord du chemin du néo-management. Mais c’était, paraît-il, pour le plus grand bien des consommateurs qui, sans cela, on nous l’a bien répété, n’auraient jamais pu bénéficier du haut-débit et de la téléphonie à bas coût. Ah bon ? Qui dit qu’un service public tel que les défuntes P&T ou PTT n’aurait jamais pu sans le saint aiguillon de la concurrence libre et non faussée (pouf pouf) mettre en place de meilleurs outils que les Orange, Free, SFR, Bouygues (qui ont grassement profité, et profitent encore du dépeçage de la Poste et de France Télécom)  ? Par exemple une Poste qui accueille vraiment les usagers plutôt que de les jeter devant des automates entre deux agents d’ambiance débordés, un abonnement téléphonique unique pour téléphones fixes et mobiles, sans formules marketing à la con, un accès internet haut-débit, un hébergement de pages web de qualité… voilà des services (et non des “offres” ou des “produits”) qu’un organisme public aurait très bien été à même de fournir en y intégrant à chaque fois les dernières évolutions technologiques. Rappelons que dans les années 80, le Minitel fut un service innovant et accessible qui ne devait rien au dynamisme du privé ni à la concurrence entre opérateurs. Aujourd’hui, la redondance de réseaux concurrents n’apporte rien, si ce n’est davantage de précarité au travail et de pollution, pour des services dont rien ne prouve qu’ils soient de meilleure qualité que ce qu’aurait pu faire un vrai service public. Il est temps de rebâtir un vrai pôle public de poste, téléphone et télécommunication.

Que revivent les PTT !

Storytelling antimélenchoniste de trotskystes sourds comme LO

Contrairement au NPA, qui avait rejoint dignement (sur ses propres mots d’ordre) la marche citoyenne du 5 mai 2013 à Bastille, Lutte Ouvrière refuse systématiquement de militer aux côtés du Front de Gauche contre l’austérité et la dictature de la finance, pourtant imposées aux travailleurs (que LO prétend défendre) par la bourgeoisie (que LO prétend combattre). Au nom d’une stratégie présentée comme révolutionnaire (opposée au vilain réformisme), LO a donc choisi de rester en dehors de cet élan populaire de résistance inédit sous un gouvernement solférinien. C’est son droit, et fort heureusement, l’absence des forces militantes de LO n’a pas empêché la manifestation d’être un succès. Mais les attaques récurrentes du groupuscule trotskyste contre le Front de Gauche placent décidément les camarades de LO en position de tireurs dans le dos.

Nathalie Arthaud, la porte-parole de LO, a ainsi déclaré le 19 mai 2013, lors de la fête de son parti, que, une fois au gouvernement, “Jean-Luc Mélenchon serait une marionnette et un pantin comme les autres. Il ne pourrait rien faire face aux Mittal qui détiennent  le pouvoir…” Pourtant, le Front de Gauche avait exigé la nationalisation du site de Florange et Mélenchon n’avait pas eu de mots assez durs contre Mittal, affirmant qu’il n’était pas le bienvenu. Mais Nathalie Arthaud ne l’avait peut-être pas bien entendu. Un problème de surdité ? Il est vrai que pour LO, les mots de Mélenchon ne comptent pas, puisque “le mur de l’argent, la bourgeoisie et le grand patronat, ça ne se combat pas avec des mots”. Belle affirmation constituée de… 19 mots, 0 arme et 0 action concrète. Le 20 mars dernier, Jean-Luc Mélenchon était pourtant venu donner un coup de main aux grévistes de PSA à Aulnay. Il leur avait remis des chèques de soutien et avait pris la défense de Jean-Pierre Mercier, délégué CGT, attaqué par Montebourg pour son appartenance à LO. La camarade Arthaud n’a-t-elle pas discuté avec le camarade Mercier ? Ou bien est-elle vraiment sourde ?

Un autre membre de LO, qui n’est pas avare de “mots” sut Twitter sous le nom de @recriweb, expliquait aussi le 16 avril dernier sur son tumblr [edit : il ne faisait en fait que recopier une prose de LO dont il assure n’être pas lui-même l’auteur] :

“L’écœurement envers la politique de Hollande s’ajoute à la déception laissée par Mitterrand puis par Jospin. Tout cela contribue à la désorientation de la classe ouvrière et à la démoralisation de ses militants.”

Les manifestations de masse initiées par le Front de Gauche sont précisément de nature à enrayer cette “démoralisation”, chaque démonstration de force réussie contribuant à remotiver les militants et à faire prendre conscience à la classe ouvrière de sa propre force. C’est en tout cas très clairement la stratégie prônée par Mélenchon. La marche du 5 mai, ainsi que les répliques à venir début juin, permettent aussi de réorienter l’écoeurement légitime envers la politique de Hollande vers un désir de résistance et de nouvelles revendications (comme celle d’une démocratie sociale dans le cadre d’une sixième République) plutôt que vers le désespoir et la démoralisation qui poussent à l’abstention ou au vote FN. Mais l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne voit rien de tout cela. Il s’en tient au storytelling véhiculé par les médias, nouveaux chiens de garde du capitalisme, brodant autour de l’histoire personnelle d’un Mélenchon qui serait le sombre héros d’une cynique guerre pour le pouvoir, digne des séries Dallas ou Game of thrones.

“Mélenchon avance de plus en plus un pied dans l’opposition, alors que le PCF, pensant à ses maires et à ses conseillers municipaux élus sur des listes d’union avec le PS, freine des deux pieds.”

Pour ceux qui n’auraient pas compris, le camarade @recriweb en remet une couche dans un autre article du 19 mai 2013 [edit : en fait, un copié/collé d’un article dont il affirme n’être pas non plus l’auteur] :

“La stratégie de Mélenchon est guidée par sa carrière. Il se pose en rival de Hollande et a intérêt à creuser, du haut de son verbe “cru et dru”, l’opposition avec la direction du PS. Le PCF, lui, tient à préserver les positions dans les niveaux intermédiaires de l’Etat (municipalités, conseils généraux, etc.) qu’il occupe, en général, en alliance avec le PS. La direction du PCF n’a pas envie de tirer les marrons du feu pour le seul Mélenchon. D’autant moins que ce sont ses militants qui font le gros du travail.”

L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, décidément adepte de la communication narrative, nous raconte là une histoire palpitante : celle d’une rivalité personnelle entre Hollande et Mélenchon. Je ne sais pas ce que notre camarade trotskyste penserait si ce procédé de storytelling était utilisé pour évoquer par exemple la “rivalité” entre Trotsky et Staline : apporterait-elle selon lui un éclairage suffisant pour analyser l’opposition idéologique entre ces deux personnages ? Le (ou la) camarade de LO est-il (ou elle) à ce point resté(e) sourd(e) à ce qui différencie politiquement Mélenchon de Hollande qu’il lui faille envisager celle-ci sous l’angle de la presse à sensations, avec un niveau d’analyse politique proche de zéro ? La vraie raison de leur opposition est que l’un, Hollande, défend de plus en plus ouvertement les intérêts des marchés, de la finance et de la bourgeoisie oligarchique, tandis que l’autre, Mélenchon, défend les intérêts du peuple, en s’appuyant sur les forces de la classe ouvrière conscientisée et de la petite bourgeoisie intellectuelle. Mais cette raison est inaudible pour l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb puisque, dans l’histoire qu’il (ou elle) nous raconte, Mélenchon s’est vu attribuer sans autre forme de procès le rôle de démagogue valet de la bourgeoisie.

Notre militant(e) de LO semble découvrir aussi que le PCF et le PG n’ont pas tout à fait le même passé, ni le même poids électoral, ni forcément les mêmes intérêts pour les prochaines élections municipales. Quel scoop ! Aurait-il (ou elle) un peu plus tendu l’oreille qu’il (ou elle) aurait entendu que le Front de Gauche n’est pas un parti ni une confédération mais un front composé de plusieurs partis et structures, ainsi d’ailleurs que d’électrons libres, rassemblés certes sur un programme et une stratégie, mais ayant aussi leurs propres intérêts.

A propos de la stratégie spécifique au PCF pour les municipales de 2014, l’analyse de l’auteur(e) du texte recopié par @reciweb ne s’élève pas, là non plus, au-dessus du storytelling médiatique de bas étage, et passe donc à côté de l’essentiel : si localement, le PCF a effectivement besoin de maintenir l’alliance avec le PS pour espérer sauver quelques sièges de maires et de conseillers municipaux, les militants communistes sont dans leur grande majorité partisans d’une opposition radicale à la politique d’austérité menée par Hollande, laquelle se répercute bien évidemment à l’échelle locale. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb le saurait s’il (ou elle) militait aux côtés des militants du PCF comme nous, militants du PG, le faisons au sein du Front de Gauche. Cela lui éviterait aussi de dire que les militants du PCF “font le gros du travail” : ils font leur part, ce qui est certes admirable, essentiel et indispensable, mais les militants du PG, particulièrement actifs (parmi lesquels beaucoup de jeunes), ainsi que ceux des autres composantes du Front de Gauche, mais aussi les non-encartés, ne sont pas en reste. Beaucoup de militants et même de cadres du PCF sont partisans de la constitution de listes autonomes du Front de Gauche aux municipales, et ceux-là même qui sont tentés par une alliance de circonstance avec le PS pour sauver les meubles localement savent aussi que leurs alliés solfériniens leur feront défaut à la première occasion. Nos camarades du PCF se souviennent par exemple comment le PS leur a planté des couteaux dans le dos en Seine-Saint-Denis et dans toutes les anciennes banlieues rouges, faisant tomber les uns après les autres les bastions communistes dans les années 1990 et 2000. Dans certaines municipalités, le choix du PCF pour les municipales est donc cornélien : perdre dignement avec le Front de Gauche des positions indispensables à la survie — notamment financière — du parti, mais aussi à la défense sur le plan local des travailleurs, ou sauver quelques sièges par une alliance contre-nature avec un PS méprisant et plombé par la politique antisociale du gouvernement. Personne à gauche ne devrait se gausser du dilemme dans lequel se retrouve le PCF. Le ton des responsables communistes à l’égard du gouvernement est donc moins cru et moins dru que celui de Mélenchon car, bien évidemment, ils ont beaucoup plus à perdre que le PG dans un affrontement brutal avec les Solfériniens. Pourquoi s’en étonner ? La position du PCF restera délicate tant qu’il aura encore des bastions à sauver et tant que le Front de Gauche n’aura pas ravi au parti solférinien le leadership à gauche. Si la bascule s’opère par exemple à la faveur des prochaines élections européennes, alors le PCF aura enfin plus à gagner qu’à perdre dans une opposition claire et nette au PS. Pour dire les choses autrement, nous vivons à la fois la continuation inexorable de la décomposition de la puissance municipale du PCF et l’essor nouveau d’un Front de Gauche qui n’a pas encore réussi à traduire sa force de proposition en conquêtes électorales. Mais une chose est sûre : le PCF n’a aucune chance de survivre durablement ni d’imposer une politique favorable aux travailleurs en s’alliant nationalement avec le PS ou en mettant fin brusquement au Front de Gauche. Pas question non plus de cautionner la politique austéritaire et antisociale du gouvernement actuel. Cela, les communistes le savent, et ils le disent, avec leurs propres mots, à qui veut l’entendre. Mais l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, sourd(e) comme LO, ne veut sans doute pas l’entendre. Il préfère raconter, à l’unisson des nouveaux chiens de garde du capital, la torride histoire d’un “je t’aime moi non plus” entre le PCF et Mélenchon, traquant dans les propos des responsables communistes la moindre nuance ou différence de ton, sur des questions aussi essentielles que par exemple celle du “coup de balai” : l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, dont la surdité semble sélective, a bien entendu par exemple que Pierre Laurent et d’autres cadres du PCF avaient tiqué sur cette expression, mais il n’a pas vu les nombreux militants communistes venus le 5 mai munis de balais. Dans son article du 19 mai, le (ou la) militant(e) de LO voit aussi dans l’appel du PCF à “un vaste débat populaire qui convergera le 16 juin vers des assises nationales pour une refondation sociale et démocratique de la République” un moyen de faire de la marche du 5 mai initiée par Mélenchon une “simple étape”. Dans ce roman psychologique, le PCF, vexé, s’emploierait donc à minimiser l’appel de Mélenchon… en l’amplifiant et en le prolongeant ! L’histoire racontée par les médiacrates et par l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb devient décidément une farce. Et pendant ce temps, LO ne voit pas que PCF comme PG, avec le Front de Gauche, s’emploient à susciter et à entretenir l’élan populaire sans lequel aucune remise en cause de l’ordre établi n’est possible.

Maîtrisant décidément aussi bien le Mélenchon-bashing qu’un éditocrate de la presse bourgeoise, LO aborde aussi dans l’article recopié par @recriweb le 19 mai un point censé être rédhibitoire : Mélenchon, qualifié en passant de “démagogue”, serait prêt à “postuler” au poste de 1er ministre à la tête de la majorité actuelle dont il condamne pourtant la politique. Voilà qui le placerait au même rang de soumission à la bourgeoisie que le PCF dont l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb avait pourtant essayé de nous démontrer qu’il n’était pas d’accord avec Mélenchon. Le scénario de ce storytelling commence à être un peu embrouillé, comme souvent dans les séries qui se sont attachées à une idée mais qui ne savent plus trop comment broder autour après l’avoir usée jusqu’à la corde pendant plusieurs saisons. L’idée est de montrer que Mélenchon le démagogue serait en train d’entourlouper son monde par une “escroquerie” à grands coups “d’illusions”. Mais l’exemple donné tombe à plat. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb essaie de faire croire que Mélenchon dissimulerait une volonté de gouverner avec le PS pour poursuivre la même politique que celle qu’il dénonce aujourd’hui. C’est d’autant plus idiot que Mélenchon ne fait absolument aucun mystère de sa stratégie (il faut juste ne pas être sourd comme LO pour l’entendre) : il veut provoquer une recomposition de la majorité élue en 2012 en poussant l’aile gauche du PS et EELV à basculer dans une opposition ouverte à la politique austéritaire et antisociale qui entretient et aggrave la crise. Alors une majorité alternative serait possible avec le Front de Gauche, et pourrait sans attendre 2017 rompre avec la politique libérale de Hollande, qui n’aurait du coup d’autre choix que de cohabiter avec la gauche anti-austéritaire ou de dissoudre l’Assemblée nationale. Le 5 mai, Eva Joly et quelques militants écologistes ont fait un premier pas. Aucun cadre du PS n’en a pour l’instant eu le courage, ce qui ne veut pas dire que tous acceptent de bon gré la politique actuelle. Il se trouve juste que beaucoup d’entre eux sont des bureaucrates que le parti solférinien fait vivre et que d’autres gardent l’espoir que leur parti, une fois la croissance revenue (ce qui n’arrivera pas) reprendra une politique de gauche (ce qui n’arrivera pas non plus). Mais l’aggravation de la situation sociale (annoncée de longue date par Mélenchon) et la dissipation des illusions à propos de Hollande pourraient malgré tout en pousser certains à basculer dans les mois qui viennent, surtout après une éventuelle déroute électorale du PS en 2014.

Dans l’article recopié le 16 avril par @recriweb, on pouvait lire aussi :

“En se plaçant de plus en plus dans l’opposition par rapport à Hollande et au gouvernement socialiste, Mélenchon espère profiter du discrédit du PS. Ce en quoi il se trompe probablement. Dans le contexte de recul réactionnaire de la vie politique, c’est le FN surtout qui tire profit de ce discrédit. Plus, en tout cas, que le Parti de gauche.”

On ne peut évidemment que constater (et déplorer) que le FN “profite” plus, électoralement, du discrédit du PS que le PG (et que LO aussi, soit dit en passant). C’est tout simplement que le FN existe depuis plus de 40 ans alors que le Parti de Gauche existe depuis à peine plus de 4 ans. En se contentant d’énoncer ce fait, l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne fait que relayer la célébration du “succès” du FN par les médias, ce qui participe à sa dédiabolisation (le storytelling jouant à plein aussi en faveur de Marine Lepen, présentée systématiquement comme moins extrémiste que son père et comme plus proche du peuple — ce qui n’est évidemment qu’une fiction — tandis que Mélenchon, lui, est systématiquement présenté comme un extrémiste “tonitruant”). L’extrême droitisation de la vie politique française a pourtant été analysée par Mélenchon depuis fort longtemps, et c’est donc en toute cohérence que le PG, avec l’ensemble du Front de Gauche, combat l’assignation médiatique de l’électorat populaire au vote FN. Si la progression du FN est restée modeste par rapport à son précédent pic de 2002, celle du Front de Gauche depuis sa création en 2009 est spectaculaire. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb, toujours sourd(e) comme LO, n’en a-t-il donc pas entendu parler ? Certes, cela n’a pas suffi à devancer le FN en 2012, mais le combat continue.

“Utiliser un langage pseudo-radical, en outre teinté de nationalisme antiallemand, ou brandir l’idée d’une sixième République, ne suffit pas pour lui attirer la sympathie des classes populaires. D’autant moins que Mélenchon comme le Front de gauche dans son ensemble, PCF compris, ont contribué à apporter du crédit à Hollande et ont participé à son élection.”

Je ne vois pas en quoi le langage de Mélenchon serait plus “pseudo-radical” que celui de LO qui prône textuellement la révolution sans jamais brandir les armes pour la faire mais qui ne s’associe même pas aux mouvements de masse sans lesquels une révolution ne peut commencer.

Je ne vois pas en quoi la critique de la politique de Merkel faite par Mélenchon serait “teintée de nationalisme antiallemand”. L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb ne sait-il (ou elle) donc pas que le Parti de Gauche, qui est internationaliste, s’est inspiré lors de sa création du parti allemand Die Linke ? N’a-t-il pas entendu parler de la déclaration commune d’Oskar Lafontaine et de Jean-Luc Mélenchon le 20 novembre 2012 ? Sourd(e) comme LO, il (ou elle) sombre décidément dans le Mélenchon-bashing très en vogue dans les médias bourgeois et dans les cercles solfériniens. Si préférer Oskar Lafontaine à Angela Merkel est antiallemand, alors les Allemands de gauche sont antiallemands. Cette attaque est imbécile et ridicule.

Je ne vois pas en quoi les classes populaires n’auraient aucune “sympathie” pour l’idée de Sixième République. La réussite de la marche du 5 mai, qui a réuni plusieurs milliers de personnes (bien au-delà des 30000 bizarrement annoncées par la préfecture sur ordre de Valls, et bien au-delà aussi du nombre de participants à la fête de LO), y compris de nombreux syndicalistes en lutte (comme les Fralib), est la preuve cinglante du contraire. A moins que LO ne considère que ces derniers ne font pas partie de la classe ouvrière ? Bien sûr, ce n’est pas encore 1936 ou 1968, mais la mobilisation du 5 mai et l’accueil reçu par les militants du Front de Gauche lors des tractages durant les jours qui ont précédé montrent qu’il y a bel et bien un élan de sympathie pour cette idée pourtant compliquée (donc anti-démagogique) de Sixième République.

Enfin, je ne vois pas en quoi faire battre Sarkozy et obliger Hollande à gauchir son discours pour l’emporter de justesse en 2012 auraient contribué à apporter du “crédit” à ce dernier. Il avait la possibilité de s’appuyer sur les 4 millions de voix du Front de Gauche pour tenter une politique au moins sociale-démocrate. Au contraire, il perpétue délibérément la même politique que Sarkozy sans même pouvoir s’abriter derrière le prétexte d’un rapport de force défavorable. De son côté, les responsables du Front de Gauche, y compris du PCF, ont fait mentir le storytelling des médiacrates qui prévoyaient un ralliement au gouvernement solférinien et ont continué à en contester la politique antisociale.

“Ni Mélenchon ni le PCF n’ont cherché à éclairer l’électorat populaire. Ils n’ont pas voulu dire que c’est le grand patronat, les puissances de l’argent qui sont les maîtres de cette société et que les hommes politiques, si haut placés qu’ils soient, ne peuvent pas mener une autre politique que celle ordonnée par les maîtres. Ils n’ont pas voulu dissiper l’illusion qu’un changement à la tête de l’État, ou une autre majorité, pouvait changer le rapport de force entre le grand patronat et la classe ouvrière.

Mélenchon ne l’a pas dit, et ne pouvait pas le dire, parce que tout son jeu politique consiste à offrir ses services à la classe dominante avec comme argument de vente qu’il peut prendre le relais d’un Hollande discrédité pour continuer, avec plus d’efficacité, à entretenir les mêmes illusions.”

L’auteur(e) du texte recopié par @recriweb profère là un mensonge pur et simple, ne reculant devant aucune calomnie (Mélenchon accusé sans l’ombre d’un argument “d’offrir ses services à la classe dominante”). Le Front de Gauche n’a eu de cesse, depuis sa création, de former des assemblées citoyennes, de promouvoir l’éducation populaire. Pas un discours, pas un texte, qui ne dénonce l’oligarchie du grand patronat et des puissances de l’argent. Pour changer le rapport de force entre le grand patronat et la classe ouvrière, il faut une forte mobilisation des travailleurs et une vraie démocratie sociale, au sein même de l’entreprise, dans le cadre d’une Sixième République vraiment égalitaire. C’est ce que ne cessent de répéter les représentants du Front de Gauche. Il faut vraiment être sourd comme LO pour ne pas l’avoir entendu.

“Et ce n’est pas faire un procès d’intention à l’homme, bien que sa carrière politique d’ancien ministre témoigne de son véritable engagement. A-t-il pu changer ? Mais, même dans ses propos d’opposition les plus tonitruants, il ne met jamais en question le système capitaliste, il ne met jamais en cause l’ordre social basé sur l’exploitation.”

L’accusation de l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb sur la carrière d’ancien ministre de Mélenchon est grotesque. Celui-ci a été durant deux ans ministre de l’enseignement professionnel, de 2000 à 2002. Quelle mesure du ministre Mélenchon en faveur des lycées professionnels a-t-elle donc été contraire aux intérêts des travailleurs ? En évoquant des propos “tonitruants”, l’auteur(e) du texte recopié par @recriweb répète encore comme un perroquet les éléments de langage de la presse capitaliste. C’est peut-être pourquoi il (ou elle) n’a jamais réussi à entendre Mélenchon remettre en question le système capitaliste ni l’ordre social basé sur l’exploitation. Il (ou elle) n’a donc pas entendu que Mélenchon, candidat soutenu notamment par la fraction du NPA appelée Gauche Anticapitaliste, avait prôné la planification écologique, la nationalisation de certains grands groupes, la reprise d’entreprises par les travailleurs sous forme de coopératives… Il (ou elle) n’a pas entendu non plus que la plateforme adoptée lors du dernier congrès du PG mentionnait que “le capitalisme porte en lui l’oligarchie, c’est-à-dire le pouvoir d’un petit nombre sur tous les autres”, et que, face au capitalisme, “la bifurcation qu’il faut opérer avec le modèle de développement actuel implique un changement des normes dominantes de la société, une transformation des rapports de propriété, une refondation des institutions visant l’exercice effectif de la souveraineté par le peuple. Il s’agit donc d’une révolution”. Cela, non, le (ou la) camarade de LO n’a pas dû l’entendre.

Sourd comme LO, décidément.

Bernard Maris, un éditorialiste nombriliste et anti-Mélenchon

Dans son éditorial de page 2 de Charlie Hebdo du 7 mai 2013, Bernard Maris s’interroge : “Déçu du hollandisme ou du mélenchonisme ?”

“Suis-je déçu de François Hollande ? Oui”, révèle-t-il d’emblée. Et d’énumérer les raisons plus ou moins comico-farfelues de sa déception. Il eût notamment aimé :

“(…) qu’il [Hollande] dît à tous ces journalistes qui lui crachent dessus depuis un an : “ tas de blaireaux minables à la ramasse, dépassés par Internet, twitters grotesques, incultes du bonnet, renifleurs de bidet, fouille-poubelles à papier, mangeurs dans la main des puissants, jaloux du pouvoir, fricoteurs des dîners en ville qui ne savent même pas tenir une fourchette… ”, autrement dit qu’il fît du Mélenchon”.

La critique des médias faite par Mélenchon, pour acérée qu’elle soit, passe pourtant par des expressions nettement moins outrancières que celles employées ici par Maris qui fait proférer à un Hollande imaginairement mélenchonisé (de façon pour le moins caricaturale) les insultes céliniennes qu’il n’ose sans doute pas adresser à ses confrères de France-Inter, I-télé ou France 5 (où notre économiste a ses entrées). Rappelons aussi que si Mélenchon s’est laissé aller naguère à traiter par exemple David Pujadas de “salaud” ou de “larbin”, c’était en relation avec la manière violente et insultante dont il avait interviewé le syndicaliste Xavier Matthieu (revoir la scène dans le film Fin de concessions de Pierre Carles). Les attaques de Mélenchon contre la presse ne sont pas gratuites. Elles répondent à des actes ou des faits précis et ne relèvent pas simplement du caractère particulier d’un homme, particulier en cela qu’il aurait l’audace de dire tout haut ce que Maris ou un Hollande fantasmé pensent tout bas.

Mais l’éditorialiste de Charlie Hebdo ne se contente pas de caricaturer hâtivement. Il attaque :

“Mélenchon parle avec une voix déguisée. Trop de violence. Trop d’indignation. Qui pouvait croire que le père François fût un socialiste à la Baboeuf, Guesde, Leroux ou Marx ? Tout ce que dit Méluche n’est pas faux, mais sa voix est imperceptiblement fausse. Il lui manque juste le demi-ton, le dièse ou le bémol qui rendrait juste la partition de sa colère contre Hollande, assimilé à Guy Mollet.”

Bernard Maris, dont les écrits — on vient d’en donner un exemple — ne répugnent pas à l’outrance, relaie donc à présent sans autre forme de procès les lieux communs des médiacrates sur la “violence” de Mélenchon, dont il ne faut jamais dire qu’il analyse, qu’il explique, qu’il propose, mais toujours qu’il “vocifère” et tient des propos “tonitruants”, “populistes”, et “extrêmes”. Maris qui a tant chié sur les économistes et sur les imbéciles politiques néolibérales a désormais des pudeurs qui, pour le coup, sonnent plutôt faux. Qui pouvait croire en effet qu’Hollande fût un vrai socialiste ? Bernard Maris, peut-être, mais certainement pas Mélenchon qui s’est opposé au sein même du PS à l’orientation libérale prônée par Hollande dès les années 80 et qui a fini par quitter le parti solférinien lorsqu’il a estimé qu’il n’était plus possible de le faire redevenir ne serait-ce qu’un peu socialiste. Lorsque Mélenchon a appelé à voter Hollande au second tour des élections présidentielles, c’était pour faire battre Sarkozy. Il n’a jamais laissé croire qu’Hollande appliquerait le programme du Front de Gauche (ce programme que Bernard Maris avait d’ailleurs reconnu en pleine campagne électorale n’avoir pas lu !*). Il n’a jamais fait mine de croire qu’Hollande serait autre chose qu’un “capitaine de pédalo” au milieu de la tempête. Mais il s’adresse aussi à un peuple de gauche qui a pu croire un instant que “le changement” c’était “maintenant”, et qu’il s’agit désormais de ne pas laisser sombrer dans le désespoir et la résignation. Il rappelle également à chacune de ses interventions qu’Hollande n’a dû son élection qu’au bon report des 4 millions de voix qui s’étaient portées sur Mélenchon au 1er tour, ce qui aurait dû, dans une démocratie moins dégradée, obliger le vainqueur à quelques concessions. Déplorer qu’il n’en ait fait aucune est donc la moindre des choses.

Dans le même éditorial, Maris assène aussi :

“François Hollande n’a pas pris le chemin le plus facile. Parions qu’il suivra paisiblement sa normalité sociale-démocrate, ce que toute la presse feint d’ignorer, et ce que Mélenchon feint de découvrir.”

Ses confrères de la presse dépeignent systématiquement un Mélenchon “violent” ou “extrêmiste” quand ils ne vont pas, tel l’euro-béat Quatremer jusqu’à le traiter de stalinien, voire d’antisémite. Bernard Maris, pour ne pas rester en reste, n’a donc plus qu’à jeter le discrédit sur le discours de Mélenchon en l’accusant de “feindre” et de parler “faux”. En revanche, l’économiste de Charlie Hebdo, élu en 1995 “meilleur économiste de l’année” par Le Nouvel Economiste n’a pas consacré un seul éditorial au programme L’Humain d’abord ni au manifeste pour l’écosocialisme ni encore au contre-budget du Parti de Gauche défendus par Mélenchon. Aucune analyse. Pas même une critique. Aucune controverse non plus avec Jacques Généreux, aucune réplique à son livre Nous, on peut ! préfacé par Mélenchon. Aucune polémique non plus avec les économistes atterrés, ni avec Frédéric Lordon qui ont plusieurs fois soutenu les initiatives de Mélenchon (jusqu’au coup de balai du 5 mai dernier à la Bastille rejeté déjà par Maris dans un des précédents numéros de Charlie Hebdo*). Rien sur le fond. De l’écume. Discussion de comptoir pour commenter en surface, et au premier degré, la propagande de ce que feu le journal Le Plan B appelait le PPA (Parti de la Presse et de l’Argent).

Pourtant, Bernard Maris, chantre de l’écologie, de l’altermondialisme et de la décroissance, n’est pas le dernier à fustiger l’Europe austéritaire façon Merkel. Il signe par exemple dans le même numéro de Charlie Hebdo (sous son sobriquet d’Oncle Bernard) un autre édito titré “Harpagon tue l’Europe” dans lequel on peut lire :

“En fait, les créanciers, les riches essentiellement, bénéficient de la crise des dettes souveraines et des taux astronomiques demandés aux Etats et payés par les salariés. Qui a vraiment envie que ça s’arrête ? Pour que ça s’arrête, il faudrait mutualiser les dettes. Il faudrait donc que la BCE devienne une banque normale. Il faudrait aussi une politique industrielle (la constitution d’une communauté européenne de l’environnement, de l’énergie et de la recherche par exemple). Autrement dit, il faudrait sortir d’une économie de rente pour entrer dans une économie de production, et si possible de production de valeur d’usage”.

Ce qu’il “faudrait” faire, en somme, selon Oncle Bernard, c’est finalement appliquer la politique préconisée par Mélenchon : mettre en place la planification écologique et oser résister à l’Allemagne (“pays de vieux rentiers qui ne voient que le bout de leur magot”), notamment pour changer le statut de la BCE. Mais lorsque c’est Mélenchon qui le propose en expliquant comment faire, c’est “trop violent” et “déguisé”, alors qu’assené sur le mode “faut qu’on, y a qu’à” par Oncle Bernard dans un journal satirique, c’est sans doute bien plus pertinent.

Il faut dire que ce brave Oncle Bernard souffre visiblement d’un syndrome fort répandu chez ses confrères journalistes : le nombrilisme. Il a compris, lui, que l’austérité menait l’Europe à sa perte, et cela lui permet par exemple d’animer le spectacle radiophonique sur France Inter en donnant courtoisement la réplique au très libéral Dominique Seux, par ailleurs rédacteur en chef des Echos. Mais qu’un Mélenchon fasse le même constat et en tire des conséquences politiques concrètes, voilà qui dépasse l’entendement du médiacrate contemplatif qu’est décidément devenu Bernard Maris. Triste destin pour un soixante-huitard grand lecteur de Guy Debord ! Dans sa charge anti-Mélenchon, il ne manque d’ailleurs pas — quelle ironie ! — de citer aussi Baudrillard : “Et ceci est la fatalité du politique actuel, que partout celui qui mise sur le spectacle périra par le spectacle”, et de conclure : “Gaffe au spectacle, Jean-Luc, gaffe…” Mais qui donc, cher Oncle Nanard, mise vraiment sur le spectacle : le médiacrate qui travaille au spectacle de la fin du monde ou le politique qui travaille à la fin du monde du spectacle ?

Bernard Maris n’est malheureusement pas le premier gauchiste à finir en contestataire professionnel au service du spectacle, et il ne sera pas le dernier. On peut même admettre que son rôle d’économiste antilibéral de service sur les plateaux télé et radio puisse contribuer à apporter tout de même un autre son de cloche là où la doxa néolibérale règne habituellement sans partage. Mais hélas Bernard Maris va plus loin et dévoile ses vraies batteries lorsqu’à propos de Hollande, il écrit :

“Que lui demander de plus qu’un cheminement social-démocrate et une récupération lente, patiente du pouvoir sur la finance ? (…) Ayant choisi d’être normal pour une fonction anormale dans un pays d’anormaux, François Hollande n’a pas pris le chemin le plus facile. (…) François Hollande parle son propre langage, et c’est tant mieux.”

Et aussi :

“Lutter contre la finance par le Grand Soir ? Nuit du 4 août des créanciers, nos modernes aristos ? Quelle serait la marge de manoeuvre du Premier ministre Mélenchon, à part faire une politique généreuse de la mer — et c’est déjà beaucoup ? Sur quel pétrole s’appuirait-il pour mener une politique autonome, à la Chavez ? Langue au chat.”

Ainsi donc Bernard Maris, qui n’a sans doute toujours pas lu le programme du Front de Gauche, fait comme si Mélenchon n’avait jamais expliqué comment il comptait justement dégager des “marges de manoeuvre”. Tout cela est trop loin de son nombril pour avoir à ses yeux une quelconque réalité. Mais surtout il fait l’aveu de son propre renoncement et de son ralliement — malgré son image d’économiste keynésien de gauche — au credo néolibéral : TINA (There Is No Alternative). Pas d’alternative, pas de “marges de manoeuvre” pour faire une autre politique que celle que mène ce brave François Hollande en bon “social-démocrate” qu’il n’est d’ailleurs même plus (d’où le terme plus adéquat de “solférinien” employé désormais par le Parti de Gauche) : une “récupération lente, patiente du pouvoir sur la finance”, tellement lente et patiente qu’elle passe par une soumission totale (sans aucune renégociation) au pouvoir de la finance, par une mise au pas du parlement au service du Medef, par une renonciation à presque toutes les mesures de gauche symboliques pourtant rares que le candidat Hollande avait promises (droit de vote des étrangers, amnistie sociale…). “Ne jamais parler avec une voix déguisée”, a le culot de recommander Bernard Maris, conseiller général de la Banque de France (depuis sa nomination par le président solférinien du sénat le 21 décembre 2011), pas tant déçu que ça du hollandisme, avec la voix d’Oncle Bernard, virulent anarcho-écologiste pro-situ, déçu du mélenchonisme (dont il n’a entendu parler peut-être que par son compère de France Inter Dominique Seux ?). Parole de ventriloque assis qui n’a pas dû donner de la voix (même déguisée) dans une manif depuis belle lurette.

* Charlie Hebdo n’archivant pas l’intégralité de ses anciens articles sur internet, et l’auteur de ce billet ne conservant pas les quelques exemplaires papier qui lui passent sous la main (et n’ayant pas le loisir d’aller retrouver ses sources ailleurs que dans sa mémoire), le lecteur scrupuleux ou méfiant est invité à faire lui-même les vérifications d’usage en allant consulter les éditoriaux de Bernard Maris d’avril 2013 et des premiers mois de l’année 2012 et à nous transmettre le résultat de ses recherches.

Le Canard enchaîné caquette avec les chiens de garde

Le week-end dernier, lors du congrès du Parti de Gauche, François Delapierre et Jean-Luc Mélenchon ont déclenché les foudres de l’ex-presse et du Parti Solférinien pour avoir osé affirmer que le ministre Pierre Moscovici, ne pensant plus “en français” mais “dans la langue de la finance internationale” faisait partie des “17 salopards” qui se sont donnés pour mission de rançonner le peuple chypriote. Sous prétexte d’une mauvaise retranscription de l’AFP qui avait oublié le “en” de “en français”, les chiens de garde du PPA (Parti de la Presse et de l’Argent) comme Jean Quatremer ou Jean-Michel Apathie ont aussitôt aboyé, suivis par le gratin du Parti Solférinien (Désir, Attali…), relayés ensuite par les réseaux antisociaux et les prospectus publicitaires qui portent encore étrangement le nom de journaux (Libération, Le Point, etc.). De “relents des années 30” en “propos dignes de Gringoire”, tout ce beau monde tenait désormais de quoi salir Mélenchon de l’accusation suprême : celle d’antisémitisme.

Quelle ne fut pas ma surprise de constater pas plus tard qu’hier qu’un célèbre “journal satirique paraissant le mercredi” faisait lui aussi partie de la meute. En première page du numéro du 27 mars 2013, dans un article signé J.-M. Th., soit Jean-Michel Thénard, Le Canard enchaîné aboit en effet comme un vulgaire Quatremer :

“Non, Jean-Luc Mélenchon n’est pas antisémite. La preuve, il ne savait pas que Pierre Moscovici était juif. Ce n’est pas parce qu’il a fréquenté pendant trente ans les dirigeants du PS qu’il est tenu de connaître la religion de tous ses membres, nom de Dieu !”

Les lecteurs habitués aux antiphrases du Canard auront compris que Thénard ne croit pas du tout que Mélenchon ait pu ignorer que Moscovici fût juif, et qu’il n’y a donc finalement pour lui pas de preuve que Méluche ne soit pas antisémite. CQFD. Sous l’humour pas drôle, la diffamation de bas étage. Monsieur Thénard serait-il le genre de mec qui passe son temps à se demander quelle est la religion ou l’origine communautaire de chacun de ses collègues ? De même qu’Harlem Désir a fait tout seul l’amalgame entre “juif” et “finance internationale” pour pouvoir calomnier Mélenchon, Thénard ne fait que projeter sur les autres ses propres obsessions. Pour ma part, si on m’avait posé la question, je crois que j’aurais répondu bêtement sans réfléchir que Moscovici était peut-être corse, ou d’origine italienne. Et je dois avouer que parmi mes camarades de comité du PG, je sais juste que l’un est catholique et deux autres musulmans (encore que je ne sache pas s’ils sont vraiment pratiquants), mais que je ne sais pas du tout si les autres sont juifs, athées, bouddhistes, protestants, agnostiques… Car tout simplement, dans un parti politique de gauche et laïque, la religion en tant que pratique personnelle privée, n’est pas un sujet fréquent de conversation. Pour tout dire, on s’en fout, de la religion des uns et des autres.

J.-M. Th. compare ensuite la version tronquée de l’AFP et la vraie phrase de Mélenchon pour ironiser sur la “nuance” :

“Dans un cas, ça frise l’antisémitisme. Dans l’autre c’est politiquement correct.”

La suite de l’article laisse entendre qu’en fait, ça friserait plutôt dans tous les cas l’antisémitisme :

“C’est le paradoxe, avec le patron [sic] du Front de gauche : plus il cannonne les socialistes, plus il faut peser au millimètre ses propos. Une préposition oubliée dans une de ses phrases et voilà l’ancien ministre de Jospin qui passe de l’extrême gauche à l’extrême droite. Plus il est simpliste, moins les choses sont simples. C’est dire s’il faut le prendre désormais avec des pincettes.”

Harlem Désir lui-même n’aurait pas rêvé plus fielleuse insinuation. Pourtant, n’importe quel esprit sensé peut voir que même sans la préposition “en”, la phrase de Mélenchon n’avait rien d’antisémite : un Moscovici “qui ne pense pas français, qui pense finance internationale”, cela aurait simplement désigné le fait que Moscovici ne défend pas les intérêts du peuple français mais ceux de la finance internationale, ce qui est objectivement le cas dès lors que sa politique est dictée par les marchés, et on peut en dire assurément autant d’un Cahuzac ou d’un Cazeneuve qui ne sont peut-être pas juifs, eux (je l’espère pour ma démonstration — sinon, remplacez par un autre Solférinien parpaillot ou catho certifié). Contrairement à ce qu’assène Thénard, Mélenchon, qui n’est déjà pas d’extrême gauche (pour la vraie extrême gauche, il n’est qu’un vil réformiste), ne passe donc en rien à l’extrême droite par simple oubli d’une préposition. Son discours n’est pas “simpliste” : il est clair. Et s’il faut prendre quelque chose “avec des pincettes”, désormais, ce n’est certainement pas Mélenchon mais bien plutôt Le Canard enchaîné thénardié.

“Le paradoxe est révélateur de cette dérive qui amène le Franc-Comtois à jouer sur les marges avec un vocabulaire qui emprunte de moins en moins à la gauche. Et de plus en plus ailleurs. Il braconne, Mélenchon. Et il déconne.”

Et voilà comment le palmipède qui nargua naguère de Gaulle et fit bouffer ses diamants à Giscard devient un organe de la propagande solférinienne, qui n’a eu de cesse depuis la candidature de Mélenchon à la présidentielle de le comparer à Lepen. Si critiquer la finance internationale est emprunter au vocabulaire de l’extrême droite, alors il n’y a tout simplement plus de gauche. Ou être de gauche, c’est être d’extrême-droite, donc soyons centristes libéraux. C’est sans doute ce que veut montrer notre canard de garde.

Plus loin, Thénard en remet une couche contre Delapierre, cette fois, accusé lui aussi de déconner avec sa phrase sur les “17 salopards”. Il faut croire que Thénard, ancien de Libé et ami de Carla Bruni, selon le blog Lucky, n’est pas cinéphile, ou bien qu’il aime rançonner les Chypriotes. Lui qui accuse Mélenchon de “parler con” peut désormais être rangé dans la catégorie des connards enchaînés.

 

Homophobie partout, égalité nulle part

Mardi 12 février 2013, l’Assemblée Nationale votait à une large majorité le texte relatif au “mariage pour tous”, qui devrait autoriser les personnes de même sexe à se marier. A moins d’un coup de théâtre au sénat ou au conseil constitutionnel, l’affaire est donc classée. Encore que… Malgré la détermination, la dignité et l’éloquence de Christiane Taubira, les hésitations de François Hollande ainsi que les cafouillages gouvernementaux auront permis au débat de s’éterniser, laissant la droite réactionnaire la plus bête du monde tenir le haut du pavé. Du coup, l’accès à la PMA pour tous et l’encadrement de la GPA sont repoussés sine die, malgré le courage de la députée Marie-George Buffet qui s’est retrouvée bien isolée, même au sein de son propre groupe. La réelle avancée en terme d’égalité des droits que constitue le mariage pour tous reste donc bien limitée. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que ces trop longs mois de débat auront permis à l’homophobie la plus ignoble de s’exprimer ouvertement, y compris dans les rangs de la gauche, sous prétexte notamment que le mariage “homo” n’intéresserait pas le peuple et ne serait qu’une “diversion” pour faire oublier les “vraies” questions, c’est-à-dire les questions sociales. S’il est vrai qu’on peut suspecter à bon droit le gouvernement PS de préférer mettre l’accent sur les questions sociétales qui ne coûtent rien plutôt que sur sa trop évidente reddition à l’ordre austéritaire, force est de constater que ce gouvernement aura été très timoré même sur le terrain des moeurs, et que ce débat-là n’aura en rien masqué l’ampleur du désastre social dans lequel la soumission aux marchés plonge le pays. D’ailleurs, le jour-même de l’adoption de la loi sur le mariage pour tous par l’Assemblée nationale, les écoles étaient bloquées par une grève massive, et nombre d’ouvriers étaient en lutte contre les plans sociaux (Goodyear, Florange, Sanofi), preuve s’il en était besoin qu’une mobilisation ne se fait jamais au détriment d’une autre, mais qu’au contraire la lutte pour l’égalité ne peut que se renforcer d’être menée de front sur tous les aspects. Mais certains ne veulent décidément pas le comprendre…

L’homophobie tendance trostkarde

Un exemple révélateur est Ilan Simon. Militant trotskyste de l’ARS-combat (qui l’a désavoué par la suite, mais qui avait déjà procédé à des amalgames foireux entre adoption, PMA, et marchandisation), il est allé jusqu’à envoyer une lettre de soutien à l’extrémiste de droite Frigide Barjot. Sous couvert de références à Freud, Marx, Lénine et Trotsky, il s’y montre parfaitement réactionnaire, citant par exemple sans rire le texte confus de son groupuscule :

“(…) Il faut affirmer, face aux furies d’un égalitarisme caricatural et borné, que ce n’est pas être homophobe que de poser la question, à notre tour, de l’impact psychologique et affectif sur l’enfant élevé par un couple homosexuel. Car si la famille a toujours évolué, il n’y a jamais eu à notre connaissance de familles constituées de membres d’un seul et même sexe. D’autre part, nous ne pouvons ignorer les nombreuses études qui ont démontré l’impact négatif de l’absence du père sur le développement de l’enfant.”

Pourtant, poser cette “question” est bel et bien homophobe. Car quoi que puissent en penser Ilan Simon et l’ARS-Combat, les enfants de couples homosexuels existent déjà. Pourquoi Ilan Simon et son parti ne se posent-ils pas plutôt la question de “l’impact psychologique” que peut avoir sur des enfants élevés par un couple homosexuel le fait qu’un de ses parents ne puisse être reconnu comme tel ? La posture révolutionnaire masque ici bien mal le paternalisme et l’homophobie.

C’est arrivé près de chez nous

Plus inquiétant encore, ce livre de Stella Magliani-Belkacem et Félix Boggio Ewanjé-Epée : Les féministes blanches et l’empire (voir le texte intégral du chapitre V diffusé par Rue 89). Inquiétant par la thèse qu’il véhicule, mais aussi et surtout parce que publié aux éditions La Fabrique d’Eric Hazan (qu’on a connu mieux inspiré), dont Stella Magliani-Belkacem est secrétaire d’édition (elle était même intervenue à l’université d’été du Front de Gauche en 2012 pour s’exprimer sur « l’anti-racisme et le mutliculturalisme »). Dans une interview donnée à Robin d’Angelo pour Street Press et reprise sur Rue 89, les deux auteurs s’opposent selon l’interviewer à “un discours d’inscription des droits sexuels qui institutionnalise l’homosexualité telle qu’elle est définie en Occident”, dénonçant “la tentative de faire de l’homosexualité une identité universelle qui serait partagée par tous les peuples et toutes les populations”. Le livre est dédicacé à Houria Bouteldja, du Parti des Indigènes de la République (PIR), et même si Stella Magliani-Belkacem a cru bon ensuite de préciser qu’elle avait été mal lue et qu’elle n’était pas membre de ce mouvement, la convergence d’idées est notable, particulièrement dans la tentative commune (et s’appuyant sur les mêmes références, par exemple à Joseph Massad) d’opposer “identité homosexuelle” occidentale et pratiques homo-érotiques dans le monde arabo-musulman précolonial. Soit dit en passant, cela donne surtout envie de leur répondre : “ah ouais, et alors ?”

Extrait du livre :

“Comme dans le cas du féminisme, la réaction contemporaine n’a eu de cesse ces dernières années de faire des non-Blancs la première menace contre les « homosexuels ». Du « jeune de banlieue » viriliste et macho jusqu’aux musulmans « intégristes », les hommes noirs et arabes, mais aussi les cultures non occidentales – en particulier islamique – sont représentés comme une force majeure de la domination hétérosexiste contemporaine. Comme on l’a souvent rappelé, cette manœuvre n’est là que pour dédouaner la France blanche de son homophobie, de sa lesbophobie et de sa transphobie structurelles, inscrites dans la législation, les dispositifs scolaires et médicaux ou encore les politiques d’accès aux soins.”

Il y a là (comme souvent chez les Indigènes de la République) une forme de pensée paranoïaque qui ne veut comprendre le monde que par l’unique prisme de l’impérialisme, du colonialisme, du racisme ou de l’islamophobie. La revendication d’étendre le droit au mariage aux couples homosexuels, pourtant, pointait bien une discrimination inscrite dans la législation française et non dans des moeurs orientales ou exotiques en vigueur outre-périphérique. Les organisations et les partis qui ont porté cette revendication et ont obtenu son inscription dans la loi par l’Assemblée nationale dépassent de loin le cadre du seul mouvement LGBT, et cette revendication ne nuit décidément en rien au monde arabo-musulman ni aux pratiques qui s’y dérouleraient de préférence en secret. S’il est vrai que la lutte contre l’homophobie en banlieue ou dans certains pays musulmans peut très bien être récupérée par des islamophobes patentés (FN, “identitaires”… prêts à récupérer jusqu’à l’idée de laïcité), cela ne signifie pas que toute dénonciation de l’homophobie en banlieue ou en terre d’Islam soit condamnée à prendre un caractère islamophobe. L’homophobie et la misogynie sont de tristes réalités de certains quartiers (qui n’en ont pas non plus le monopole) : la femme non-voilée se promenant seule ou l’homme soupçonnable d’être un pédé y reçoivent aisément insultes ou crachats, si ce n’est pire. Ce n’est pas parce qu’un jeune “non-blanc” de banlieue est victime de racisme qu’il est immunisé lui-même contre cette autre forme de racisme qu’est la haine des homosexuels (ou des femmes). Ce racisme-là, même émanant d’une victime, n’est pas plus acceptable qu’un autre. Etre soi-même méprisé comme “non-blanc” peut pousser à mépriser d’autres victimes, à commencer par le “pédé”, fût-il lui même “non-blanc”. Et le cas échéant, on peut toujours trouver plus efféminé que soi. Au pire, il reste toujours les Roms, les clodos ou les putes. La réalité du racisme n’excuse pas l’homophobie qu’il peut amplifier. Il faut lutter contre les deux. L’esprit du capitalisme a-t-il à ce point contaminé les consciences que les défenseurs d’une cause aient forcément à la situer en concurrence avec toute autre ? Dénoncer des pratiques homophobes à tel endroit (par exemple dans les “quartiers”) ne revient pourtant pas à les accepter ailleurs (par exemple dans les campagnes bien franchouillardes) ni à minimiser les autres formes de violence sociale, religieuse ou raciale, en France ou dans le monde. Il faut lutter contre toutes les formes de racisme et de domination sociale, chaque lutte enrichissant l’autre, aucune ne se faisant au détriment des autres, toutes étant constitutives de l’émancipation humaine.

L’homophobie justifiée par “l’impérialisme gay”

Les auteurs du livre Les féministes blanches et l’empire posent que “la binarité homosexuel/hétérosexuel” serait une invention de l’occident imposée par la colonisation au monde arabe. En cela, ils rejoignent tout à fait la pensée de celle à qui ils ont dédicacé leur ouvrage, même s’ils ne se revendiquent pas de son parti (le PIR). Houria Bouteldja ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a cru bon, suite à la polémique déclenchée par l’article de Robin d’Angelo, de revenir le 12 février 2013 sur ce sujet et sur les propos qu’elle avait tenus le 6 novembre 2012 sur France 3.  Selon elle, la question du “mariage gay” ne concerne pas les populations des “quartiers”, que par un raccourci assez osé, elle assimile à des “non-blancs” (il n’y aurait donc pas de prolétariat blanc dans les “quartiers” ?) :

“Ça ne signifie pas qu’il n’y a pas de pratiques homosexuelles dans les quartiers, ça signifie qu’elle n’est pas prioritaire et qu’on a d’autres choses beaucoup plus importantes et urgentes.”

A ce compte, les homosexuels blancs qui ne constituent pas le fond de commerce d’Houria Bouteldja pourraient parfaitement lui rétorquer que pour eux, la question de l’égalité dans l’accès au logement ou à l’emploi pour les “non-blancs” hétérosexuels des quartiers populaires n’est pas une priorité, quand bien même ces populations auraient très secrètement des pratiques homo-érotiques. Ils seraient alors accusés à juste titre de racisme et d’hétérophobie. Qu’on parle de droit au mariage ou de droit à l’emploi et au logement, il s’agit bien d’un seul et même problème absolument prioritaire : celui de l’égalité des droits. Il est certes terrible que le frileux gouvernement PS ne s’attaque pas à toutes les discriminations, mais Houria Bouteldja devrait comprendre que ce n’est pas le “mariage gay” qui empêche les Arabes d’accéder aux emplois, et que ce n’est pas en critiquant le “mariage gay” (ou en disant à la télé, en plein débat sur ce sujet : “là où je suis, parce que je n’ai pas un avis universel, là où je suis, je dis, cette question ne me concerne pas”) qu’elle fera avancer la cause des “indigènes” discriminés.

Et Houria Bouteldja d’ajouter :

“La seconde chose, c’est que je ne crois pas à l’universalité de l’identité politique homosexuelle. C’est-à-dire que je fais la distinction entre le fait qu’il peut y avoir des pratiques homosexuelles effectivement dans les quartiers ou ailleurs mais que ça ne se manifeste pas par une revendication identitaire politique. Celle-ci n’est pas universelle. Et moi je fais un peu ce reproche là au débat politique français, il considère, dans les milieux homosexuels, majoritairement, et c’est ce qu’on appelle homonationalisme et que je préfère appeler homoracialisme qui consiste à considérer que lorsqu’on est homosexuel, on doit faire son coming out et les revendications qui vont avec.”

Inversion tout à fait spécieuse du problème évoqué par Johan Cadirot, administrateur du Refuge – « une association qui loge les victimes d’homophobie » – qui affirmait qu’il n’y a pas « moins d’homos » dans les cités, mais qu’ils « sont plus cachés et dans le déni. » Avec une grande malhonnêteté intellectuelle, Houria Bouteldja tente d’en conclure que “l’enjeu est donc bien de convaincre des non-Blancs qu’ils doivent s’identifier comme homosexuels”, et que “c’est un choix qui s’inscrit dans le militantisme homosexuel hégémonique : c’est le choix entre la fierté et la honte, le placard ou le coming out.” En réalité, Johan Cadirot dénonçait à juste le titre le fait que des homosexuels sont obligés de se cacher ou de se mentir à eux-mêmes sous peine de se faire exclure ou casser la gueule (voire pire). Il ne disait en rien que tous les homosexuels ou les adeptes de pratiques homo-érotiques devraient faire obligatoirement un quelconque coming out. C’est un faux procès qui vise à faire passer un défenseur des opprimés pour un oppresseur, et par là-même les victimes pour des bourreaux. Il existe peut-être des intégristes gays qui veulent imposer un mode de vie gay à tout homosexuel (ou à tout adepte de pratiques homo-érotiques), de même qu’il existe des intégristes religieux qui veulent imposer leur lecture de la religion à tout être humain. Mais ce n’est absolument pas ce qui est en jeu avec le mariage pour tous, puisqu’il s’agit — mais Houria Bouteldja fait mine de ne pas le comprendre — d’un droit et non d’une obligation. Le mariage pour tous n’impose aucune norme aux homosexuels, ni aux hétérosexuels, ni aux hétérosexuels adeptes de pratiques homo-érotiques, ni mêmes aux personnes arabo-musulmanes décolonisées ne se reconnaissant pas ou plus dans la dichotomie hétéro/homo imposée par l’impérialisme occidental petit-bourgeois. Le mariage pour tous permet juste aux couples homosexuels qui le souhaitent de bénéficier des mêmes droits que les couples hétérosexuels. Il supprime une discrimination. Il n’impose aucun usage. Il ne fonde aucune “identité politique homosexuelle” universelle. Il élargit juste le champ d’application du principe universel d’égalité des droits. C’est bien le même principe universel qui doit bénéficier aux “indigènes”. Car, comme le dit un flic dans l’excellent film “La parade” de Srđan Dragojević : “si on donne les droits de l’homme aux pédés, faudra les donner à tout le monde”.

 

Comme enivrée de sa propre phraséologie, Houria Bouteldja assène plus loin :

“La promotion de l’homosexualité comme identité politique produit des dégâts tant sur le vécu des homosexuels dont la vie peut-être mise en danger que sur les rapports sociaux surtout quand la protection due aux minorités sexuelles devient une exigence politique et éthique internationale à l’aune de laquelle se mesure la maturité civilisationnelle des nations néo-colonisées. Il serait temps, une bonne fois pour toute, de comprendre que l’impérialisme – sous toutes ses formes – ensauvage l’indigène : à l’internationale gay, les sociétés du sud répondent par une sécrétion de haine contre les homosexuels là où elle n’existait pas ou par un regain d’homophobie là où elle existait déjà, au féminisme impérialiste, elles répondent par un durcissement du patriarcat et par une recrudescence des violences faites aux femmes, à l’humanisme blanc et droit de l’hommiste, elles répondent par un rejet de l’universalisme blanc, à toutes les formes d’ingérence commises par l’Occident et qu’il serait fastidieux d’énumérer ici, elles répondent par une hostilité grandissante. (…)

C’est pourquoi, de façon analogue, les quartiers populaires répondent à l’homoracialisme par un virilisme identitaire et…toujours plus d’homophobie.”

De façon proprement délirante, Houria Bouteldja aura donc assimilé la simple revendication de l’égalité des droits pour les homosexuels à la promotion de l’homosexualité comme identité politique, laquelle serait par nature impérialiste (puisqu’occidentale) et donc logiquement rejetée par les “indigènes”, conduits par là même à l’homophobie. Dans cette fausse logique, le responsable de l’homophobie n’est donc pas l’homophobe mais l’homosexuel. A ce jeu, on peut aller loin : le responsable des violences conjugales, ce n’est pas le mari violent mais la femme, le responsable de l’antisémitisme, ce n’est pas l’antisémite mais le juif, le responsable du colonialisme, ce n’est pas le colon mais l’indigène… quoique cette dernière proposition risque tout de même de déplaire un peu aux “Indigènes de la République”. En nommant “homoracialisme” la volonté des homosexuels de jouir des mêmes droits que les hétérosexuels, elle ne fait que projeter sur une autre communauté que la sienne (et aussi peu définie que la sienne) le racialisme qu’elle promeut elle-même dans son combat pour les “indigènes”. Houria Bouteldja a choisi par calcul politique de soutenir l’homophobie dans son camp plutôt que l’égalité des droits, quitte à heurter les “blancs” de gauche. Se faisant, elle se place en dehors de la gauche républicaine et enferme les siens dans un racialisme qui n’est que le reflet de celui du colonialisme qu’elle prétend combattre, les condamnant finalement à ne jamais se décoloniser vraiment, à rester à tout jamais des “indigènes”. C’est stupide et dangereux.

 

Crise, doléances, et révolution

Dans L’argent sans foi ni loi, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot montrent à quel point le règne de l’oligarchie financière est contraire à l’idéal républicain. Les deux sociologues y citent “ce que nous disait en 1802 le troisième président des Etats-Unis, Thomas Jefferson, que l’on ne peut pas considérer comme ayant été un dangereux révolutionnaire” :

“Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent sa monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, d’abord par l’inflation, ensuite par la récession, jusqu’au jour où les enfants se réveilleront sans maison et sans toit sur la terre que leurs parents ont conquise.”

Transposé au monde — et à la France — des années 1970 à nos jours, ce constat est troublant. Il dépeint assez bien le coup d’Etat financier qui s’est opéré à la faveur de la crise des années 1970 et de la dérégulation qui l’a suivie jusqu’à l’asservissement actuel des Etats aux politiques austéritaires qui ruinent les peuples. Ce coup d’Etat s’est opéré discrètement et progressivement. Mais à mesure qu’une caste accapare les richesses de façon de plus en plus ostensible au mépris de l’intérêt général, les citoyens peu à peu dépouillés de leurs droits économiques et sociaux commencent à mieux comprendre ce qui se joue.

Profitons-en pour oser un autre parallèle historique.

“Je lis attentivement les cahiers que dressèrent les trois ordres avant de se réunir en 1789 ; je dis les trois ordres, ceux de la noblesse et du clergé, aussi bien que celui du tiers. Je vois qu’ici on demande le changement d’une loi, là d’un usage, et j’en tiens note. Je continue ainsi jusqu’au bout de cet immense travail, et, quand je viens à réunir ensemble tous ces voeux particuliers, je m’aperçois avec une sorte de terreur que ce qu’on réclame est l’abolition simultanée et systématique de toutes les lois et de tous les usages ayant cours dans le pays ; je vois sur le champ qu’il va s’agir d’une des plus vastes et des plus dangereuses révolutions qui aient jamais paru dans le monde.”

Ce constat effrayé d’Alexis de Tocqueville est cité avec malice par Eric Hazan dans Une histoire de la Révolution française. Il montre à quel point la société française de 1788-1789 était mûre pour la grande Révolution. Et aujourd’hui, où en est-on ? Crise économique, incapacité du pouvoir à sortir de la spirale de la dette faute d’être capable de faire obstacle à la rapacité de l’oligarchie, ressentiment du peuple : les similitudes sont frappantes, et remarquées d’ailleurs avec effroi par ceux-là mêmes qui ont de trop voyants privilèges à défendre. Ainsi, en 2012, le peuple accablé par l’austérité put entendre l’actrice Catherine Deneuve rétorquer à son collègue Torreton, qui critiquait le cynisme fiscal de son autre collègue Depardieu : “Qu’auriez-vous fait en 1789 ? Mon corps en tremble encore !” Ce fut aussi pour la patronne du Medef l’occasion de renchérir en affirmant : “On est en train de recréer un climat de guerre civile, qui s’apparente à 1789” (la même Laurence Parisot avait d’ailleurs déjà vu en Mélenchon “l’héritier d’une forme de terreur” lors de la campagne présidentielle). Ce fut ensuite Alain Afflelou qui sentit lui aussi le souffle de la guillotine contre sa nuque de riche marchand de binocles : “fiscalité injuste et confiscatoire (…) On est en train de faire une guerre de tranchées, de revenir en 1789 : il faut arrêter de dire que les chefs d’entreprises sont des voleurs, des voyous, des gens malhonnêtes.”

Le peuple n’a même pas encore sorti les piques contre les vils accapareurs que la classe ultra-privilégiée commence à trembler. C’est une bonne nouvelle, car jusqu’à présent, la peur était l’apanage des gueux craignant pour leur emploi. Mais le carcan qui enserrait les consciences des dominés commence à craquer, et ceux qui ont beaucoup à perdre le sentent, apparemment.

Un autre livre paru fin 2012 ne saurait les rassurer. Laurent Maffeïs et Alexis Corbière clament en effet “Robespierre, reviens !” dans un ouvrage qui remet en cause l’opprobre jetée sur l’Incorruptible depuis la réaction thermidorienne. En nous rappelant le rôle de Robespierre dans la création de la République et dans l’émergence de la question sociale, ces deux camarades (du PG) montrent a contrario à quel point la contre-révolution a fini par triompher insidieusement. Il est temps de réhabiliter — et par conséquent de réactiver — le processus révolutionnaire qui donne toujours des sueurs froides à l’aristocratie d’aujourd’hui (la prolifération de véritables dynasties dans les grandes entreprises voire dans le show business vient confirmer ce que Bourdieu avait déjà montré avec La noblesse d’Etat : une nouvelle aristocratie exerce bel et bien de plus en plus visiblement sa domination sur une République vidée de son contenu révolutionnaire).

L’année 2013 et celles qui suivront auront-elles un parfum de 1789 voire 1792 ? Une chose est sûre : le peuple qui souffre sous le règne de l’argent fou a nombre de doléances. Il lui reste à les écrire et à en tirer les bonnes conclusions. Les assemblées citoyennes du Front de Gauche pourraient y contribuer. Camarades, ce n’est donc pas le moment de glander, et encore moins de désespérer.

Bibliographie :

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, L’argent sans foi ni loi, Textuel, 2012
Eric Hazan, Une histoire de la révolution française, La Fabrique, 2012
Alexis Corbière et Laurent Maffeïs, Robespierre, reviens !, éd. Bruno Leprince, 2012
Pierre Bourdieu, La noblesse d’Etat, Les éditions de minuit, 1989
Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856

Merci pour le rapport de force

Arnaud Montebourg, l’ex-chantre de la démondialisation, a eu beau dire, l’Etat ne nationalisera pas Florange, même pas provisoirement, et laissera donc Mittal continuer à mentir et à spéculer avec Goldman Sachs sur le dos des ouvriers. L’ex-presse a promptement glosé sur l’humiliation subie par Montebourg, publiquement désavoué par son premier ministre, si bien que celui-ci a dû, avec d’autres hiérarques sociaux-libéraux, vanter après coup le rôle du ministre de la désindustrialisation dans cette affaire. Selon le JDD :

““On a été durs aussi”, nous raconte Ayrault, qui reconnaît que l’idée de nationalisation “a pesé dans le bras de fer. C’est une solution ultime. Un rapport de force a été créé et Arnaud Montebourg a joué son rôle.””

La référence au “rapport de force” devient dès lors un élément de langage qui sera répété en boucle par les communicants et autres ministres sociaux-libéraux, tel Michel Sapin dans Le Figaro :

“L’intervention du ministre du Redressement productif, qui a menacé de démissionner avant de se raviser, a été “plus qu’utile” car “c’est lui qui a permis que se construise un rapport de force”, a expliqué Sapin pour qui “c’est parce qu’il y avait un rapport de force que au bout du compte il y a eu un résultat différent de celui que ArcelorMittal avait l’intention de mettre en oeuvre.””

Hollande, Ayrault — et Montebourg lui-même — étaient-ils réellement prêts à recourir à la nationalisation ou s’agissait-il d’un bluff ? Mittal a-t-il réellement fait la moindre concession, lui qui n’a de toutes façons respecté jusqu’ici aucun de ses engagements ? Montebourg est-il le dindon de la farce ou a-t-il servi d’épouvantail ? A-t-il vraiment menacé de démissionner ? A-t-il été “carbonisé” par le premier ministre ? Sert-il d’alibi volontariste à un gouvernement capitulard ou permet-il de faire reculer ne serait-ce qu’un tout petit peu la domination de la finance sur l’industrie ? Autant de questions plus ou moins pertinentes qui agitent évidemment l’ex-presse, laquelle, se faisant, a négligé de remarquer un fait pourtant tout à fait important : depuis la conversion du PS à la religion du marché, on n’avait pas si souvent entendu un hiérarque socialiste — et encore moins un premier ministre — invoquer publiquement le concept de “rapport de force”. Les salariés de Florange auront certes bien du mal à avaler l’idée que le rapport de force ait été favorable à l’Etat dans le cas qui les concerne. Et nul ne saurait leur reprocher de se sentir trahis et abandonnés après que Montebourg leur a fait miroiter l’hypothèse de la nationalisation. Mais quelles que soient les intentions réelles de ce gouvernement social-libéral austéritaire, une chose est sûre : il vient d’employer un langage qui n’était plus, jusqu’ici, employé que par “l’autre gauche”. En termes gramsciens, on peut dire que c’est déjà, en cela, un coup porté à l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie oligarchique qui avait si bien réussi à faire disparaître du langage courant des termes comme “rapport de force” ou “lutte des classes”. On sait depuis Orwell que la novlangue imposée par les dominants permet justement de dissimuler aux dominés la réalité de la domination elle-même, et d’empêcher ainsi la prise de conscience qui permettrait au peuple de renverser la situation. La renaissance du vocabulaire de la révolution est donc le préalable à la possibilité-même de la révolution.

Il reste donc à prendre Ayrault au mot : oui, la société est bien organisée par des rapports de force, et de même que le gouvernement prétend peser face à la finance en agitant son Montebourg, chaque parti, chaque syndicat, chaque collectif de lutte, chaque groupement de citoyens, peut légitimement revendiquer lui aussi le rapport de force pour faire valoir ses intérêts. Qui osera encore prétendre que les grévistes prennent les usagers “en otage”, que les habitants de Notre-Dame des Landes doivent accepter qu’un inutile Ayraultport les spolie, que les citoyens doivent se résigner à l’austérité à perpétuité ? La lutte est légitime, et c’est celui qui a le plus gros Montebourg qui l’emporte. C’est le premier ministre lui-même qui l’a dit. Et avec la mobilisation continue du Front de Gauche et des syndicats (80000 personnes manifestant contre l’Europe austéritaire le 30 septembre dernier), avec le programme “L’humain d’abord”, avec le contre-budget du PG, avec la possibilité d’une majorité alternative sur les bases de l’écosocialisme, le peuple a à sa disposition des instruments bien plus efficaces que ce pauvre Montebourg pour faire en sorte que ce rapport de force lui devienne enfin favorable.

Le rapport de force est donc officiellement de retour dans le champ politique le plus large. Et bientôt, sera-ce le retour de la lutte des classes et de la révolution ? Merci Monsieur Ayrault.

Comment j’ai adhéré au PG : le témoignage de Psychonada

En ce 27 octobre 2012, le Parti de Gauche lance une grande campagne d’adhésion. Nous relayons ici le témoignage du musicien Psychonada.

De la musique libre au Parti de Gauche

Le 14 mars 2012, je mettais en ligne sur le site du label “In cauda venenum” le morceau “Je re-Mélenchon” (parodie du “Louxor j’adore” de Philippe Katerine), que j’avais enregistré sous le nom de Psychonada. J’en faisais aussitôt l’annonce sur le forum du site de musique libre “Dogmazic“, où j’avais mes habitudes, grâce à quoi le morceau fut rediffusé dès le 15 mars par un internaute, sur le blog Mezamashidokei, à partir duquel il fut relayé sur les réseaux Twitter et Facebook. Un autre internaute mit en ligne le 17 mars une vidéo illustrant le morceau (vue plus de 260000 fois sur Youtube et quelques milliers de fois sur d’autres plateformes). Le lendemain eut lieu à Paris la marche jusqu’à la Bastille pour la VIe République. Par la suite, le morceau seul ou la vidéo ont été relayés par différents blogs et même par les grands médias (sites internet de la presse, France-Inter, Canal +). Mais ceux-ci se sont contentés d’accompagner le buzz sans jamais prendre le temps d’enquêter vraiment sur l’auteur de ce détournement ni sur ses intentions. Ils se sont contentés de copier/coller le lien de la musique ou de la vidéo, rigolant, au mieux, du jeu de mots potache, se demandant, au pire, si c’était de l’art ou du Mélenchon. Pour la plupart, néanmoins, le clip était évidemment “un clip du Front de Gauche”. Le Parisien, lui, me voyait “adepte du militantisme en musique”, formule aussitôt recopiée par Le lab d’Europe 1 (à moins que ce ne soit Le Parisien qui ait copié sur Le Lab). Pascale Clark, sur France-Inter, investiga quant à elle du côté de Philippe Katerine, l’auteur du morceau original, pour savoir ce qu’il pensait de ce détournement. Il faut dire que Katerine était l’invité central de son émission et qu’il eût été sans doute dommage de ne pas le faire réagir au sujet du morceau qui avait déjà fait se poiler son collègue Patrick Cohen quelques jours plus tôt. Mais pas un mot sur le pourquoi et le comment de cette parodie.

Pourtant, je n’étais en réalité ni “adepte du militantisme en musique” (tout au plus ai-je parfois produit quelques musiques engagées) ni même, à l’époque, militant du Front de Gauche. Certes, je n’étais pas complètement étranger à l’action politique : m’étant toujours senti foncièrement de gauche, j’avais été proche de milieux libertaires antifascistes et j’avais participé en électron libre à de nombreux mouvements sociaux ainsi qu’à quelques initiatives à vocation subversive. Mais je n’avais jamais été membre d’un parti. A vrai dire, j’avais même encore une image assez péjorative des militants, que j’imaginais bornés, sectaires et sans humour (peut-être un héritage des années de lycée durant lesquelles j’avais pu côtoyer quelques militants de Lutte Ouvrière ?). En cela, j’étais sans doute aussi tributaire de la ringardisation de l’engagement collectif qui a si bien fait les affaires du capitalisme néo-libéral depuis les années 80. Il faut dire aussi qu’entre la trahison sociale-démocrate, le stalinisme pépère, le gauchisme stérile et l’écologie fade, je ne my retrouvais pas. S’il m’arrivait bien de voter pour les uns ou les autres, n’étant pas adepte non plus de “l’abstention révolutionnaire” chère à mes copains anars, il ne me serait pas venu à l’idée de militer. J’avais bien sûr voté “non” à l’Europe des marchés en 2005, ressenti le besoin d’une unité de la gauche anti-libérale en 2007, et trouvé intéressante la constitution de listes “Front de Gauche” en 2009. J’avais lu avec intérêt le livre Qu’ils s’en aillent tous ! de Mélenchon en 2010, même si son image d’ancien apparatchik du PS et son côté républicain tsoin-tsoin n’avaient rien pour me séduire a priori. Mais mon engagement n’allait pas plus loin.

Seulement voilà : de plus en plus lassé de l’individualisme indécrottable auquel je me heurtais notamment dans mes activités musicales (particulièrement au sein du mouvement informe de la “musique libre”, trop imperméable à mon goût à la notion d’intérêt général, et englué dans des querelles byzantines sur les clauses des licences de libre diffusion), je me sentais de plus en plus en résonance avec les thèses développées par Mélenchon dès le tout début de la campagne des présidentielles. Par ses discours, il redonnait de la dignité à un mouvement ouvrier devenu honteux de lui-même et il réhabilitait l’action politique. Je lus donc le programme “L’humain d’abord” et commençai à suivre, notamment par internet, les meetings du Front de Gauche. Au cours de l’année 2011, j’en étais devenu un sympathisant et un électeur très probable, au point de m’inquiéter vaguement de l’obstacle que pourrait peut-être constituer le nom-même du candidat dans le cirque médiatique : “Mélenchon”, c’est un nom dont les sonorités collent un peu à la bouche ; malgré l’étymologie hispanique, il a aussi un côté franchouillard “cornichon-saucisson” qui, associé à une longue carrière de sénateur, évoque plus les banquets de la IIIème République que l’avènement d’une VIème. Je me disais donc qu’il y avait peut-être un contre-pied humoristique à prendre. Je fus marqué aussi de la façon dont les médias dominants s’efforçaient de discréditer systématiquement le candidat du Front de Gauche en l’accusant de populisme et en le comparant à Georges Marchais, manière d’en faire à la fois un épouvantail et un clown. Et je trouvai habile de sa part de reprendre à son compte ces références pour en dégager le contenu subversif et le retourner à l’envoyeur.

Je ne sais plus quand m’est venue l’idée du jeu de mots entre “je remets le son” et “je re-mélenchon” (je ne suis sans doute pas le seul à l’avoir eue, d’ailleurs). Je connaissais et j’aimais bien le tube de Katerine dont j’appréciais le second degré et l’efficacité musicale due à un riff sobre et à une mélodie accrocheuse. A force de me trotter dans la tête, cette idée qui aurait pu aussi bien rester lettre morte s’est concrétisée : puisque j’étais en train de finir par ailleurs un album, je pouvais poursuivre sur ma lancée et m’offrir du même coup une récréation en enregistrant une parodie de “Louxor j’adore” transformée en hymne à Mélenchon. Le morceau de Katerine étant lui-même simple dans sa structure et son arrangement, je choisis de rester dans la même veine, le faisant juste sonner un peu plus rock (peut-être parce que je trouvais que Mélenchon avait un côté punk ?) en remplaçant le synthé par de la guitare et la boîte à rythme par de la batterie. Ce faisant, j’avais l’impression de faire une bonne blague potache qui ferait rire les copains et, peut-être, les quelques auditeurs de l’album à venir, mais je ne pensais pas participer véritablement à la campagne du Front de Gauche. Je n’avais donc absolument pas prévu que le morceau, une fois mis en ligne, se répandrait comme il l’a fait sur internet, et serait considéré comme un acte militant.

Je pris conscience, peu à peu, d’être embarqué par un élan émancipateur qui me dépassait mais dont j’étais pleinement partie prenante néanmoins. Les discours de campagne s’enchaînaient, regonflant d’espoir le peuple de gauche jusqu’ici si divisé, résigné et vaincu. Nous étions de plus en plus nombreux et de plus en plus conscients de notre force. Ma propre histoire politique, pourtant bien distincte de celle de Mélenchon et de ses alliés du PCF, convergeait tout naturellement vers ce moment particulier de l’Histoire que Mélenchon, parmi les candidats en lice, semblait être le seul à avoir compris. La Bastille était effectivement à reprendre, et le moment était venu de dépasser certains clivages obsolètes pour y parvenir. Une synthèse pouvait s’effectuer, au point où nous en étions, entre République et socialisme, mais aussi entre la tradition communiste et la culture libertaire, entre la gauche sociale et l’écologie, entre l’exigence intellectuelle et le souci du peuple, entre le réformisme institutionnel et la nécessaire révolution.

Je n’avais pas attendu les consignes pour laisser à ma parodie “citoyenne” la possibilité de contribuer à la campagne du Front de Gauche. Et, comme en écho, Mélenchon lui-même, dans un spontanéisme inattendu pour un ancien hiérarque du PS, affirmait de meetings en meetings que la consigne était de ne pas attendre les consignes. J’en arrivai donc naturellement à me considérer comme membre de ce Front de Gauche si prometteur. Il ne me restait plus qu’à franchir le cap de l’adhésion. Parmi toutes les organisations membres du FdG, celle qui me semblait avoir eu le rôle le plus moteur dans ce processus, et qui incarnait le mieux la synthèse entre écologie, socialisme et république, était le Parti de Gauche. J’adhérai donc au PG entre les deux tours de la présidentielle, déçu comme bien d’autres d’un score en-deça de nos récentes espérances, mais tout de même convaincu que l’essor de “l’autre gauche” ne faisait que commencer en France. Je rejoignis donc le comité Aubervilliers-Pantin et proposai mes services musicaux à la Télé de Gauche. Je suis à présent un de ces militants tant moqués par les tenants de l’individualisme, et je peux attester que, si je suis heureux de m’acquitter des tâches ordinaires dévolues au militant de base, je ne suis pas pour autant devenu un soldat aveugle au service d’un homme providentiel. Le PG n’est pas du tout, contrairement à ce que laissent entendre certains médias, la garde rapprochée d’un chef autoritaire. C’est au contraire un tout jeune parti au sein duquel chaque membre a une grande liberté d’action et de ton.

A l’heure où une prétendue gauche impose en France l’austérité à perpétuité et se soumet aux diktats des marchés, du patronat et de la technocratie européenne, il est temps de prendre parti.

A bas l’austérité ! Non à la résignation ! Organisez-vous ! Rejoignez le Parti de Gauche !

 

Quand Mélenchon refonde la gauche

En l’espace de quelques minutes d’un discours tenu à la fête de l’Humanité, Jean-Luc Mélenchon, expliquant l’air de rien que la révolution est “nécessairement permanente et continue”, s’est permis de refonder philosophiquement la gauche en établissant des liens raisonnés entre l’humanisme, le communisme, le socialisme, l’écologie politique, le féminisme, la laïcité, la république et la démocratie. Voici une transcription écrite d’un extrait de ce discours dont la vidéo intégrale peut être vue à la fin du présent billet.

“(…) Est en train de naître dans la conscience collective des travailleurs l’impératif écologique comme un des moyens non seulement de répondre à leurs propres difficultés mais à celles de l’humanité toute entière, ce qui signifie que les travailleurs et la classe ouvrière se présentent non seulement comme la classe d’intérêt général quand elle défend les outils de production contre le parasitisme du capitalisme, mais aussi lorsqu’elle défend l’écosystème commun, en proposant de nouvelles manières de produire et de nouvelles productions.

C’est ce qui me permet de vous dire que dorénavant, nous sommes les artisans d’une doctrine nouvelle dont les prémisses ont été rassemblées dans nos batailles (…). C’est que notre Front de Gauche s’approprie une doctrine nouvelle que je résumerai par un mot : l’écosocialisme.

Je voudrais faire le lien entre ce mot et l’adjectif qui est à côté du mot “révolution”. Il y a un mot : “citoyenne”. Pourquoi camarades, est-elle dite “citoyenne” ? Je vais — pour certains, ce sera une répétition, pour d’autres, ils découvriront ce raisonnement — vous montrer en quelques mots l’assemblage des éléments du coeur de la doctrine écosocialiste. L’écologie politique nous a permis de comprendre ce que des fois nous n’avions pas vu dans nos propres textes, peut-être parce que nos textes étaient écrits à une époque où les problèmes étaient moins brûlants, peut-être parce que lorsque Karl Marx décrit la nature comme le corps inorganique de l’homme, lorsqu’il affirme que le capitalisme est une force qui épuise l’homme et la nature, nous ne faisions pas assez attention à la profondeur de ce que cette phrase voulait dire, compte tenu du fait qu’au moment où elle a été rédigée, au fond, l’industrie était naissante et concentrée dans très peu de pays dans le monde, et les logiques du productivisme ne s’appliquaient qu’à une part fort restreinte de l’activité humaine. Mais dorénavant, nous pouvons mieux en comprendre toute la profondeur. L’écologie politique nous a appris qu’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine. Nous ne défendons pas la planète. La planète continuera avec ou sans nous. Nous ne défendons pas la vie. La vie continuera avec ou sans nous les êtres humains. Et vous pouvez imaginer que la belle planète bleue continuera à tourner dans l’espace infini et sans signification avec pour seuls occupants des cafards et des fourmis [NDLR : et Marie-Noëlle Linemann]. Ça ne perturbera en rien les équilibres qui se jouent entre les corps célestes et la trame particulière de l’espace-temps. Nous défendons l’éco-système qui rend notre vie et nos querelles possibles. Par conséquent, s’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine, cela signifie qu’il y a un intérêt général humain. Réfléchissez à cette idée. Elle est déflagratrice. Elle passe comme un coup de tonnerre, comme un éclair dans le ciel. Elle est de la même importance que lorsque fut dit pour la première fois qu’il y avait des droits individuels de la personne, qu’une personne n’était pas un objet dans la société, qu’elle n’était pas simplement un attribut du totem fondateur ; aussi extraordinaire que lorsqu’on a établi qu’une aptitude biologique n’était pas un destin, que ce n’est pas parce que le corps des femmes leur permet d’engendrer des enfants que pour autant leur identité est confondue avec cet engendrement. C’est une idée révolutionnaire. Pas seulement pour les femmes, mais pour les êtres humains tous autant qu’ils sont, qui découvrent tout d’un coup qu’ils existent par leur conscience indépendamment de leur corps, indépendamment de leur conditionnement, indépendamment de toutes les matrices qui les constituent, et qui leur permet de s’élever à cette part de l’humanité absolue, radicalement humaine, qui est dans la gratuité du don de soi aux autres. (…)

Il n’y a qu’un seul écosystème qui rend la vie humaine possible, donc il y a un intérêt général humain. Et s’il y a un intérêt général humain, il est plus important que les intérêts particuliers et il a des droits antérieurs aux intérêts particuliers. Alors, deux doctrines, deux doctrines politiques, sont ausitôt refondées, objectivées. Elles cessent d’être une utopie comme une autre. La première, c’est le communisme, car l’écologie politique, en décrétant qu’il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine dit donc qu’il y a des biens communs à tous les êtres humains et qui ne peuvent pas être utilisés en particulier les uns contre les autres. L’écologie politique refonde le communisme et l’intuition qu’il porte, et nous oblige à penser l’importance des biens communs de l’humanité autour desquels notre action doit s’organiser pour construire une conscience politique d’un type nouveau, qui n’est pas seulement la conscience de classe, mais qui est la conscience d’appartenir à l’humanité universelle comme à un tout. Donc s’il y a un intérêt général, que le communisme est refondé, le socialisme l’est aussi, car cet intérêt général ne peut pas être discerné vraiment et complètement autrement que librement. Vous ne pouvez pas dire ce qui est bon pour tous si vous êtes dominés, si vous avez peur de le dire, si vous êtes hors d’état de le dire. Par conséquent, l’exigence de la définition en commun d’un intérêt général humain exige l’égalité et la similitude entre ceux qui ont à prendre les décisions qui sont à prendre. L’égalité devient une nécessité : de l’intelligence, du collectif, l’éducation, la santé, toutes les questions qui nous permettent d’être en état de contribuer au bien commun. Voilà comment toutes nos doctrines sont refondées par l’écologie politique. Pas sous la forme d’un mille-feuilles, comme le font d’aucuns : une petite couche de socialisme, une petite couche d’écologie, et enfin une petite couche de république, et on touille tout ça… Et voyez mes ailes : je suis un oiseau. Voyez mes pattes : je suis un rat. Et regardez le tout : je suis une chauve-souris. Non, c’est une doctrine cohérente. Mais vous en voyez immédiatement surgir le coeur. C’est que bien sûr cet intérêt général qui doit être défini librement doit donc, dans l’arène où il se définit, être libéré de toutes les contraintes qui dominent les consciences, et notamment le poids des vérités révélées. C’est pourquoi toutes nos institutions sont nécessairement laïques, non pas pour faire offense à la foi, mais pour permettre que la discussion puisse avoir lieu sur la base d’arguments qui s’opposent les uns aux autres, et où, à la fin, on tranche par un vote qui ne forme pas autre chose qu’une décision, pas une conviction. Quand vous avez voté, vous vous inclinez devant la décision prise mais vous ne changez pas d’avis forcément. Voilà comment ces choses s’emboîtent. Et c’est là que surgît le concept républicain. Car ce qui est demandé à chacun, ce n’est pas de dire ce qui est bon pour lui, ou pour elle, c’est de dire ce qui est bon pour tous. Si l’enjeu de la discussion révolutionnaire est de dire ce qui est bon pour tous, nous sommes obligés de nous arracher tous à nos humus, à nos déterminations, aux injonctions qui nous sont faites par notre situation particulière, pour penser le bien commun. Alors, quel est cet état particulier, quel est le nom que l’on donne à ce moment où l’on cesse d’être seulement préoccupé de soi pour être préoccupé de tous ? Et bien cela porte un nom : dans des institutions libres, c’est le citoyen, camarades. C’est pourquoi notre révolution est citoyenne. Elle est citoyenne parce qu’elle nous indique que son objectif est le bien commun, et non pas le bien particulier. Elle est citoyenne parce qu’elle nous indique que le moyen pour parvenir à ce bien commun, c’est la démocratie politique et la république.

Et au passage, ça nous permet, compte tenu de la profondeur même de l’analyse qui nous conduit à ces conclusions de dire que, pour nous, la liberté et la démocratie, le pluralisme politique, ce n’est pas une concession que nous faisons au capitalisme, ça n’est pas quelque chose dont nous voulons bien entendre parler comme une espèce de moindre mal. Non, c’est la condition même de l’existence de la révolution citoyenne. Nous en avons besoin, de la liberté. Nous avons besoin de points de vue contraires qui s’expriment dans la société pour construire cette conscience civique. (…)”


J.-L. Mélenchon – Discours Fête de l'Huma par lepartidegauche

Adresse aux camarades qui veulent bouder la manifestation du 30 septembre 2012

A l’appel du Front de Gauche, mais aussi d’autres partis, organisations, syndicats et associations, une manifestation unitaire aura lieu le 30 septembre 2012 à Paris (départ 13h30 place de la Nation) contre le TSCG (le traité “Merkozy” qui impose à toute l’Europe l’austérité et la soumission à la finance). Si certaines organisations appellent à manifester simplement “contre” le traité, le Front de Gauche, lui, exige un referendum qui pourrait permettre au peuple, comme en 2005, de se prononcer (le Front de Gauche, dans une telle éventualité, militerait bien évidemment pour le “non”).

Bien que cette manifestation soit l’occasion d’un très large rassemblement de la gauche, certains arguments sont émis ça et là par des camarades sensibles aux sirènes sociales-démocrates ou gauchistes pour en contester le bien fondé ou l’utilité. Il convient d’examiner ces arguments et d’y répondre.

1) Le candidat Hollande avait promis de “renégocier” ce traité. Selon les dirigeants du PS et les ministres du gouvernement Ayrault, il aurait respecté cette promesse, et il n’y aurait donc pas matière à s’opposer à l’adoption du traité par le parlement. Interrogé le 26 août par BFMTV, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et naguère chantre éphémère de la “démondialisation” et du protectionnisme européen, a estimé qu’il est « impossible de voter contre » le traité budgétaire européen qui sera soumis au Parlement en octobre, car il constitue « un progrès considérable » dans « le combat pour la croissance » en Europe. Il a argué notamment de l’ajout d’ « un paquet croissance de 120 milliards d’euros » pour « rééquilibrer les mesures de rétablissement des comptes publics ». Or, même un élu EELV comme Jacques Boutault reconnaît que “François Hollande n’a fait que rajouter, en annexe, un pacte de croissance de 120 milliards d’euros, dont 60 milliards redéployés à partir de fonds déjà votés et 60 autres milliards de nouveaux prêts qui restent à trouver. Mais une annexe n’est pas une renégociation et ne remet pas en cause la logique du traité dont le cœur consiste à renforcer les contraintes budgétaires des Etats en leur interdisant – sous peine d’amende –  un déficit structurel supérieur à 0,5% de leur PIB.” Le traité élaboré par Merkel et Sarkozy n’a donc pas le moins du monde été renégocié. Il fait toujours passer les Etats de la zone euro sous la dictature austéritaire de la Commission européenne et de la BCE.

2) Dans ce qui reste de l’aile gauche du PS, des voix s’élèvent malgré tout contre la ratification du TSCG. Ainsi, la sénatrice Marie-Noëlle Linemann a déclaré qu’elle voterait contre. Mais elle n’envisage pas pour autant de participer à la manifestation du 30 septembre, sous prétexte de ne pas “tendre les deux pôles de la gauche, une qui gère et une qui proteste”. En fait, cette déclaration montre bien, ce qui est assez triste, que seule son appartenance au PS empêche Marie-Noëlle Linemann de se joindre à cette manifestation. Car la tension n’est d’ores et déjà plus entre deux pôles de gauche, mais entre un gouvernement de capitulation appliquant l’austérité de droite d’un côté, et de l’autre “la gauche qui proteste”, certes, mais qui est tout à fait prête à “gérer” munie d’un vrai programme de gauche : “L’humain d’abord“. Les militants de l’aile gauche du PS qui n’ont pas encore rallié l’aile droite en échange de postes sont désormais ultra-minoritaires au sein de leur parti, soigneusement verrouillé par Hollande, Ayrault et Aubry. Ils n’ont plus la moindre chance d’y faire valoir une autre ligne que celle qui a valu en Grèce à Papandréou le succès que l’on sait. La seule attitude cohérente pour les membres du PS qui se considèrent encore de gauche est de rejoindre la manifestation unitaire du 30 septembre.

3) En 2005, le peuple français avait voté “non” lors du referendum sur la constitution européenne. Pourtant, les principales clauses de cette constitution sont passées tout de même avec le traité de Lisbonne ratifié sous la présidence de Sarkozy. Du coup, nombre de citoyens se demandent quelle serait l’utilité d’un referendum aujourd’hui, partant du principe qu’un “non” du peuple n’aurait pas plus de chance d’être respecté en 2012 qu’en 2005. Certains même trouvent inutile de manifester pour exiger un referendum car, Hollande étant décidé à faire ratifier le texte par le Parlement (où il dispose de la majorité dans les deux chambres), il n’y aurait aucune chance pour qu’il cède à la pression de la rue. C’est un raisonnement défaitiste qui ne peut pousser qu’à la passivité du peuple, et c’est précisément sur cela que misent le gouvernement, la Commission européenne et les marchés. Le non-respect du vote populaire de 2005 est effectivement un déni de démocratie, ainsi que la casse des retraites en 2010 malgré les milliers de personnes qui ont manifesté pendant des mois pour s’y opposer. Mais c’est justement pourquoi il faut continuer à établir le rapport de force pour obtenir aujourd’hui ou demain ce que nous n’avons pas réussi à obtenir hier. C’est aussi la prise de conscience de ce déni de démocratie qui a permis d’obtenir en 2012 la courte défaite de Sarkozy et la percée des idées défendues par le Front de Gauche dans l’opinion. Il faut enfoncer encore le clou. Même si nous sommes des milliers dans la rue, nous n’obtiendrons peut-être pas satisfaction cette fois-ci, mais nous montrerons notre force et nos idées progresseront encore auprès du peuple au fur et à mesure que l’incapacité de Hollande d’apporter le moindre remède à la crise apparaîtra au grand jour. Et si nous sommes des centaines de milliers puis peut-être des millions, nous deviendrons incontournables et montrerons l’exemple aux autres peuples européens. Si le traité est malgré tout ratifié, il n’aura aucune légitimité et nous n’en serons que mieux fondés à réclamer son abrogation. Si au contraire nous renonçons à nous battre sous prétexte que le combat est perdu d’avance, nous sommes sûrs de réaliser nous-mêmes la prophétie de nos défaites. “Camarades, vous ne savez jamais quel sera le destin d’une lutte, et celui qui la préfigure à l’avance n’est pas des nôtres !” affirmait avec force Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière fête de l’Humanité.

4) D’après certains militants gardiens auto-proclamés de la pureté révolutionnaire, tels ceux de LO, la lutte contre le TSCG serait celle “qui gêne le moins le gouvernement : les premiers visés sont l’Europe et Merkel, et l’attention des travailleurs est ainsi détournée vers un faux combat”. On peut s’étonner que des militants qui se disent internationalistes ne voient pas que le combat contre l’austérité en Europe voulue notamment par les rentiers allemands est un combat pour les travailleurs français mais aussi pour les travailleurs allemands, grecs, italiens, espagnols, portugais, etc. LO, fidèle à sa stratégie de dénigrement systématique du Front de Gauche, ne recule devant aucune falsification pour faire croire que le combat du Front de Gauche n’est pas un combat social, et serait même un combat nationaliste, ce qui est un contre-sens et une calomnie (sans doute destinée à faire l’amalgame entre ce front-là et le FN). Le TSCG est bel et bien un instrument qui permettra une domination renforcée du Capital. Il est de l’intérêt de tous les travailleurs européens de lutter contre. C’est un vrai combat. Et ceux qui, comme LO, croient qu’un tel combat se mène au détriment des autres se comportent en spectateurs passifs d’un inepte zapping politique et social : ils confondent la lutte et leur canapé devant la télé. La manifestation du 30 septembre, contrairement à ce qu’affirme LO, ne se fera pas “au lieu de proposer aux travailleurs des objectifs pour défendre leur emploi et leur salaire”. Lors de la fête de l’Huma, Jean-Luc Mélenchon rappelait encore : “il faut le travail politique de conscientisation, d’élévation du niveau de la conscience, qui ne s’est jamais acquis autrement que par la discussion, le débat, l’éducation politique, et par la lutte, la lutte, la lutte ! Ne rien lâcher, ne rien céder ! Usine par usine, école par école, entreprise par entreprise ! Ne laissez pas une seule usine être vidée de ses machines, ne laissez pas une seule salle de classe être fermée !” Non seulement le TSCG aura bien évidemment des conséquences désastreuses sur l’emploi et les salaires, mais surtout la lutte contre le TSCG n’empêche en rien de lutter sur d’autres fronts, par exemple auprès des salariés de Pétroplus ou de Sodimédical et partout ailleurs dans les entreprises, petites ou grandes, ou dans les services publics ; par exemple en réclamant le vote par le parlement de la loi interdisant les licenciements boursiers déjà proposée en février 2012 au sénat par un sénateur communiste et rejetée de justesse malgré le vote favorable des socialistes qui ont dû oublier depuis qu’ils avaient un jour eu tant d’audace… Les militants du Front de Gauche sont présents aussi dans les mouvements sociaux, à travers leurs syndicats notamment. Manifester contre le traité n’empêche en rien les autres luttes. Ce traité, LO prétend que “c’est un chiffon de papier car aucun gouvernement n’a attendu ce traité pour imposer l’austérité aux travailleurs et ce n’est pas ce traité qui oblige les patrons à licencier, à bloquer les salaires et à aggraver l’exploitation”. Mais ce “chiffon de papier” va pourtant bien permettre aux patrons de continuer leur sale besogne dans un cadre qui leur sera encore plus favorable, et les travailleurs encore plus affaiblis et fragilisés seront les principales victimes de ce coup d’Etat. Une fois encore, LO et ceux qui sont sur la même ligne adoptent la stratégie du pire, attendant que le prolétariat réagisse enfin lorsqu’il n’en pourra vraiment plus. On voit pourtant en Grèce qui profite de la ruine du pays et du désespoir : les néo-nazis.

Le peuple de gauche composé de l’ensemble des travailleurs conscientisés n’a aucun intérêt à la passivité et au pourrissement. Il ne se renforcera qu’au fil des luttes, rassemblant un nombre toujours plus large de participants conscients de leurs intérêts de classe. La manifestation unitaire du 30 septembre contre le TSCG en est une étape.

Où sont les armes ?

Depuis quelque temps, des militants de LO, des anarchistes purs et durs, des révolutionnaires convaincus, me bassinent avec la révolution armée par opposition au réformisme tiède qui serait celui du Front de Gauche.

De mon côté, je veux bien que le prolétariat en armes abolisse le capitalisme et détruise l’Etat bourgeois, encore que je préfère autant que possible éviter le bain de sang. Mais quand je vois ces braves révolutionnaires mépriser toutes les revendications sociales du front de Gauche et toute tentative de s’emparer du pouvoir par les urnes, j’ai envie de leur demander : “où sont les armes ?”

J’attends toujours la réponse. Pour patienter, j’ai décidé de continuer à oeuvrer au sein du Front de Gauche, histoire de ne pas rester les bras ballants. Les armes finiront peut-être par arriver.

Aux armes, etc.
Aux armes, etc.

Lettre ouverte à un camarade de LO

Mon dernier billet, qui ironisait sans trop de délicatesse sur les accusations portées de façon récurrente par Lutte Ouvrière contre le Front de Gauche et contre Jean-Luc Mélenchon, a suscité un intéressant commentaire de Recriweb, militant de LO avec qui j’ai déjà eu l’occasion de débattre brièvement (nombre limité de caractères oblige) sur Twitter. Ce commentaire, par la densité de son argumentation, me semble soulever des questions de fond sur la gauche, sur mon propre parcours politique, et sur ce qui oppose une organisation comme LO à celle à laquelle j’appartiens aujourd’hui : le Parti de Gauche. Cela m’a donné envie de répondre, non par un commentaire du commentaire, mais par une lettre ouverte qui pourrait contribuer, à sa manière, au débat interne à gauche.

Camarade,

“Il est bon”, disais-tu le 24 août dernier en réponse à mon billet intitulé “LO nous brouille l’écoute“, “de ne pas supprimer les cloisons ou de taire nos divergences”. Encore faut-il être clair sur la nature réelle de ces divergences, ce qui implique d’examiner sans anathème ni procès en sorcellerie les objectifs et les stratégies de nos organisations respectives. L’occasion m’est donnée, en rectifiant quelques falsifications ou en dissipant certains malentendus, de faire cet effort de clarté.

LO n’est pas propriétaire du marxisme et du trotskysme.

Je n’ai pas, contrairement à ce que tu affirmes, “qualifié le marxisme et le trotskysme d’appareillage théorique pauvre”. J’ai écrit que certains partis, dont LO, émettaient des signaux politiques de faible qualité (lo-fi), peut-être (entre autres hypothèses) “par pauvreté de leur appareillage théorique”. Mon propos visait évidemment LO, certes, mais certainement pas “le marxisme”, ni même “le trotskysme”, dont LO n’a pas le monopole (même si LO est peut-être la dernière organisation en France à s’affirmer ouvertement, totalement et exclusivement trotskyste). Il existe en effet bien d’autres groupes qui se réclament du marxisme, décliné dans un de ses héritages, qu’il soit social-démocrate, jauressien, conseilliste, léniniste, trotskyste, stalinien, maoïste, situationniste… – cités ici sans jugement de valeur – chacun pouvant éventuellement se targuer, tout autant que LO, d’un certain légitimisme ès marxisme.

Par exemple, le POI (Parti Ouvrier Indépendant), comporte un courant trotskyste lambertiste et s’inscrit dans la lutte des classes, même s’il comporte aussi des courants non-trotskystes. A l’intérieur du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), la composante trotskyste issue de la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire, avec qui LO a plusieurs fois fait alliance, d’ailleurs) garde un rôle décisif. Gauche Unitaire, organisation issue elle aussi de la LCR trotskyste, mais membre du Front de Gauche (coupable de “réformisme” selon LO), prône un “socialisme démocratique”, et ses statuts précisent que la “rupture nécessaire” avec le capitalisme “ne se fera probablement pas selon le schéma d’une généralisation des luttes conduisant à un unique et bref affrontement avec le pouvoir central” (donc pas par une unique révolution) mais “sur un double processus de mobilisations sociales prolongées et de consultations populaires” (donc pas par la seule réforme gouvernementale ou parlementaire).

J’en profite pour dire en aparté que je souscris tout à fait à cette idée de “double processus” qui rend à mes yeux caduque la traditionnelle opposition entre révolutionnaires et réformistes. Les élections sont un des moyens légaux de faire de la propagande (ce dont LO ne se prive pas), de peser dans les rapports de force (ce que LO néglige, à mon humble avis) et de déposséder la bourgeoisie de tout ou partie de l’appareil d’Etat (ce que LO refuse sous prétexte qu’il n’y aurait rien à gagner à s’emparer d’un Etat, qualifié de “bourgeois”, qu’il faut précisément détruire — je reviendrai plus loin sur cette question).

Je citerai enfin le cas pittoresque du PCOF (Parti Communiste des Ouvriers de France), qui n’est assurément pas trotskyste du tout, mais qui se considère comme authentiquement marxiste-léniniste (prônant toujours explicitement la dictature du prolétariat) et n’en adhère pas moins au Front de Gauche que LO trouve si peu révolutionnaire. Comme quoi la lutte des classes, la révolution, le marxisme, et même le trotskysme, ne sont pas la propriété d’une seule et unique organisation. “La propriété, c’est le vol”, disait Proudhon. Le contresens que tu fais, camarade Recriweb, me semble symptomatique d’une tendance de LO à se considérer comme propriétaire du marxisme et du trotskysme, ce qui revient à dénier aux autres le droit de s’en réclamer, ou même de faire un usage non-exclusif de certaines thèses de Marx ou Trotsky (quelques années de militantisme en faveur des cultures libres et contre les abus du Code de la Propriété Intellectuelle m’ont aussi sensibilisé à cette question). Je dois avouer d’ailleurs qu’au Front de Gauche, nous sombrons parfois dans le même travers en nous présentant comme les seuls propriétaires légitimes de la vraie gauche, ce qui n’est pas la manière la plus habile de dénoncer les politiques antisociales menées par un PS qui, pour beaucoup d’ouvriers notamment, est toujours considéré comme “à gauche”.

On est toujours le social-traître, le stalinien, ou le gauchiste infantile de quelqu’un. Quant à moi, si j’ai rejoint le PG, c’est notamment parce qu’il fait figure de parti “creuset” de la gauche où s’amalgament les traditions républicaine, socialiste et écologiste. J’y ai trouvé des gens venus d’autres partis (PS, PC, MRC, FASE, Les Verts, NPA) mais aussi des gens venus comme moi de la mouvance libertaire et/ou du syndicalisme. Avec le Front de Gauche, nous sommes en train de concrétiser ce que le NPA ou le POI, peut-être d’avantage marqués par le trotskysme, ont eux aussi ambitionné (mais avec moins de succès) : dépasser les clivages qui ont rendu la gauche impuissante, et créer une force radicale au service de ce que les uns et les autres, selon leur “tradition” (libertaire, marxiste, républicaine), appellent “le prolétariat”, “les ouvriers”, “les travailleurs”, “la plèbe”, “le peuple”, voire “la nation”. Bien sûr, tous ceux qui militent pour rendre au peuple (au prolétariat… etc.) le pouvoir confisqué par le Capital n’ont pas forcément envie de fondre leurs traditions politiques respectives (qu’elles soient réformistes, révolutionnaires, ou même qu’elles aient dépassé ce clivage) dans un parti, fût-il creuset, tel le Parti de Gauche. Et c’est bien là le rôle du Front de Gauche (qui n’est pas un parti mais qui est déjà plus qu’une simple alliance électorale de circonstance) : offrir un cadre commun de lutte à des organisations et à des militants non-encartés qui conservent chacun leur identité propre.

C’est sans doute une cause de fréquents malentendus entre nos partis respectifs, camarade Recriweb : tu affirmes que “les révolutionnaires ne sont armés que de la théorie de Marx et de la méthode révolutionnaire de Lénine” ; nous pensons au contraire qu’il ne faut pas considérer Marx et Lénine (ou Trotsky) comme les prophètes définitifs de la vraie foi, et que nous pouvons aussi bien en rejeter certaines thèses (personnellement, je n’ai jamais adhéré à l’autoritarisme de la dictature du prolétariat, par exemple) et puiser chez d’autres auteurs ou acteurs de révolutions passées des thèses et des méthodes d’action. Au Front de Gauche, on ne s’interdit pas les références à des personnages aussi variés (et parfois opposés) que Robespierre, Babeuf, Proudhon, Bakounine, Jaurès, Rosa Luxembourg, Gramsci, Debord, Chomsky, Lordon, et j’en passe. On dirait que pour LO, tout ce qui n’est pas exclusivement marxiste-léniniste version trotskyste selon la norme de LO est rangé dans la catégorie “aile gauche de la bourgeoisie”, ce qui condamne LO à rester un groupuscule persuadé d’avoir raison contre tous mais échouant depuis des décennies avec une touchante constance à armer intellectuellement et concrètement la classe ouvrière. Voilà ce que j’appelle “appareillage théorique pauvre”. Nous autres, au Front de Gauche, nous savons que nos organisations respectives ne sont pas objectivement en mesure, chacune de leur côté, d’armer la classe ouvrière, ni de mener des luttes sociales victorieuses, ni de conquérir légalement le pouvoir. Dans tous les cas, il nous faut donc construire un rassemblement plus large qui permette de surmonter sans les édulcorer les dissensions traditionnelles de la gauche. Ce n’est pas gagné, et je crois que certains des initiateurs de ce qui ne devait être au départ qu’une alliance électorale sont les premiers surpris de la dynamique spontanée du Front de Gauche… Mais ça marche ! Pourquoi ? On peut analyser les parcours et les évolutions de chacun, l’habileté des uns ou des autres… Je crois que la nécessité historique y est pour beaucoup.

 

Réforme ou révolution ? Ni l’une ni l’autre, l’une et l’autre… Tout dépend du contexte.

J’ai dit moi-même que je venais de l’anarchisme. Tu me qualifies donc “d’ex-anarchiste enrôlé désormais dans la gauche parlementaire”, ce qui rendrait “inévitable” que je me décrédibilise en qualifiant abusivement “le marxisme et le trotskysme” “d’appareillage théorique pauvre”. Je viens de montrer sur ce dernier point en quoi ta réaction contenait une falsification de mes propos. Mais je peux comprendre qu’un militant de LO convaincu d’être membre de la seule organisation authentiquement révolutionnaire, marxiste et trotskyste trouve peu crédible le parcours de quelqu’un passé de “l’anarchisme” (révolutionnaire mais pas marxiste) à “la gauche parlementaire” (donc au réformisme tant décrié par LO). Or, il est possible de voir les choses d’une toute autre façon. Tout d’abord, en adhérant au Parti de Gauche, je n’ai pas tiré un trait définitif sur les idées communistes libertaires qui furent les miennes. La presse bourgeoise aura beau marteler des accusations d’autoritarisme contre Mélenchon (vilipendé pour avoir passé ses vacances chez Chavez, mais aussi parfois carrément comparé à Staline ou à Pol-Pot !), j’ai trouvé dans le parti qu’il co-préside une énorme liberté d’initiative, une pratique assez courante de l’autogestion, et j’ai pu aussi constater que je n’étais pas le seul militant ayant tendance à mêler le noir de l’anarchie au rouge du socialisme. Lorsque Mélenchon appelle le peuple à prendre le pouvoir et donne comme consigne “n’attendez pas les consignes”, on peut se demander si c’est moi qui suis un ex-anarchiste rallié à la gauche parlementaire ou si c’est lui, l’ex-trotskyste ex-sénateur et ministre socialiste, qui ne serait pas en train de mettre un peu d’anarchie dans sa République. Pour ma part, je reste et je demeure partisan d’un collectivisme non-autoritaire et de tout ce qui peut contribuer à l’émancipation politique, économique, sociale et culturelle de l’être humain. Pour cela, je suis prêt à utiliser tous les moyens même légaux. Mais la participation à des élections et aux débats parlementaires ne sont pas une fin en soi : le but reste bel et bien d’abolir la domination de l’homme par l’homme et la société de classes. Le programme du Front de Gauche, qui n’est certes pas un programme révolutionnaire, mais est un programme radical et concret de gouvernement applicable immédiatement, est une première étape, dans le contexte des forces réellement en présence, contexte dans lequel, tu le reconnais toi-même, le prolétariat n’a ni la conscience ni les armes qui lui permettraient d’abolir l’Etat bourgeois. Même dans le cadre limité qu’offre le programme “l’humain d’abord”, il manque d’ailleurs selon moi des éléments de radicalité concrète qui auraient pu s’y trouver (je pense au revenu universel de vie, par exemple), mais c’est déjà un bon compromis et nous avons devant nous une réelle occasion d’opérer avec les assemblées citoyennes, les luttes sociales, et une victoire électorale désormais à portée de main, un véritable début de révolution citoyenne. Prôner cette voie nous situe bien dans la gauche radicale et non dans l’extrême-gauche révolutionnaire, quoi qu’en disent les médias bourgeois effrayés par le rouge de nos drapeaux. Mais cette révolution citoyenne est bel et bien un instrument de lutte contre la domination du Capital et ne nous range en rien dans le camp de la bourgeoisie, quoi qu’en disent les trotskystes gardiens de la vraie foi révolutionnaire.

Le Front de Gauche, par la force des choses au moins, n’est pas réductible à “la gauche parlementaire”, pour la bonne raison qu’il a très peu de députés et de sénateurs (presque tous issus du seul PCF) et ne peut donc peser qu’à la marge dans le débat parlementaire. En se lançant dans la bataille sociale et en militant pour un referendum sur le TSCG, le Front de Gauche agit même objectivement d’ores et déjà dans un cadre plus extra-parlementaire que parlementaire. Par ailleurs, certains militants du Front de Gauche sont tout à fait prêts, je pense, si le contexte devenait réellement révolutionnaire, à oeuvrer au sein de conseils ouvriers à l’expropriation des capitalistes.

 

L’Etat bourgeois n’est pas bourgeois par nature.

Tu commets une autre falsification en disant : “Fidèle en cela au réformisme, tu imagines l’Etat bourgeois s’auto-détruire par une réforme profonde de l’Etat et de la propriété”. Il n’en est rien. Si j’accepte aujourd’hui la voie que tu appelles réformiste (encore que je récuse la validité de ce terme), c’est parce qu’elle me semble être une des manières les plus propres (dans le contexte actuel) à renforcer nos positions dans notre opposition au Capital. Il ne s’agit absolument pas d’attendre que l’Etat bourgeois s’auto-détruise, mais bel et bien de le plier à nos fins. J’ai pensé autrefois, fidèle en cela à l’anarchisme (et non au “réformisme”), que l’Etat, qu’il soit bourgeois ou qu’il prétende être ouvrier (cela ne faisait pour moi aucune différence), devait être détruit, que tout Etat était synonyme de domination bureaucratique. Aujourd’hui, je pense que c’est l’individualisme libertarien qui gangrène la société, bien plus que l’Etat, fût-il bourgeois. J’en suis arrivé à la conclusion que la priorité ne doit plus être la destruction de l’Etat mais la reconstruction des capacités d’action collective. La destruction immédiate de l’Etat bourgeois était sans doute souhaitable à l’époque où la conscience de classe et la capacité d’auto-organisation collective étaient croissantes dans le prolétariat, mais elle ne l’est plus maintenant que le capitalisme a réussi à atomiser la société en kyrielles d’individus passifs et isolés. L’Etat, même bourgeois, demeure en certains de ses aspects un des derniers remparts contre la domination totale et absolue du Capital. Cet Etat est ambivalent : bien que bras armé de la domination capitaliste, il est aussi dans sa structure actuelle le fruit des luttes sociales des deux derniers siècles. Il n’est pas qu’un tissu de procédures et d’hommes au service du Capital, il est aussi un ensemble de lois conquises par les ouvriers, de fonctionnaires au service de l’intérêt général, qui soignent, éduquent, protègent, transportent, relient en dépit même des obstacles posés par leur propre hiérarchie. C’est sur cet aspect-là de l’Etat qu’un pouvoir de gauche devra s’appuyer, pour mieux lutter contre les forces qui, à l’intérieur de l’appareil d’Etat, sont soumises au Capital. La “réforme profonde de l’Etat et de la propriété” contribuera également à rendre au peuple le pouvoir confisqué par le Capital.

Nous ne nous attendons évidemment pas à ce que cela se passe sans résistance de la part du Capital et de la partie de l’appareil d’Etat qui lui est acquise. Oui, la bourgeoisie se défendra, bien sûr. Mais il ne faut pas pour autant rester tétanisé comme un lapin devant la lumière des phares par les exemples passés de répression sanglante contre le peuple et des gouvernements de gauche ayant réellement essayé de combattre le Capital. Le risque existe toujours, bien sûr, et il convient de le déjouer dans la mesure du possible, mais en aucun cas ce risque ne doit devenir prétexte à l’inaction. Et puis, s’il faut se fonder sur des exemples, les révolutions citoyennes sud-américaines de la dernière décennie montrent bien, même si elles ont leurs limites, que dans le contexte actuel d’affaiblissement de la puissance américaine, des mouvements de gauche radicale forts du soutien populaire peuvent conquérir le pouvoir, transformer l’Etat et l’utiliser pour redistribuer les richesses, pour affaiblir la domination du Capital… sans finir inévitablement comme Allende. En France et en Europe, la paupérisation des classes moyennes fait que toute une partie de la petite bourgeoisie, y compris celle qui pourrait avoir un rôle à jouer au sein de l’appareil d’Etat dans une répression contre-révolutionnaire, a désormais intérêt à s’allier au prolétariat conscientisé contre l’oligarchie… à moins qu’elle ne succombe à la séduction des chiens de garde du capitalisme que sont les mouvements néo-nazis, fascistes, et autres lepénistes. C’est là tout l’enjeu de la stratégie Front contre Front de Mélenchon. Et cet enjeu dépasse de loin le cadre de l’Etat-Nation. Il y a aujourd’hui une convergence internationale des luttes contre le capitalisme et ses hommes de main fascistes. Différents fronts de gauche se sont constitués, chacun à leur rythme, avec plus ou moins de difficultés, voire d’échecs, mais aussi des réussites.

 

Le Front de Gauche est-il dans la majorité ou dans l’opposition à Hollande ?

Voilà la question qui obsède décidément les médias, mais aussi LO ! A quoi cela sert-il d’étudier Marx, Lénine et Trotsky si c’est pour penser comme Jean-Michel Apathie ? Il faudra qu’on m’explique. Mélenchon aura beau répondre inlassablement qu’il est dans “l’autonomie conquérante”, refusant d’être dans l’opposition aux côtés de la droite et refusant tout autant de soutenir la politique austéritaire de la majorité formée par le PS et ses vassaux, rien n’y fait. Du côté des médias, rien d’étonnant, il faut alimenter le spectacle en termes simplistes et jouer à essayer de faire dire aux politiciens ce qu’ils font mine de ne pas vouloir dire. On ira même faire de Mélenchon le “meilleur opposant” (sondage à l’appui) à Hollande, en lui reprochant néanmoins “d’éructer” ou de “vociférer” (ce qui relève bien, ne t’en déplaise, camarade, du même champ sémantique que le ton “tonitruant” évoqué par Paul Sorel pour Lutte Ouvrière), afin de mieux souligner son “impatience” et son “intransigeance”, qu’on se fera un devoir d’opposer (pour le plus grand plaisir de l’Elysée) à un PCF supposé plus doux. Quant à toi, camarade trotskyste, tu as décidé de ton côté que Mélenchon était “dans la majorité” et même le “revendiquait”. C’est évidemment faux, mais LO veut tellement que Mélenchon soit dans le camp de Hollande, pour mieux pouvoir le ranger dans le camp de la bourgeoisie, que la réalité des discours n’a plus aucune importance. Mélenchon affirme-t-il que le Front de Gauche est prêt à gouverner ? Tu en déduis qu’il veut gouverner avec Hollande, ce qui est pourtant impensable : non seulement Mélenchon a de longue date déclaré qu’il refuserait tout maroquin, mais le PCF, qui était peut-être le plus susceptible de céder aux sirènes du PS a lui aussi refusé (malgré les prophéties contraires des médias) d’aller au gouvernement ; avec “l’autonomie conquérante”, Mélenchon a explicitement annoncé que l’objectif stratégique était de ravir le leadership à gauche au PS — c’est dire que si un jour Hollande appelle Mélenchon à Matignon, ce sera parce que celui-ci aura conquis la majorité, soit par un ralliement (peu probable) de nombreux députés PS au Front de Gauche, soit par une victoire du Front de Gauche à des élections anticipées. Que Mélenchon puisse se penser en possible remplaçant d’Ayrault (et même de Hollande), voilà qui n’a rien d’extraordinaire de la part d’un homme qui s’est présenté à l’élection présidentielle. Mais pourquoi diable, camarade, en déduis-tu que ce serait pour gouverner, comme le PS et avec le PS, “l’Etat de la bourgeoisie” plutôt que pour mettre en marche la révolution citoyenne pour laquelle il aura été élu ? Parce que les “politiciens” racontent toujours des “fables”, peut-être ? Moi je veux bien, mais fidèle en cela à mon anarchisme viscéral, je mets les “politiciens” de LO dans le même sac. Pourquoi les ouvriers devraient-ils les croire, eux, plutôt que Mélenchon ? Peut-être pour une raison tout à fait objective : si Mélenchon arrive un jour au pouvoir, ce sera à la faveur d’un vaste mouvement social et porté par une alliance de partis différents, tous exigeants et rompus à la critique (contrairement aux vassaux actuels du PS) : il sera sous haute surveillance. Mais en l’état actuel des choses, si LO “renverse” un jour “l’Etat bourgeois” à la faveur d’une révolution prolétarienne (ce qui est bien moins probable qu’une victoire du FdG), ce sera par un coup de force solitaire. Arrivera-t-il alors aux révolutionnaires non soumis à l’orthodoxie de LO la même chose qu’aux Menchéviks, SR et anarchistes de jadis (couic) ? La révolution citoyenne n’est certes pas une révolution prolétarienne, tout simplement parce que le prolétariat n’est plus celui du XIXe siècle. Il n’a pas disparu, contrairement à ce qu’ont longtemps affirmé les médias, mais il a changé : il pèse moins en nombre et en capacité d’organisation collective, il n’a plus dans la société la même place incontournable dans la production de richesses, et il ne peut plus avoir, à lui seul, le rôle révolutionnaire que Marx lui avait assigné. Mais il existe aux côtés du prolétariat une petite-bourgeoisie plus ou moins prolétarisée, souvent intellectuelle, et qui est mûre désormais pour trahir sa classe. Je pense, comme François Ruffin (dans le numéro 55 de Fakir), que c’est l’alliance des ouvriers les plus conscients et de ceux qu’on a souvent moqués sous le terme de “bobos” qui peut aujourd’hui accomplir la révolution citoyenne contre l’oligarchie.

Les divergences entre LO et le Front de Gauche sont réelles et profondes. La stratégie solitaire de LO, à mon sens, est une impasse, qui joue la politique du pire dans l’espoir que cela donne envie aux ouvriers de faire la révolution, et s’il est vrai que le combat anticapitaliste ne passe pas obligatoirement par une adhésion au Front de Gauche, je trouve décidément très obtus le discours consistant à falsifier systématiquement nos propos pour mieux nous qualifier de valets de la bourgeoisie. Néanmoins, j’espère effectivement, camarade, qu’on se retrouvera dans les luttes. Si le sort me place un peu devant, je ne pourrai néanmoins pas m’empêcher de me retourner parfois avec appréhension : un coup de couteau dans le dos est si vite arrivé.

 

LO nous brouille l’écoute

En politique comme en acoustique, il y a la hi-fi (high fidelity) : là où un appareillage hi-fi tend à restituer un son très proche du signal d’origine en se fondant sur les caractéristiques de l’oreille humaine (perception d’une plage de fréquences de 20 Hz à 20k Hz), un mouvement politique hi-fi émet des idées et des propositions en utilisant le plus large spectre de concepts perceptibles par une intelligence humaine (non limitée par un abrutissement prolongé devant un écran de télévision). Le Parti de Gauche entre à mon avis dans cette catégorie.

Mais il y a aussi des appareillages lo-fi (low fidelity) ne restituant que partiellement les fréquences sonores, avec des effets de saturation ou de distorsion dans certaines fréquences. De même, en politique, il existe des partis lo-fi qui crachouillent en boucle des idées monophoniques (voire monomaniaques), soit par pauvreté de leur appareillage théorique, soit par usure dans la pratique, soit encore par volonté délibérée de toucher les esprits les plus simples ou de ne stimuler que les plus bas instincts. La liste des partis lo-fi qui ont parasité et parasitent encore la vie politique serait trop longue à établir. Aussi n’évoquerons-nous que le cas d’un parti lo-fi justement nommé LO (il paraît que cela signifie Lutte Ouvrière) – d’après le nom de son journal – et que nous serons donc tentés d’appeler affectueusement lo-LO.

L’Union Communiste (trotskyste) – le vrai nom de LO – se donne pour but de créer un parti communiste vraiment révolutionnaire apte à conduire la classe ouvrière vers un renversement armé de “l’Etat bourgeois”. Intention louable, mais puisque cela fait plus de 70 ans que cette fraction trotskyste échoue à constituer le parti communiste de ses rêves, de même (malgré ses tentatives d’entrisme dans les syndicats) qu’à mobiliser et armer la classe ouvrière, on peut mesurer le caractère borné et décidément lo-fi de son message. Dans le contexte actuel, il tend à devenir selon les cas vraiment inaudible, simplement risible, voire carrément contre-révolutionnaire dès lors qu’il s’oppose à toute conquête sociale qui n’aurait pas été obtenue par les armes.

Ainsi, à l’heure où, à la faveur d’une prise de conscience mondiale des contradictions les plus insupportables du capitalisme, s’opèrent partout des convergences entre les mouvements sociaux, “l’autre gauche”, les luttes pour les libertés, les indignations, alors que des forces comme Syriza ou le Front de Gauche commencent à inquiéter l’oligarchie austéritaire en Europe, lo-LO concentre son tir (en parfaite synchronisation d’ailleurs avec un Jean-Marc Ayrault ou un Michel Sapin !) sur… nul autre que Jean-Luc Mélenchon.

Sur le site du journal Lutte Ouvrière, un certain Paul Sorel (version lo-fi de Georges Sorel ?) accuse en effet Mélenchon de se voir déjà “premier ministre de Hollande”. Dans cet article à paraître le 24 août, Sorel donne une retranscription très lo-fi du vacarme médiatique le plus débile. Le “ton” de Mélenchon est qualifié de “tonitruant”, comme sur n’importe quel organe de presse possédé par Dassault, Lagardère ou Bouygues (dans la presse que lo-LO qualifie habituellement de bourgeoise, Mélenchon “vocifère” ou “éructe” forcément). Car bien évidemment, en version lo-fi, seul le “ton” passe, pas le fond. Pour Sorel, Mélenchon n’énonce que “quelques formules à l’emporte-pièce” derrière lesquelles il y a une “réalité” que lo-LO semble cerner mais dont on ne saura rien puisque le commentaire ne s’intéressera à rien d’autre, justement, qu’à la forme. Décidément outillé lo-fi, Sorel n’a donc probablement pas perçu l’argumentation solidement construite de Mélenchon dans ses critiques contre la politique menée depuis 100 jours par Hollande et Ayrault, argumentation qui reste dans le droit fil de ce qu’il énonçait déjà dans ses longs discours durant la campagne de la présidentielle puis des législatives. Mais c’est le problème quand on recrache du son hi-fi sur du vieux matériel lo-fi : il y a de la perte.

De tout l’entretien accordé à France-Inter le 20 août par Mélenchon, Sorel ne retient qu’une question du journaliste Bruno Duvic : “L’opposition, vous êtes dedans ?” Certes, ce pauvre Duvic n’est pas Albert Londres, mais parmi toutes les (mauvaises) questions qu’il a (mal) posées, Sorel ne retient donc que la plus crétine de toutes, celle-là même que la presse “bourgeoise” s’obstine à poser et re-poser à Mélenchon qui y a déjà pourtant répondu maintes fois, et qui doit encore répéter : “Non, l’opposition, c’est la droite ; nous, nous sommes autonomes, nous jugeons ce que nous croyons bon pour le pays”. Mais il faut croire que la notion explicite d’autonomie conquérante (l’objectif non dissimulé du Front de Gauche étant bien de ravir à terme le leadership à gauche et le pouvoir au PS) reste trop hi-fi pour lo-LO comme pour la presse “bourgeoise” : elle doit se situer dans des fréquences conceptuelles décidément trop difficiles à capter.

En outre, Sorel semble ébahi par les propos de Mélenchon lorsque celui-ci a le front (de gauche) de constater que Hollande a été élu pour 5 ans et que “c’est lui qui a le pouvoir de nommer le Premier ministre”. C’est pourtant la stricte réalité constitutionnelle de ce pays, Mélenchon qui milite depuis des lustres pour une VIe République n’étant d’ailleurs pas le plus suspect qui soit d’être favorable au présidentialisme de la Ve République. Et lorsque Mélenchon prophétise qu’Hollande sera contraint de changer de cap, Sorel, toujours bouché à l’émeri, précise que c’est en “se gardant bien de préciser quel cap” : sauf qu’il est on ne peut plus clair dans l’interview que le “cap” dénoncé par Mélenchon est celui de la soumission à l’Europe austéritaire, l’autre “cap” préconisé par lui-même étant donc au contraire celui qui est exposé depuis des mois dans le programme du Front de Gauche, programme que son candidat n’a eu de cesse d’énoncer et d’expliquer durant toute la campagne avec le succès que l’on sait (assemblées citoyennes dans tout le pays, des milliers de personnes rassemblées dans les meetings et 11% des voix obtenues à la présidentielle malgré la pression du vote utile).

L’analyse (désormais bien connue) de Mélenchon est la suivante : les politiques austéritaires mènent à la catastrophe ; le président français, bien que social-libéral convaincu, sera tôt ou tard confronté à l’échec de sa propre doctrine, et s’il ne veut pas être balayé par la tempête avec son pédalo, il sera obligé, donc, de “changer de cap” (la qualité de “brave homme” que lui reconnaît Mélenchon ne saurait l’empêcher de sombrer, le moment venu, s’il s’obstine dans la voie sociale-libérale). Dès lors, “il ne sera pas crédible s’il reprend comme Premier ministre l’un des sociaux-libéraux qui pullulent dans son parti.” Cela tombe effectivement sous le sens, et le dire n’équivaut pas à un acte de candidature personnelle, tant il est vrai qu’Hollande peut trouver facilement dans son propre parti des Montebourg, Hamon ou Lienemann qui pourraient prétendre au poste si le social-libéralisme n’était soudain plus à l’ordre du jour et qui offriraient de bien meilleures garanties de docilité que Mélenchon au point où il en est rendu à présent. L’ex-candidat du Front de Gauche estime, il est vrai, que lui et les siens étaient mieux préparés à gouverner que le PS, et il est évident que Mélenchon se considère lui-même comme compétent pour diriger l’Etat ou le gouvernement et appliquer ainsi le programme du Front de Gauche. On peut donc en conclure qu’en cas de changement de majorité (dans 5 ans ou plus tôt si Hollande était amené, “tempête” oblige, à dissoudre l’assemblée), Mélenchon serait prêt à aller en personne à Matignon pour y appliquer son programme (peu importe à vrai dire qui se trouverait alors à l’Elysée : entre 1997 et 2002, ce n’est pas tant Chirac qui a lié les mains de Jospin que sa propre pusillanimité). Que Mélenchon soit prêt, le moment venu, à aller à Matignon, ne devrait pas être une découverte, même pour Sorel, qui pourtant comprend encore tout de travers : “C’est donc l’objectif du bouillant Mélenchon : s’installer à Matignon sous les ordres de Hollande, qui serait un brave homme, aveuglé par son entourage”. Au moment même où Mélenchon accuse sévèrement Hollande de n’avoir tenu aucun compte des propositions du Front de Gauche (sans lequel il n’aurait pu être élu), et critique durement sa soumission à l’oligarchie financière, lo-LO laisse donc entendre que Mélenchon serait prêt à prendre la place d’Ayrault au premier coup de sifflet d’Hollande, sans doute pour faire la même politique d’austérité et avec la même majorité PS. Le mot est même lâché : Mélenchon n’aurait donc pour ambition que de servir “les bourgeois”.

Il faut dire que pour lo-LO, Mélenchon aura beau prôner la révolution citoyenne, et même la mettre en pratique (si jamais il accède un jour au pouvoir), il sera toujours marqué du sceau de l’infâmie car, pour les trotskystes purs et durs de LO, l’ancien trotskyste Mélenchon est coupable d’un crime impardonnable : le “réformisme”. Si jamais on a la possibilité de conquérir un jour le pouvoir sans effusion de sang, grâce à la conjonction des luttes sociales et d’une victoire électorale (qui n’est plus complètement improbable depuis l’émergence du Front de Gauche), si jamais on a la possibilité de rendre le pouvoir au peuple (institutionnellement, économiquement, socialement) par une réforme profonde de l’Etat et de la propriété (l’application du programme “l’Humain d’abord” n’en serait d’ailleurs qu’une première étape), alors lo-LO boudera encore parce que le prolétariat n’aura pas abattu l’Etat bourgeois par les armes. On serait en train de faire la révolution sous leur nez que les militants de LO ne s’en rendraient même pas compte, occupés qu’ils sont (jusqu’à la fin des temps ?) à armer le prolétariat qu’ils n’ont jamais réussi à mobiliser avec des armes qu’ils n’ont jamais eues. A chaque fois que j’ai une discussion avec un militant de LO, je finis par demander “où sont les armes ?”, et je vois bien qu’il est gêné parce que ce n’est sans doute pas lui qui a les clés du local et qu’il n’y a peut-être rien d’autre dans le local qu’un vieux tas de tracts. C’est con, sinon on aurait pris le Palais d’Hiver ensemble puis on se serait foutu sur la gueule à Kronstadt, comme dans le bon vieux temps.

Nous, au Front de Gauche, nous allons continuer à faire feu de tout bois, et poursuivre la révolution citoyenne par les urnes, par les luttes, par l’éducation, et par tous les moyens appropriés au contexte, sans plus de violence que nécessaire. Beaucoup de militants d’organisations de gauche ou d’extrême-gauche nous ont déjà rejoints et nous rejoignent encore. Dans le Front de Gauche, et particulièrement au Parti de Gauche, se retrouvent des gens venus du PS, du PC, d’EELV, du NPA, ou même (j’en suis la preuve) de l’anarchisme, ainsi que des milieux associatifs ou syndicaux. On voit même arriver (et ce n’est pas le moins encourageant) des gens qui n’avaient jamais milité auparavant. Nous savons que dans les luttes, nous aurons parfois à nous retrouver aux côtés de militants de LO. Et même si selon nous, leur stratégie mène à l’autisme politique, nous n’oublions pas qui est notre véritable ennemi : le Capital. A titre personnel, je ne peux toutefois qu’inviter LO à se mettre enfin à la hi-fi, parce que je dois l’avouer, ma pauvre lo-LO, des fois, tu me brouilles un peu l’écoute.

Quand le capitalisme encourage le célibat

Le 11 août 2012, Ewan Morrison publiait sur le site du Guardian un article titré : “What I’m thinking about … why capitalism wants us to stay single“. Pourquoi le capitalisme veut-il que nous restions célibataires ? “Maintenant que le marché tire profit du pouvoir d’achat des célibataires, le choix radical est de se marier”, ajoute Morrison en sous-titre. Nous proposons ci-dessous au lecteur francophone une traduction artisanale et bénévole de cet intéressant article.

Nous nous plaisons à penser que nous sommes libres au sein du libre marché ; que nous nous situons au-delà des forces de la publicité et de la manipulation sociale par les forces du marché. Mais il y a une nouvelle tendance sociale – l’avènement du “célibataire” en tant que consommateur modèle – qui soulève un paradoxe. Ce que nous avons jadis considéré comme radical – rester célibataire – peut maintenant être réactionnaire.

La relation à long terme, comme l’emploi à vie, est en voie rapide de dérégulation vers le court terme, les arrangements temporaires sans promesse d’engagement, ce dont le sociologue Zygmunt Bauman nous avertit depuis plus d’une décennie. C’est difficile pour deux personnes de rester ensemble tout en étant travailleurs indépendants, sans garantie d’avenir stable. Le capitalisme veut maintenant que nous restions célibataires.

Depuis les années 60, être célibataire a été considéré comme un choix radical, une forme de rébellion contre le conformisme bourgeois capitaliste. Comme le dit le sociologue Jean-Claude Kaufmann, l’abandon de la vie de famille pour le mode de vie en solo au XXe siècle était constitutif de “l’élan irrésistible de l’individualisme”. Mais cette liberté semble bien moins séduisante lorsqu’on l’observe sous l’angle de changements planifiés dans le consumérisme.

Convaincre la population de rester célibataire prend maintenant une signification économique. Selon une étude de Jianguo Liu de l’Université d’Etat du Michigan, les célibataires ont une consommation par tête qui dépasse celle des ménages de 4 personnes à hauteur de 38% pour les produits alimentaires, 42% pour les produits conditionnés, 55% pour l’électricité et 61% pour le gaz. Aux Etats-Unis, les célibataires dans la tranche des 25-34 ans et n’ayant jamais été mariés dépassent maintenant en nombre de 46% les personnes mariées, selon le Bureau du Recensement de la Population. Et le divorce représente un marché en pleine croissance : une famille qui subit une séparation, cela signifie que deux ménages doivent acheter deux voitures, deux machines à laver, deux télévisions. L’époque de la famille nucléaire comme unité de consommation idéale est révolue.

Alors que le capitalisme sombre dans la stagnation, les entreprises ont compris qu’elles pouvaient trouver deux nouveaux facteurs de croissance – d’une part en faisant émerger le marché des célibataires, et d’autre part en favorisant le divorce et le concept de liberté individuelle. En témoignent des changements dans les publicités, avec des produits aussi divers que les hamburgers et les vacances dont les célibataires deviennent la cible – en particulier les femmes célibataires. De nouvelles pubs pour Honda et Citibank mettent en avant la découverte solitaire de soi et le report de la relation plutôt que la vie de couple.

Comme le dit Catherine Jarvie, les “relations superficielles” dans lesquelles “aucune des deux parties ne cherche un engagement à long-terme” sont la nouvelle voie – en témoigne l’ascension fulgurante du site de rencontre Match.com. Aux Etats-Unis, des annonces sur le site Craiglist révèlent la connexion subconsciente entre le fait de consommer du jetable et celui de se vendre soi-même : on peut y lire “Achetez mon canapé IKEA et baisez-moi dessus d’abord, pour 100$”.

Cette assimilation entre soi-même et le produit vient à point nommé, précisément parce que les cycles de l’obsolescence programmée et perçue dans le cadre de la consommation de produits n’assurent plus la croissance capitaliste. Dans une période de saturation du marché, alors que nous avons déjà consommé tout ce que nous pouvons, nous sommes encouragés à nous réifier en tant qu’objets «sur le marché», consommant autrui. Exercices sur le caractère jetable de l’homme.

Le consumérisme veut maintenant qu’on soit célibataire, donc il vend cette idée comme sexy. L’ironie est qu’il est maintenant plus radical de tenter d’être dans une relation à long-terme et d’avoir un travail à long-terme, de faire des projets d’avenir, peut-être même d’essayer d’avoir des enfants, plutôt que de rester célibataire. La vie de couple et des liens à long terme avec autrui dans une communauté semblent aujourd’hui la seule alternative radicale aux forces qui nous réduisent à l’état de nomades isolés, aliénés, cherchant de plus en plus de temporaires connexions «miracles» avec des corps qui portent en eux leur propre obsolescence intégrée et perçue.
La solution : Soyez radicaux, maquez vous, exigez de l’engagement de la part de vos partenaires et de vos employeurs. Dites non aux séductions du marché des célibataires jetables.

Abolition de la prostitution ? Et pourquoi pas du capitalisme, tant qu’on y est ?

“La question n’est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution – la réponse est oui – mais de nous donner les moyens de le faire”, a déclaré Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des droits des femmes, dans le JDD du 23 juin 2012. “Mon objectif, comme celui du PS, c’est de voir la prostitution disparaître”, a-t-elle ajouté. Parmi les pistes évoquées, la pénalisation des clients (le délit de racolage passif créé en 2003 ayant, lui, plutôt vocation à être abrogé, si l’on se réfère aux déclarations du candidat Hollande durant la campagne des présidentielles).

Pénaliser le “Caubère” (voir notre précédent article sur cet intéressant spécimen de client) ? Il n’en fallait pas plus pour susciter les cris d’orfraie de maints adeptes de la putification plus ou moins habilement déguisés en héroïques résistants contre “l’ordre moral”. La presse n’a pas manqué de relayer les protestations de ceux qui, suivant la ligne d’Elisabeth Badinter, voient dans toute velléité d’abolition de la prostitution un retour à un ordre moral de type victorien. Mais nous nous pencherons ici plus particulièrement sur quelques témoignages significatifs de braves “travailleuses du sexe”, car c’est justement le plus souvent au nom de leur défense et de leur protection que se sont exprimées les critiques les plus virulentes contre l’idée de pénalisation des Caubère. En voici un premier exemple :

Corinne, porte-parole des indépendantes du Bois de Boulogne, défend “le droit à disposer de son corps” et estime que ces prostituées, qui grâce à leur activité “ont un niveau de vie certain”, ne sont “pas prêtes à l’abandonner pour accepter un revenu minimum”. “Se recycler à 40 ans ou 50 ans passés, quand on a quasi aucun CV, c’est difficile.” (Libération du 24 juin 2012)

Etonnante trouvaille que ce “droit à disposer de son corps” qui tend à mettre sur le même plan le “droit” pour une femme (ou un homme) de subir sexuellement la domination économique et de vrais droits conquis par les femmes comme par exemple le droit à la contraception ou le droit à l’avortement ! Le même article de Libé rappelle pourtant que “la France comptait au moins 18.000 à 20.000 prostitué(e)s de rue” en 2010 — les autres formes de prostitution (escort, internet, salons de massage, etc.) n’étant pas chiffrées — et que, “d’après un rapport parlementaire d’avril 2011, il s’agit pour 80% de femmes et pour 80% de personnes étrangères”, “neuf personnes prostituées sur dix” étant “victimes de la traite des êtres humains” (selon le député Guy Geoffroy). Ainsi, n’en déplaise aux quelques “travailleuses du sexe” ayant choisi volontairement leur “métier”, l’immense majorité des prostitué(e)s est bien constituée d’esclaves sexuelles. La putification (terme par lequel nous entendons désigner ici ni plus ni moins que le stade actuel de développement du capitalisme) a déjà à ce point infecté les esprits qu’il est devenu courant de voir l’acte de vendre (et particulièrement de se vendre — corps ou âme) considéré comme l’exercice d’une liberté fondamentale. Il ne viendrait apparemment même plus à l’idée de nombre de nos contemporains que la liberté se conquiert au contraire dans la résistance à l’aliénation, dans le refus de la marchandisation totalitaire (marchandisation de rigoureusement tout : choses et éléments — jusqu’à l’air et l’eau — mais aussi de l’humain — force de travail, corps, sexe, idées, génôme…). Interdire l’esclavage, qu’il soit forcé ou volontaire, deviendrait donc un crime contre la réification travestie en liberté : la liberté du sujet est désormais conçue comme “liberté” de renoncer à être sujet, comme “liberté” de devenir objet. Par un étonnant tour de passe-passe, une collectivité qui entend garantir la liberté de l’être humain en l’empêchant d’être réduit à l’état d’objet déshumanisé sera donc, dans le monde merveilleux de la putification, considérée comme affreusement “liberticide” ou “castratrice”, parce qu’elle entrave la seule “liberté” à laquelle le capitalisme putifié accorde de la valeur : la liberté du commerce. A ce compte, si l’Etat est considéré comme liberticide lorsqu’il se fixe pour objectif d’abolir la prostitution (c’est-à-dire grosso modo la vente de l’usage de chattes, de bouches et de culs plus ou moins sains et consentants — en un mot), alors on peut dire aussi qu’il attente déjà fâcheusement aux libertés en interdisant la vente et la location d’organes ou de membres humains. C’est vrai, quoi, pourquoi un être humain ne peut-il être libre de vendre au compte-gouttes, à destination de greffes ou d’installations d’art comptant-pour-rien, un poumon, puis un oeil, puis un rein… ou même une bite ? Après tout, un pauvre amputé de sa bite et motivé par les drogues appropriées peut encore avoir une utilité sociale au bord d’une route forestière, n’est-il pas vrai ?

Avec cette idée de “droit à disposer de son corps”, on fait aussi commodément abstraction de la question du rapport de force dans un monde où, malgré les avancées obtenues par le combat féministe, s’exerce encore partout la domination masculine. Ainsi, Françoise Gil, une “sociologue” présentée comme étant membre du “Syndicat du Travail Sexuel”, osait affirmer le 25 juin 2012 dans 20 minutes (ce n’est pas la durée d’un rapport tarifé mais le nom d’un journal prostitué à la pub) :

C’est une aberration de s’en prendre au client, j’y vois une forme de castration. Ce ne sont pas les clients qui sont à l’origine de la prostitution.

Ben voyons ! Le mâle dominant n’y peut rien, le pauvre, si des hordes de prostitué(e)s racoleuses vivent dans l’obsession de son phallus et de la satisfaction de ses désirs virils. Au point que s’il paye, finalement, c’est juste par politesse, un peu pour dire merci à chacune de ces putes qui se jettent sur lui et qui en redemandent, les cochonnes. D’ailleurs, puisque ce ne sont pas les clients qui sont “à l’origine de la prostitution”, d’après Françoise Gil, est-ce que ça ne devrait pas être aux prostituées de payer les clients qui ont la gentillesse d’accepter leurs services ? On sait bien depuis Eve que le mâle débonnaire n’y est pour rien : c’est toujours cette salope de femme habitée par le diable qui fait rien qu’à le tenter. Bon, une fois excité, il est peut-être un peu rustre des fois, le pauvre bichon, mais c’est dans sa nature d’homme, et que voulez-vous, il ne faut surtout pas le castrer ! Mais Françoise Gil va encore plus loin :

On fait un amalgame entre les réseaux de prostitution et la prostitution traditionnelle. (…) La prostitution quand elle est volontaire peut être considérée comme un métier, avec des valeurs, des relations humaines et sociales, elle peut être bien vécue. Je ne vois pas la nécessité de la supprimer. D’autant que dans notre société, les prostituées sont utiles et sont un corollaire du mariage.

Il y aurait donc la bonne prostitution (la “traditionnelle”) et la mauvaise prostitution (celle des “réseaux”). La différence entre les deux ? Sans doute la même que la différence entre le bon chasseur et le mauvais chasseur moquée naguère dans un célèbre sketch des Inconnus. On comprend avec cette évocation d’un petit “métier” traditionnel que notre “sociologue” emprunte plus à Jean-Pierre Pernault qu’à Pierre Bourdieu. Mais surtout, on apprend que les prostituées ont une utilité sociale et sont même un “corollaire du mariage”, ce qui revient à dire que c’est la prostitution qui sauve le mariage ! En 2012, au XXIe siècle, après des années de déchristianisation, d’émancipation humaine, de combat féministe, après la révolution sexuelle, l’union libre, le PACS, le coming out des homosexuels, la société serait donc toujours organisée autour de l’institution du mariage et de son “corollaire” la prostitution. Abolir la prostitution ? Mais vous n’y pensez pas, aucun mariage n’y résisterait ! Eh bien oui, justement, abolissons la prostitution et finissons-en aussi par la même occasion avec cette institution désuète qu’est resté le mariage réservé aux couples hétérosexuels, héritage à peine repeint aux couleurs républicaines du vieux carcan de l’ordre moral judéo-chrétien ! Quelle imposture que celle des défenseurs de la prostitution qui osent ranger les abolitionnistes dans le camp de l’ordre moral alors que ce sont eux les réactionnaires qui réduisent les femmes à l’état de putes ou de mamans !

Mais revenons à Corinne, la porte-parole des “indépendantes” du Bois de Boulogne citée par Libé, qui affirme que la prostitution procure un “niveau de vie certain” aux péripatéticiennes sylvestres, et qu’elles ne sont pas prêtes à l’abandonner pour un “revenu minimum”, d’autant plus qu’il leur serait difficile de “se recycler” à “40 ans ou 50 ans passés”. On peut d’abord se demander ce qui attend ces inrecyclables à 60 ans ou 70 ans passés, voire à 80 ou 90 ans. Quand bien-même elles cotiseraient (ce qui ne doit pas être très courant) au Régime Social des Indépendants (puisqu’indépendantes elles s’affirment), celui-ci n’est pas réputé pour offrir des retraites décentes à ses affiliés. Le sort des vieilles putes (pardon, des travailleuses du sexe séniors – le monde de la putification ne tolère les termes crûs que dans les films porno) est-il donc plus enviable que celui des bénéficiaires d’un “revenu minimum” ? En outre, l’argument du “niveau de vie certain” est tout de même assez léger en soi : les dealers, les braqueurs, ou encore les proxénètes de tout poil, peuvent sans doute l’utiliser aussi pour justifier l’exercice de leur “activité”. Il se trouve néanmoins que ce type de “métier” a été banni par la collectivité du champ des activités légales pour des raisons qui sont peut-être légitimes, après tout. Et puis, si vraiment la prostitution reste une source de revenu procurant un niveau de vie plus élevé que celui offert par le “revenu minimum”, alors la solution est on ne peut plus simple (et j’invite le gouvernement français prétendument de gauche à se pencher sur la question) : augmentons le revenu minimum ! Mieux : mettons carrément en place l’allocation universelle de vie ou le revenu de base inconditionnel ! Alors, les femmes ou les hommes qui ont vraiment une profonde envie de servir d’objet sexuel pourront le faire bénévolement sans avoir à se soucier de leur subsistance.

Autre témoignage, celui de Marie-Thérèse, prostituée “indépendante” :

«Elle veut qu’on fasse quoi ? Qu’on aille toutes à Pôle Emploi ? Ce travail nous permet d’être indépendantes financièrement (…). Najat est une gamine qui ne connaît pas la réalité de la vie et les besoins des hommes. On peut prédire davantage de violence dans les couples et des viols» (Le Télégramme du 30 juin 2012)

On saluera le néo-poujadisme, sans doute inconscient mais tout de même bien dans l’air du temps, de cette petite commerçante “indépendante” qui considère comme plus dégradant et plus aliénant d’aller à Pôle Emploi que de faire la pute. On lui accordera qu’en pleine crise économique, après 10 ans de destruction méthodique de tous les services sociaux par les gouvernements de droite, l’aide offerte par Pôle Emploi n’est peut-être pas à la hauteur des besoins. Quant aux “besoins”, justement, des “hommes” en tant que mâles, ils sont ici définis selon une norme que l’on pourrait baptiser la “norme DSK” : un homme, en somme, c’est une grosse brute qui a besoin de niquer n’importe qui, n’importe quoi, à tout moment (cette vision en dit d’ailleurs long sur la réalité glauque à laquelle doit être quotidiennement confrontée Marie-Thérèse). Et donc, l’homme, s’il ne peut plus aller aux putes peinard, il va forcément cogner sa femme et en violer d’autres. C’est dans sa nature d’homme. Sauf que… d’après une enquête du Mouvement du Nid, seulement un homme sur huit a déjà eu recours à “une prestation sexuelle tarifée”. Un Caubère sur huit, c’est déjà beaucoup, certes, mais cela reste incontestablement une minorité au sein de la gent masculine. Tous les hommes qui ne vont pas aux putes éprouvent-ils des pulsions de viol et de violence et passent-ils dès lors à l’acte faute d’être soulagés par un(e) professionnel(le) du sexe ? Les violences faites aux femmes, certes bien trop courantes, seraient dans ce cas bien plus nombreuses qu’elles ne sont. Inversement, les accusations de viol et d’agression sexuelle portées par exemple contre DSK aux Etats-Unis et en France, auraient été immédiatement abandonnées par la justice si la fréquence avec laquelle il avait recours à des prostituées avait pu servir de preuve que ses pulsions sexuelles étaient suffisamment assouvies pour qu’il n’ait nul “besoin” de recourir à la contrainte. On peut au contraire peut-être s’interroger sur la capacité du Caubère moyen à considérer l’autre comme un simple objet sexuel, capacité qu’il partage, même si c’est à un degré moindre, avec l’agresseur ou le violeur. Heureusement, tous les Caubère et les DSK, tous les tringleurs fous, les queutards, les mâles dominants, et au-delà tous les pauvres bougres esseulés, les puceaux complexés, les jeunes mal définis, les vieux délaissés, les simples curieux d’un jour ou les aventuriers fascinés par les bas-fonds, bref tous les clients occasionnels ou récurrents des prostitué(e)s dans leur variété ne sont pas des violeurs. Mais, à la faveur d’une domination fondée sur la force ou sur l’argent, ils ont tous à un moment donné la capacité de faire abstraction de la réalité du désir ou du non-désir de l’autre, de ses émotions, de sa souffrance, tout de même, le plus souvent.

Autre argument :

“Pénaliser les clients aurait pour effet, pour les travailleuses du sexe, de passer de l’indépendance à la clandestinité, nous rendant alors plus vulnérables face aux réseaux mafieux», estime un collectif de prostituées indépendantes lyonnaises dans un courrier adressé aux députés. (…) Valentina, 43 ans, quatre enfants à charge, évoque aussi «les crédits pour la maison, la voiture». «Quand je m’arrête deux jours et que je vois arriver les factures ou l’huissier, je reviens. Deux clients par jour me font 100euros (non déclarés), c’est mieux que l’usine», lâche-t-elle(Le Télégramme du 30/06/2012)

C’est la thèse, très répandue et maintes fois reprises, selon laquelle la prohibition serait un remède pire que le mal, et aggraverait la situation des prostituées. Mais les adversaires de l’abolition prennent le problème à l’envers : si par exemple des femmes n’ont pas de meilleur moyen pour régler leurs dettes et subsister que la prostitution et la bascule dans la clandestinité, cela ne signifie pas que la prostitution est indispensable mais au contraire que les autres moyens de subsistance sont insuffisants et que l’organisation du travail doit être revue. Dans l’antiquité gréco-romaine, un citoyen libre endetté pouvait être réduit en esclavage ou se vendre lui-même comme esclave pour solder sa dette. Le cas de Valentina rappelle que la prostitution est bel et bien, le plus souvent, ni plus ni moins qu’un asservissement.

Le mythe a la vie dure du “plus vieux métier du monde”, si vieux qu’il serait impossible à extirper des sociétés humaines. N’allez pas parler aux antiabolitionnistes d’égalité entre les sexes, d’éducation des garçons à une sexualité respectueuse de l’autre et d’éducation des filles à un épanouissement hors de la soumission. N’allez pas leur parler non plus de remise en cause du capitalisme, ce capitalisme qui a réussi au stade actuel de la putification la prouesse d’opérer la synthèse entre la domination masculine la plus traditionnelle et le consumérisme le plus moderne. N’allez pas dire à celles et ceux qui trouvent que tapiner, ce n’est pas pire que de trimer à l’usine, qu’elles ou ils n’ont qu’à envoyer leurs propres filles sur le trottoir ou œuvrer à la transformation des usines. N’allez pas leur dire non plus que les quelques rares prostituées qui affirment avoir choisi librement leur “métier” ont le plus souvent des histoires personnelles difficiles, faites de traumatismes, de névroses et d’addictions dont l’origine est souvent liée à la violence masculine, notamment familiale. N’allez pas leur dire que la violence masculine, la prédation sexuelle, la libido exacerbée à un degré pathologique sont des troubles qui pourraient être atténués sensiblement par un traitement social, éducatif ou médical. N’allez pas leur dire que la misère sexuelle, et naturellement la violence, résultent souvent de la misère économique. Ils vous traiteraient de curés, de peine-à-jouir, de castrateurs, de partisans de l’ordre moral… Cut the crap !

Dans le discours des antiabolitionnistes, il reste toutefois un élément qui ne manque pas de pertinence : la prostitution est souvent rapportée à la question du travail, devenu à la faveur des techniques modernes de management tellement aliénant que les défenseurs de la prostitution peuvent sans être traités de fous présenter celle-ci comme un moindre mal, voire comme une activité qui serait finalement plus désirable que le travail “ordinaire” (du moins celui réservé aux plus démunis). C’est le signe que le travail, pour la majorité des travailleurs, est bel et bien d’ores et déjà ressenti comme une forme de prostitution. Qu’on vende son cul ou qu’on sacrifie sa dignité, sa santé et son intégrité physique et morale en vendant sa force de travail, finalement, dans bien des cas, la différence n’est pas évidente. La putification, en même temps qu’elle légitime la prostitution et la présente comme une fatalité naturelle irréductible, en fait aussi le modèle absolu de toute autre activité humaine. En affichant son vœu d’abolir la prostitution, Najat Vallaud-Belkacem fait preuve d’une louable ambition, mais au stade avancé de putification où nous sommes rendus, cela ne sera possible qu’en mettant en œuvre sur le long terme une ambition encore plus grande : abolir le capitalisme lui-même. Hélas, ce n’est en aucun cas la mission qui a été confiée par le nouveau président Hollande au gouvernement auquel appartient Najat Vallaud-Belkacem.

A propos des gros cons : Mélenchon versus Lordon

La finesse d’analyse de Frédéric Lordon, sa radicalité, son ironie, sa précision, son style, tant dans ses ouvrages que dans ses articles du Monde Diplomatique ou du blog “La pompe à phynance“, en ont fait un penseur incontournable de la gauche, sur le plan économique mais aussi sur le plan philosophico-politique. Dans un article du 2 mai 2012, il revient sur le résultat obtenu par le Front National au premier tour des élections présidentielles. Moquant d’abord la stupeur de “la volaille éditocratique”, il affirme ensuite que :

“(…) sans discontinuer depuis 1995, le corps social, quoique se dispersant entre des offres politiques variées, n’a pas cessé de manifester son désaccord profond avec le néolibéralisme de la mondialisation et de l’Europe Maastricht-Lisbonne ; et avec la même constance, le duopole de gouvernement, solidement d’accord, par delà ses différences secondes, sur le maintien de ce parti fondamental, n’a pas cessé d’opposer une fin de non-recevoir à ce dissentiment populaire. La montée du FN n’est pas autre chose que le cumul en longue période de ces échecs répétés de la représentation, le produit endogène des alternances sans alternative qui pousse, assez logiquement, les électeurs à aller chercher autre chose, et même quoi que ce soit, au risque que ce soit n’importe quoi.”

Et Lordon de prophétiser in fine qu’en 2017, “les mêmes causes” risquent bien de produire “les mêmes effets” qu’en 1995, 2002 ou 2012 (l’exception de 2007 étant due à l’habileté du bonimenteur Sarkozy, qui avait réussi, lui le candidat des marchés destiné à devenir “le président des riches” — selon le titre de l’ouvrage des sociologues Pinçon-Charlot — à se faire passer pour le “candidat du pouvoir d’achat”).

Mais Frédéric Lordon  s’aventure aussi en dehors du terrain de l’observation et de l’analyse pour aborder celui de l’action proprement dite. Que faire face à ce phénomène du FN ? Après avoir rappelé à juste titre que le Front de Gauche, seule force à disputer à l’extrême-droite le monopole de la critique des politiques néolibérales, n’existe que depuis 3 ans, et qu’il n’avait donc guère de chances, malgré les espoirs suscités par la candidature de Mélenchon, d’accéder si tôt au pouvoir, il affirme que :

“(…) la gauche (la vraie gauche) commence à donner des signes de fatigue intellectuelle. En témoignent les refus exaspérés d’entendre seulement dire “la France qui souffre”. Assez de la souffrance sociale ! et retour aux explications simples et vraies : ce sont des salauds de racistes. Dans une parfaite symétrie formelle avec la droite qui, en matière de délinquance, refuse les “excuses sociologiques” (…) voilà qu’une partie de la (vraie) gauche, en matière de vote FN, ne veut plus de “l’alibi” de la souffrance sociale. Cette commune erreur, qui consiste à ne pas faire la différence entre deux opérations intellectuelles aussi hétérogènes que expliquer et justifier (et par suite “excuser”), finit inévitablement en le même catastrophique lieu de l’imputation d’essence, seul énoncé demeurant disponible quand on s’est privé de toute analyse par les causes. Les délinquants seront alors la simple figure du mal, n’appelant par conséquent d’autre réponse que la répression. Quant aux électeurs de l’extrême droite, ils sont donc “des salauds”, appelant… quoi d’ailleurs ? La colonie lunaire ? Au déplaisir général sans doute, il faudra pourtant faire avec eux.”

On pourrait objecter avec ironie à Frédéric Lordon qu’une colonie lunaire dotée d’un certain confort (pavillons avec pelouse bien délimitée et télévision branchée sur TF1) pourrait bien faire le bonheur de certains des électeurs du FN, pourvu qu’aucun musulman arabe ou noir, ni peut-être aucun juif, et à coup sûr aucun Rom, ne fasse partie du voyage. Demander la lune pourrait donc être bénéfique pour toutes les parties concernées : “salauds de racistes”, “vraie gauche”, humanistes, victimes du racisme… On pourrait aussi lui dire qu’à défaut d’une destination extra-terrestre, la Corée du Nord pourrait être une destination suffisamment éloignée de toute menace islamiste pour que les “salauds de racistes” puissent y trouver un asile sûr et y assouvir enfin leur goût de l’ordre et leur amour du “vrai travail”. Il s’agit là bien sûr d’une plaisanterie, mais il ne faut peut-être pas renoncer si vite aux vertus de la peur des Rouges. Même si en réalité, nul militant du Front de Gauche, bien que voué par les défenseurs du libéralisme au culte de Staline ou Pol-Pot, n’ira proposer pour de vrai la déportation massive des “salauds de racistes” vers quelque Goulag, il peut être bénéfique de laisser entendre à ces derniers que certains propos et certains actes peuvent tout de même être source pour eux de graves ennuis.

Plus sérieusement, autant Lordon frappe juste en évoquant le “racisme social” des élites conforté par le vote d’électeurs décidément “affreux, sales et méchants”, autant il va trop loin en affirmant que la proposition « les électeurs du FN sont des gros cons » est exactement symétrique à la proposition « les arabes sont trop nombreux ». Invoquant même Spinoza, il accuse les tenants de l’appellation “gros cons” (dont nous sommes) de privilégier par fatigue intellectuelle la catégorisation morale sur la compréhension des causes. Ce faisant, il nous somme finalement de choisir entre l’affect et l’intellect. Mais cette distinction n’est-elle pas abusive et artificielle ? En effet, on peut fort bien poser une injonction morale dans le cadre d’une stratégie politique en expliquant aux électeurs que voter pour le FN les range sans appel dans la catégorie des “gros cons” (ce qui n’a aucun caractère définitif), mais aussi, dans le même temps, chercher à comprendre les causes de ce vote et proposer les mesures politiques, sociales et économiques susceptibles de les éradiquer. Citons ici les propos de Mélenchon au micro d’Europe 1 le 2 mai 2012 :

“La souffrance ne justifie pas ni la délinquance ni la stupidité. Et par conséquent je n’irai pas dire “je vous comprends parce que vous souffrez”. Il n’y a pas plus de problèmes aujourd’hui avec les Musulmans et les Arabes qu’il n’y en avait avec les Juifs avant-guerre. Et ça n’a aucun sens de faire preuve de compréhension. Je dis donc les yeux dans les yeux aux gens qui votent Front National : “vous faites du mal à votre pays et vous nous emmenez nulle part. Mme Lepen ne fait rien qu’à distiller du poison dans notre pays”.”

Si Mélenchon ne disait que cela aux “gros cons”, effectivement ce serait peut-être un peu court. Mais il se trouve que lui (avec l’ensemble des forces du Front de Gauche) propose très clairement de rompre avec la soumission à la mondialisation néo-libérale et de remédier aux causes de la souffrance sociale. S’il refuse de faire preuve du type de “compréhension” prôné par ceux qui cherchent à capter les voix du FN, il ne renonce pas pour autant à analyser les causes objectives de l’extrémisation de la droite.

On peut aussi objecter à Lordon que l’analyse du phénomène et une action sur les causes, bien qu’évidemment nécessaires, ne sont pas forcément suffisantes. A ce titre, l’analogie qu’il fait lui-même avec la délinquance peut lui être retournée. S’il est bien vrai que la droite répressive se montre parfaitement crétine, voire criminelle, en refusant aux délinquants toute “excuse sociologique”, il serait bien naïf d’imaginer qu’une meilleure justice sociale et un accent mis sur la prévention des causes de la délinquance permettraient à la société de faire l’économie de la sanction mais aussi de la catégorisation morale de la délinquance. Désigner l’électeur du Front National comme gros con, beauf ou facho, c’est lui signifier clairement — au cas pas si improbable où il ne le saurait pas déjà — qu’il est un délinquant de l’idéal humaniste républicain. Après la dédiabolisation médiatique du FN réussie par l’héritière du vieux tortionnaire, la stigmatisation systématique de l’électorat du FN est nécessaire pour rétablir au moins en partie ce que nous avions nommé un “surmoi civique” dans notre précédent article. Paradoxalement, Frédéric Lordon lui-même a d’ailleurs bien remarqué que :

“(…) la présence pérenne du FN a eu le temps de produire ces pires effets d’incrustation, aussi bien, dans les classes populaires, la conversion partielle des colères sociales en haines xénophobes, que, dans les classes bourgeoises (petites, et parfois grandes), la libération d’un racisme longtemps tenu à l’isolement par les conventions sociales et la menace de l’indignité, mais jouissant de nouvelles licences quand 15 % à 20 % de la population rejoignent ouvertement l’extrême droite — et qu’il est désormais permis de vivre sa “foi” à l’air libre.”

Pour que le peuple décidément allergique à la dictature des marchés et à la mondialisation néo-libérale se tourne vers la “vraie gauche” — celle qui sert vraiment les intérêts du peuple — plutôt que vers la droite et l’extrême-droite décomplexées, il faut justement que les gros cons de fachos ne puissent plus vivre leur sinistre foi à l’air libre. Nous n’en voudrons pas plus que cela à Frédéric Lordon d’avoir quelque répugnance à se salir les mains. Tout en reconnaissant lui-même que Mélenchon et le Front de Gauche donnaient une consistance nouvelle à la gauche (la “vraie”, selon ses propres critères), il n’est pas allé jusqu’à prendre parti, au sens littéral, et garde donc une position d’observateur engagé qui n’est pas une position de militant. Quant à nous, nous lirons encore avec profit les thèses de Lordon, bien sûr, mais dans l’action présente, nous avons choisi d’agir aux côtés de Mélenchon, et nous ne nous priverons pas d’appeler un chat un chat : oui, un facho est un gros con.

 

Front contre Front

Faut avouer qu’on avait un peu chopé le melon, avec ces saloperies de sondages qui avaient donné Méluche à plus de 15%, voir 17%. Non seulement on le voyait passer devant l’héritière du vieux borgne bouffi (de haine), mais on se prenait à rêver d’un deuxième tour Hollande contre Mélenchon (avouez que cela aurait eu de la gueule !). Mais non, les sondages, comme d’habitude, étaient bidon. Et celui qui avait su faire resurgir les thèmes de la lutte des classes et du progrès social a fini loin derrière le néo-fascisme savamment dédiabolisé par les médias et les faux-frères socialistes. La chute est rude, mais une fois la déception avalée et digérée, il faut sortir du piège confortable (tant on y est habitué) de la déprime et du catastrophisme. Comme le disait Bernard Langlois (@Panouille) sur Twitter le 24 avril :

“Ceux des électeurs de Méluche qui ont le moral à zéro (paraît-il …) sont des puceaux politiques. Ce qu’a réussi leur candidat est déjà superbe !”

Je me range moi-même dans cette catégorie des “puceaux politiques”. J’ai beau avoir participé à pas mal de mouvements sociaux, avoir souvent voté le plus à gauche possible ou m’être abstenu (mais en toute conscience), jamais je n’avais eu à ce point le sentiment de pouvoir peser par mon action personnelle (le vote mais aussi et surtout l’agit-prop) en faveur d’un mouvement susceptible non seulement de résister à la contre-révolution libérale, mais aussi de relancer une vraie dynamique de conquêtes sociales, d’un mouvement qui ne soit cantonné ni à une radicalité folklorique éclatée et impuissante ni à un réformisme ayant renoncé à toute réforme sociale (quand il ne cède pas tout bonnement à la contre-réforme), d’un mouvement, donc, à la fois radical et unitaire, d’ores et déjà apte à conquérir le pouvoir et à l’exercer. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il était temps de prendre vraiment parti, et c’est pourquoi j’ai adhéré au Parti de Gauche, pas tant parce que “l’heure est grave” que parce que je veux contribuer à cet élan nouveau insufflé par le Front de Gauche qui permet aujourd’hui de réunir sur un même objectif (la révolution citoyenne) des courants socialistes, communistes, trotskystes, écologistes et même libertaires. A ce titre, je trouve d’ailleurs la conclusion défaitiste de l’édito de Bernard Maris dans Charlie Hebdo du 25 avril 2012 erronée :

“Autant que le score de Le Pen, l’effondrement de l’écologie traduit la poussée de la droite. Plus l’écologie s’effondre, plus le capitalisme se porte bien. C’est un des points les plus tristes de ce premier tour.”

Eh bien non, camarade Maris (aurais-tu trop été imprégné par tes lectures sur la défaite de 1940 ?), l’écologie ne s’est pas effondrée : avec les 2,31% d’Eva Joly (candidate d’Europe Ecologie-Les Verts) et les 11,11% de Mélenchon (candidat dont le programme s’appuie sur la “planification écologique”), l’écologie a en fait totalisé 13,42% des voix au 1er tour, un véritable record pour une élection présidentielle. Il n’y a pas non plus de “poussée de la droite”, le total de toutes les droites confondues étant passé de 63,57% au premier tour en 2007 à 54,21% en 2012 (ce qui fait que François Hollande, s’il doit bel et bien miser sur l’anti-sarkozysme d’une partie de l’électorat de droite pour l’emporter, doit surtout réussir à faire voter pour lui l’ensemble de la gauche). Quant au score de La Pen, il faut le relativiser : il reste inférieur en pourcentage au total obtenu en 2002 par Le Pen père et Mégret (19,2%). Même la progression en nombre de voix (+2.587.243) de l’héritière de Montretout par rapport à son père (exceptionnellement bas en 2007 en raison de l’effet Sarkozy) est inférieure à celle obtenue par Mélenchon par rapport à Marie-Georges Buffet (+3.278.030). Pourtant, pour reprendre les termes d’Emmanuel Todd, “le FN a eu N. Sarkozy comme attaché de presse très actif pendant 5 ans”, le plus étonnant étant finalement que davantage d’électeurs n’aient pas préféré l’original à la copie, et que 27,18% d’entre eux aient encore trouvé moyen de voter pour l’agité.

C’est bien la politique de Sarkozy, Besson, Hortefeux et Guéan qui a légitimé le basculement de nombreux électeurs de droite vers l’extrême-droite. Certes, la “dispersion des classes populaires” (évoquée par l’excellent article de Fakir) et la crise ont permis au FN, malgré les efforts du Front de Gauche, de rester en tête du vote ouvrier. Mais cela n’invalide pas la stratégie anti-FN de Mélenchon, contrairement à ce qu’affirme le sociologue Vincent Goulet, notamment lorsqu’il dit :

“Combattre frontalement le Front National risque de renforcer ses positions. Expliquer à un électeur de Marine Le Pen qu’il se trompe et qu’il vote pour une “semi-démente” n’est guère le moyen de l’inviter à voir les choses autrement. Il est sans doute possible, à partir de ces schèmes qui sont apolitiques et partagés par tous, de proposer des visions de la réalité du monde social alternatives à celles du Front National, de détourner, reformuler et subvertir les thématiques de la peur et du repli pour construire un référentiel politique progressiste. Ce travail ne passe pas seulement par des programmes ou de la “bonne communication” politiques mais aussi par un engagement concret, pratique aux côtés de ceux qui se sentent déclassés, spoliés, fragilisés. Les schèmes sont des catégories fondamentales nées de la pratique, et c’est d’abord dans la pratique qu’ils peuvent trouver leurs prolongements politiques. La lutte pour l’hégémonie culturelle, préalable à la direction de l’Etat pour Antonio Gramsci, doit véritablement s’incarner dans toutes les fractions des classes populaires.”

Vincent Goulet oppose le “combat frontal” contre le FN mené par Mélenchon et une pratique agissant directement sur les “schèmes” dont seraient prisonniers les électeurs du FN. Ce faisant, il semble oublier que derrière la figure emblématique et médiatique de Mélenchon, le Front de Gauche mène aussi au quotidien le combat pour “l’hégémonie culturelle”. Car l’un n’empêche pas l’autre (et bien sûr, il reste énormément à faire, notamment pour toucher les zones de rurbanisation qui n’ont de contact “culturel” avec le monde que par le biais de TF1). Goulet néglige aussi le fait que l’adhésion aux thèses du FN est permise chez beaucoup de ses électeurs par l’affaiblissement de ce que j’appellerais par analogie freudienne le “sur-moi civique”. Un verrou a sauté, en raison du développement de l’individualisme narcissique favorisé par 30 ans de contre-révolution néolibérale et de société de surconsommation, mais aussi en raison du “permis de haïr” en toute bonne conscience donné par la droite dite républicaine, particulièrement sous la présidence de Sarkozy. En d’autres termes, le petit-bourgeois blanc frustré dans son lotissement péri-urbain peut désormais cracher tout haut sa haine, son aigreur et ses fantasmes sans avoir peur de se faire traiter de facho ou de se prendre un pavé dans la chetron. Oui, il faut faire de l’éducation populaire, pour éveiller les consciences, oui, il faut agir sur les conditions objectives d’existence qui poussent quelques esprits faibles — et surtout la fraction du peuple qui a toujours été de droite — vers l’extrême-droite, mais il faut aussi faire usage d’une certaine violence (verbale, légale, et davantage si nécessaire) contre la haine ordinaire, et donc, comme a commencé à le faire Mélenchon, il faut bel et bien rediaboliser La Pen, et stigmatiser sans complaisance les gros cons de beaufs qui votent pour elle. Car toutes les victimes de la crise, tous les habitants de villages péri-urbains, tous les téléspectateurs de TF1, tous les frustrés de la surconsommation, ne sombrent pas fatalement dans le néo-fascisme, même s’ils ont plus de raisons que d’autres de s’y abandonner. Le racisme, la xénophobie, l’homophobie, l’anti-sémitisme, l’islamophobie sont des tares honteuses qui, à défaut d’être éradiquées, doivent se terrer derrière les volets clos des vieux pétainistes transis de peur tandis qu’on extirpe les racines du mal dans le paysage social. Autant que les marchés financiers, les fachos doivent réapprendre la peur des Rouges. Par ses attaques contre l’oligarchie et contre la “semi-démente” durant la campagne, Mélenchon a clairement signifié que les Rouges étaient à nouveau very dangerous. Le Front de Gauche n’a certes pas encore entamé la puissance d’un FN dopé aux stéroïdes sarkozystes, mais alors que le PS et la droite dite républicaine instrumentalisaient le FN au lieu de le combattre, nous avons, nous, peut-être contenu sa progression et établi la ligne de front. Sur les 27,18% d’électeurs de Sarkozy, combien auraient déjà basculé vers La Pen, la portant bien au-delà de 20%, si Mélenchon ne l’avait pas rediabolisée ? A l’inverse, combien d’électeurs de Hollande auraient voté Mélenchon si le traumatisme de 2002 n’avait joué en faveur du “vote utile” ? Mélenchon a lui-même cité  sur son blog une estimation (à prendre comme simple hypothèse) : 30% des électeurs de Hollande auraient été tentés, ce qui aurait pu rapporter 9 points supplémentaires au candidat du Front de Gauche. Ainsi, Mélenchon aurait pu obtenir autour de 20% des voix, ce qui l’aurait placé au-dessus de La Pen (comme quoi cette ambition n’était pas insensée). Dans ce cas, il est vrai, Hollande aurait tourné lui aussi autour de 20%, avec le risque que La Pen se retrouve au 2ème tour face à Sarko. Reconnaissons-le : notre appel d’avant le 1er tour à ne pas céder à la peur du FN est donc invalidé. Le choix des électeurs potentiels de Mélenchon ayant opté au dernier moment pour Hollande était légitime, même si, en donnant de l’avance à Hollande, il a permis objectivement à La Pen de se replacer hélas au centre des débats de l’entre-deux tours, relayant les thèmes de campagne de Mélenchon au second plan. Néanmoins, si le Front de Gauche continue de se renforcer, ce pourrait être bientôt aux électeurs du PS d’avoir à se ranger en dernière minute derrière le seul rassemblement de gauche qui soit vraiment en mesure de faire obstacle à la droite extrême. Il peut paraître paradoxal de l’affirmer à l’heure où nous nous apprêtons à voter pour Hollande dans le seul but de battre le néo-pétainiste Sarkozy. Mais le Front de Gauche est jeune, et la dynamique pour inverser le rapport de force avec le PS est bel et bien enclenchée.

Désormais, quels que soient les noms que revêtiront le parti de La Pen et de l’ex-droite sarkozyste lepénisée, ce sera Front contre Front : Front de Gauche contre Front d’extrême-droite, dans les urnes mais aussi dans la rue.

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