Situation n°8 : “Paranoïa”

Morceau diffusé sous licence Creative Commons BY-NC-SA
Extrait de la Demo 1996 des Vaches Folles
Paroles & musique : Stéphane P
Musiciens :

Stéphane P : voix, guitare
Siegfried G : batterie, piano, voix

Stéphane L : guitare
Benoît D : basse
Illustration : Siegfried G
Paroles :

Ma paranoïa
Rôde autour de moi
Prête à bondir sur sa proie
Elle rôde autour de moi
Je sais que l’univers cherche à me nuire
Même les oiseaux sur leur fil c’est sûr conspirent

Je sens les regards
Arrimés à mon corps
Rivés sur mes avatars
A l’affût de mes torts
Est-ce là l’effet de l’imaginaire ?
Mais les fellows ont des airs de porte de frigo

Ma paranoïa
Rôde autour de moi
Prête à bondir sur sa proie
Elle rôde autour de moi
Je sais que l’univers cherche à me nuire
Même les oiseaux sur leur fil c’est sûr conspirent

C’est l’hypocrisie
L’apparat simili
Qui fait que je me méfie
Même de toi Léonie
Derrière les sourires et les mots agréables
Se cachent des pensées obscures c’est intolérable.

Nous sommes en 1996. Avec les deux Stéphane et Benoît, tu débarques aux Frigos du 91 quai de la gare à Paris. Tu y as déjà répété quelques années avec les Black Noddles ou Les Gniards, dans les studios du Luna Rossa, qui a vu défiler depuis les années 80 des groupes comme Bérurier Noir, Ludwig von 88, Molodoï… C’est toujours impressionnant de parcourir ce quartier de friche industrielle, près de la toute nouvelle bibliothèque François Mitterrand, et de la fameuse rue Watt naguère chantée par Philippe Clay sur un texte de Boris Vian :

“C’est une rue couverte
C’est une rue ouverte
C’est une rue déserte
Qui remonte aux deux bouts
Des chats décolorés
Filent en prise directe
Sans jamais s’arrêter
Parce qu’il y pleut jamais
Le jour c’est moins joli
Alors on va la nuit
Pour traîner ses savates
Le long de la rue Watt”

Boris Vian

Les frigos sont un grand squatt officialisé, bardé de graffiti, où les musiciens venus répéter croisent des artistes résidant dans les étages de béton délabré. Le Luna Rossa est en train de déménager rue du Chevaleret, à quelques centaines de mètres de là, dans un ancien entrepôt, mais il reste encore un studio d’enregistrement aux Frigos.

Vue générale du site des Frigos en 2003, photo de Pierre Laugier, CC BY-SA 3.0

“C’est nous qu’on est les Vaches Folles”, proclamez-vous à l’ingénieur du son qui vous ouvre son studio aménagé dans un des anciens frigos du lieu. Tronche du gars, qui vous a vu quelques jours plus tôt, Stéphane P et toi, venir enregistrer avec deux autres musiciens (Pierre et Erwan) sous le nom de Crème Brûlée. Le gars ne s’attendait pas à revoir vos pommes quelques jours plus tard. Il ne sait pas qu’il s’en est fallu de peu, d’ailleurs, pour que tu reviennes avec deux autres groupes, les Black Noddles et Nonante What, qui viennent juste de splitter. Il faut dire que travaillant à Tours depuis septembre 1995, les répèts à Paname avec 4 groupes, ça devenait tendax, même si tu rentrais tous les week-ends. Et puis tu as beau avoir un salaire de prof, à présent, payer des séances d’enregistrement en rafale, c’est au-dessus de tes moyens. Déjà, deux de suite, tu le sens passer…

Mais vous avez été productifs avec Crème Brûlée ou Les Vaches Folles, et l’enregistrement de 2 maquettes de 3 morceaux chacune n’est pas du luxe pour espérer démarcher des concerts. Il y a juste ce petit problème de syndrome de l’imposteur à surmonter : si Stéphane P et toi avez composé pas mal de morceaux, vous êtes loin d’être des chanteurs charismatiques, et vous n’êtes pas tout à fait assez punks pour en faire une force. Pour couronner le tout, en délaissant les claviers et en passant à la guitare avec Crème Brûlée, tu as perdu la maîtrise que tu pouvais avoir acquise comme pianiste. Tu te souviens encore de ce concert il y a quelques mois — ton premier comme guitariste — où tu avais fini les doigts de la main droite en sang à force de les racler sur les cordes, tellement tu t’y prenais mal avec le médiator. Tu as fait quelques progrès depuis, mais on ne peut pas dire que tu sois un virtuose. Si bien que quand l’ingé son à la coupe mulet probablement habitué des solos de hard rock et des effets new wave vous avait gratifié avec Crème Brûlée d’un son très années 80, tu n’avais pas osé la ramener. De toutes façons, tu ne maîtrisais pas non plus le son, et tu aurais été bien en peine de lui expliquer que tu voulais du gros boum boum à la Steve Albini, comme dans les albums de Nirvana. Et cela ne risque pas de s’arranger avec les Vaches Folles : sur les trois morceaux que vous voulez enregistrer, il y en a un, Paranoïa, sur lequel tu te retrouves à la batterie. L’ingé son à la coupe mulet doit halluciner : il y a quelques jours, vous enregistriez avec Erwan, batteur tout en force et en maîtrise, et vous voici avec Stéphane P à vous relayer sur les fûts pour de laborieux tatapoums de débutants. Au prix de la séance, il s’agit tout de même de ne pas se rater : vous ne pouvez vous payer le luxe de recommencer les prises à l’infini.

“Paranoïa” est un morceau de Stéphane aux paroles rigolotes, avec un riff de guitare un peu à la Noir Désir. Simple et efficace, au point que les riffs de l’autre Stéphane (“guitar hero”) te semblent superflus, mais bien sûr, tu te vois mal lui dire de ne pas jouer du tout, surtout qu’il ne prend même pas le solo final que le premier Stéphane s’est réservé. Tu appréhendes un peu le démarrage car tu as gardé un mauvais souvenir d’un concert où Steph avait attaqué le morceau 2 fois trop vite. Tu t’étais retrouvé avec des crampes dans les bras à la fin du morceau, et les mains complètement crispées par la tenue des baguettes au moment de reprendre la guitare un peu plus tard. Heureusement, cette fois, ça passe, même si tu sens que tu tires tout de même un peu en arrière par moments. Tu n’es pas mécontent de ton attaque du morceau, néanmoins, et c’est tellement plaisant de cogner comme un bourrin… Mais tu te demandes ce qu’un vrai batteur aurait fait. Question vite oubliée quand tu entends les prises de basse avec les étranges claquements sur les cordes que produit parfois Benoît. Lui non plus n’est pas des plus expérimentés sur son instrument… Le tout sonne quand même un peu crispé. Heureusement, les prises de voix ne se passent pas trop mal. Vous vous permettez même avec Steph d’ajouter des choeurs. Et puis, remarquant que le studio est doté d’un piano, tu proposes d’ajouter la partie que tu avais essayée sur les toutes premières versions du morceau tentées à l’époque avec Nonante What, avant que tu ne passes à la batterie.

Quelques heures plus tard, les trois morceaux de la demo sont dans la boîte. Vous allez pouvoir démarcher pour des concerts… En fait, vous ne ferez que la fête de la musique et le groupe, un an plus tard, n’existera plus. De quoi devenir parano.

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